Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le centre hospitalier de Manosque et son assureur, la Société Hospitalière d'Assurances Mutuelles (SHAM) à lui verser une somme de 351 121,46 euros en réparation des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale du 10 août 2004.
Par un jugement n° 1202955 du 15 décembre 2014, le tribunal administratif de Marseille a condamné le centre hospitalier de Manosque et la SHAM à lui verser la somme de 82 713,49 euros à titre de réparation.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 16 février 2015, 17 mars 2015 et 18 février 2016, le centre hospitalier de Manoque et la SHAM, représentés par Me C..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1202955 du 15 décembre 2015 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D....
Ils soutiennent que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- la demande de M. D... était tardive ;
- M. D... n'a pas subi de perte de revenus ;
- le tribunal a fait une évaluation excessive des préjudices subis.
Par trois mémoires en défense, enregistrés les 10 décembre 2015, 17 mars 2016 et 22 décembre 2016, M. D..., représenté par Me F..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- à la réformation du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille a limité à la somme de 82 713,49 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier de Manosque et la SHAM en réparation du préjudice qu'il a subi ;
- à la condamnation du centre hospitalier de Manosque et de la SHAM à lui verser, à titre principal, la somme de 444 492,15 euros ou, à titre subsidiaire, la somme de 351 121,46 euros, en réparation des préjudices ;
3°) à ce que lui soit versée la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a subi une perte de revenu ;
- le tribunal a fait une évaluation insuffisante des préjudices personnels.
Par un mémoire, enregistré le 21 février 2016, l'ONIAM, représenté par Me A..., déclare s'en remettre à la sagesse de la Cour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laso ;
- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique ;
- les observations de Me B... représentant le centre hospitalier de Manosque et la SHAM et Me F...représentant M.D....
1. Considérant que, souffrant d'une adénite aiguë cervicale droite, M. D..., né le 23 septembre 1952, a subi, le 10 août 2004, au centre hospitalier de Manosque, un curage ganglionnaire de la chaîne jugulaire ; que, dans les suites immédiates de l'intervention, l'intéressé a présenté une lésion du nerf spinal entraînant une paralysie du muscle trapèze ; que, malgré une greffe nerveuse le 20 décembre 2004, M. D... reste atteint de séquelles ; qu'estimant que celles-ci étaient imputables à l'opération du 10 août 2004, il a saisi le tribunal administratif de Marseille et recherché la condamnation du centre hospitalier de Manosque et de son assureur, la SHAM, à réparer ses préjudices ; que, par un jugement du 15 décembre 2014, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'établissement et son assureur à verser à l'intéressé la somme de 82 713,49 euros ; que le centre hospitalier et son assureur relèvent appel de ce jugement ; que, par la voie de l'appel incident, M. D... relève appel du jugement en tant qu'il a limité à la somme de 82 713,49 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier et la SHAM ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'en se bornant à soutenir, dans leur requête sommaire d'appel, que le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard des conclusions dont le tribunal était saisi, les requérants ne permettent pas aux juges d'apprécier le bien-fondé de ce moyen ; que, dès lors, celui-ci ne peut être qu'écarté ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 421-2 de ce code : " Sauf disposition législative ou règlementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet. / Les intéressés disposent, pour se pourvoir contre cette décision implicite, d'un délai de deux mois à compter du jour de l'expiration de la période mentionnée au premier alinéa (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 421-3 de ce code : " Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : / 1° En matière de plein contentieux (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article R. 421-5 de ce code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision " ;
4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique : " La commission régionale [de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales] peut être saisie par toute personne s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins, ou, le cas échéant, par son représentant légal. (...) La saisine de la commission suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure prévue par le présent chapitre " ; que ces dispositions doivent être combinées avec les dispositions, citées au point précédent, relatives à l'exercice des recours contentieux ; qu'en particulier, si la commission régionale est saisie, avant l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification, par un établissement public de santé, d'une décision rejetant une demande d'indemnisation, ce délai se trouve suspendu conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique ; qu'eu égard à l'objectif poursuivi par le législateur en instituant une procédure de règlement amiable des litiges, la notification de la décision rejetant la demande d'indemnité doit indiquer non seulement que le tribunal administratif peut être saisi dans le délai de deux mois mais aussi que ce délai est suspendu en cas de saisine de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux ; qu'à ce titre, la notification ne fait pas courir le délai si elle ne comporte pas cette double indication ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Marseille, qu'eu égard à son objet et à sa formulation, le courrier du 20 janvier 2005 de M. D... adressé au directeur du centre hospitalier de Manosque devait être regardé comme une réclamation de nature à lier le contentieux alors même qu'elle n'était pas chiffrée ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, en application des dispositions du 1° de l'article R. 421-3 du code de justice administrative citées au point 3, le délai de deux mois imparti à M. D... pour saisir le tribunal administratif n'a pas commencé à courir à compter du 25 janvier 2005, date à laquelle le centre hospitalier a accusé de réception de la demande de l'intéressé ; que la décision du 17 octobre 2005 par laquelle le centre hospitalier de Manosque a rejeté cette demande ne comportant pas la mention indiquant que le délai de recours contentieux pouvait être suspendu par application des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique et dans quelles conditions il pouvait l'être, cette décision n'a pas fait courir de délai de recours contentieux à l'encontre de M. D... ; que par suite, c'est à bon droit que le tribunal a écarté la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Manosque et la SHAM tirée de la tardiveté de la demande de l'intéressé ;
Sur la responsabilité :
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des rapports des deux expertises diligentées par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Provence-Alpes-Côte d'Azur que le curage de toute la chaîne jugulaire droite ne devait pas être réalisé en l'absence de germe pathogène et d'affection néoplasique ; qu'en présence d'adénopathie nécrosée non cancéreuse, les adhérences et les phénomènes inflammatoires ne permettent pas la visualisation et la préservation des éléments vasculaires et nerveux cervicaux ; qu'au cours de l'intervention du 10 août 2004, le nerf spinal du patient a été sectionné sans identification ; que, dans ces conditions, une telle erreur, au demeurant non contestée, constitue une faute dans l'exécution du geste médical, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Manosque et de son assureur, la SHAM ;
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. D... qui gérait son entreprise de maçonnerie-carrelage de six salariés qu'il a créée et au sein de laquelle il exerçait également les fonctions de maçon a subi, en lien avec l'intervention chirurgicale du 10 août 2004, une incapacité totale de travail jusqu'au 14 janvier 2006 puis partielle, à hauteur de 33 %, jusqu'au 30 août 2006, date de consolidation de son état de santé ; que si M. D... n'a pas été dans l'incapacité d'exercer toute activité professionnelle notamment la gestion administrative de son entreprise, le déficit fonctionnel permanent de 20 % dont il reste atteint n'est plus compatible avec le métier de maçon qu'il exerçait antérieurement à l'opération ; que, dès lors, la limitation d'activité de l'intéressé est imputable à la faute commise par le centre hospitalier de Manosque ; que, par suite, contrairement à ce que soutiennent les requérants, M. D... est fondé à demander l'indemnisation de la perte de gains professionnels actuels et futurs subie ;
S'agissant de la perte de revenus avant consolidation :
8. Considérant qu'en réponse à la mesure d'instruction diligentée par la Cour le 17 janvier 2017 pour connaître les revenus perçus par M. D... au titre des exercices 2002 à 2004 à fin d'en déterminer une moyenne de référence, l'intéressé a établi ne pouvoir produire les avis d'imposition au titre de ces années ; qu'il y a lieu de déterminer le revenu de M. D... par référence à la pension d'invalidité, d'un montant mensuel de 523,16 euros, qu'il a perçue à compter du 14 janvier 2006, laquelle est calculée sur la moitié du revenu annuel moyen de base ; que ce revenu annuel moyen doit donc être évalué à 12 555,84 euros ; que, durant la période comprise entre le 11 septembre 2004, date de la fin de l'incapacité en l'absence de complications, et le 30 août 2006, date de consolidation de son état de santé, M. D... aurait ainsi dû recevoir une somme de 24 588,52 euros ; qu'il résulte des avis d'impôt sur le revenu versés qu'il a perçu des revenus industriels et commerciaux en 2005 d'un montant de 12 268 euros et a subi, en 2006, une perte de 22 339 euros, soit 14 892,67 euros pour la période en cause au titre de cette année ; que, comme il a été dit, une pension d'invalidité de 523,16 euros mensuels a en outre été servie à l'intéressé à compter du 14 janvier 2006 soit la somme de 3 923,70 euros jusqu'au 30 août 2006 ; que, par suite, la perte de revenus subie jusqu'à la date de consolidation s'élève à 23 289 euros ;
S'agissant de la perte de revenus après consolidation :
9. Considérant que, s'agissant de la perte de revenus entre la date de consolidation de l'état de santé, fixée au 30 août 2006, et le 1er juillet 2013, date à compter de laquelle M. D... perçoit une pension de retraite, comme l'indique un courrier du 20 février 2014 de la caisse d'assurances retraite du Sud-Est, l'intéressé aurait dû, compte tenu du revenu annuel moyen de 12 555,84 euros, bénéficier d'un revenu de 85 798,24 euros ; qu'il résulte des avis d'impôt sur le revenu versés que, pour la période en cause, M. D... a perçu des revenus d'un montant total de 81 107,31 euros ; que, par suite, la perte de revenus futurs s'élève à 4 691 euros ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en fixant à 39 613,49 euros l'indemnité due à M. D... au titre des pertes de revenus actuels et futurs, les premiers juges ont fait une évaluation excessive de ces préjudices ; que le centre hospitalier de Manosque et la SHAM sont seulement fondés à demander que cette somme soit ramenée à 27 980 euros ;
En ce qui concerne les préjudices personnels :
S'agissant des préjudices temporaires :
11. Considérant qu'en fixant à la somme globale de 7 800 euros le montant du préjudice subi par M. D... en raison du déficit fonctionnel temporaire total du 10 septembre 2004 au 14 janvier 2006 et du déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 33 % du 15 janvier 2006 au 30 août 2006, les premiers juges en ont fait une évaluation qui n'est ni excessive ni insuffisante ; qu'en revanche, en fixant à la somme de 8 800 euros le montant du préjudice subi par l'intéressé du fait des souffrances endurées fixées à 5 sur une échelle allant de 1 à 7, les premiers juges n'en ont pas fait une appréciation suffisante ; qu'il y a lieu de porter la réparation due à ce titre à la somme de 13 500 euros ;
S'agissant des préjudices permanents :
12. Considérant que M. D... reste atteint d'un déficit fonctionnel permanent de 20 % ; qu'en fixant à la somme de 23 000 euros le montant du préjudice subi à ce titre par l'intéressé, les premiers juges en ont fait une évaluation suffisante ; qu'ils ont également fait une estimation suffisante du préjudice esthétique, fixé selon les rapports d'expertise entre 3 et 3,5 sur une échelle allant de 1 à 7, en lui allouant la somme de 3 500 euros à ce titre ; que M. D... n'établit pas plus en appel qu'en première instance qu'il exerçait des activités de loisir ou sportive avant l'intervention et qu'il ne peut plus se livrer à de telles activités ; que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté ses conclusions en indemnisation de ce chef de préjudice ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui a été indiqué aux points 11 et 12 que l'indemnité due au titre des préjudices personnels subis par M. D... s'élève à la somme de
47 800 euros ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier de Manosque et la SHAM sont seulement fondés à demander que l'indemnité, que le tribunal administratif de Marseille les a condamnés à verser à M. D..., soit ramenée de la somme de 82 713,49 euros à 75 780 euros ; que, d'une part, le jugement attaqué doit être réformé en ce sens et, d'autre part, les conclusions incidentes de M. D... doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que le centre hospitalier de Manosque et la SHAM qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, versent à M. D... la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 82 713,49 euros que le centre hospitalier de Manosque et la SHAM ont été condamnés à verser à M. D... par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 décembre 2014 est ramenée à 75 780 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1202955 du tribunal administratif de Marseille du 15 décembre 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du centre hospitalier de Manosque et de la SHAM ainsi que les conclusions de M. D... présentées par la voie de l'appel incident sont rejetés.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. D... au titre de l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Manosque et à la Société Hospitalière d'Assurances Mutuelles, à M. E... D..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse RAM d'assurance-maladie des professions indépendantes de Marseille, au Régime Social des Indépendants d'Auvergne et à la société MMA IARD Assurances Mutuelles.
Délibéré après l'audience du 1er juin 2017, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président,
- M. Laso, président assesseur,
- M. Lafay, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 juin 2017.
2
N° 15MA00645