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01/06/2017 | FRANCE | N°16MA00324

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 01 juin 2017, 16MA00324


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. Cheikh Mohamed Fadel Kanea demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 18 décembre 2015 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire et a fixé le pays de destination, ainsi que l'arrêté du même jour décidant son placement en rétention administrative pour une durée de cinq jours.

Par un jugement n° 1510287 du 22 décembre 2015, le magistrat désigné par le présiden

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. Cheikh Mohamed Fadel Kanea demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 18 décembre 2015 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire et a fixé le pays de destination, ainsi que l'arrêté du même jour décidant son placement en rétention administrative pour une durée de cinq jours.

Par un jugement n° 1510287 du 22 décembre 2015, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a annulé la décision de placement en rétention et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 janvier 2016, le préfet des Bouches-du-Rhône demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement du 22 décembre 2015 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de rejeter la demande de M. Kane.

Il soutient que la décision de placement en rétention est justifiée.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 décembre 2016, M. Kane, représenté par Me Mboup demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident :

- d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille du 22 décembre 2015 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône portant obligation de quitter le territoire français et de la décision portant refus de délai de départ volontaire ;

- d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " ou de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il n'a jamais eu connaissance de la décision du 13 décembre 2012 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours ;

- les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;

- il présente des garanties de représentation, son passeport ayant été " confisqué " par la police et il dispose d'un lieu de résidence ;

- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laso ;

- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique.

Une note en délibéré présentée par M. Kane a été enregistrée le 21 mai 2017.

1. Considérant que le préfet des Bouches-du-Rhône relève appel du jugement du 22 décembre 2015 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 18 décembre 2015 portant placement en rétention de M. Kane ; que ce dernier demande à la Cour d'annuler ce même jugement en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision portant refus de délai de départ volontaire ;

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée :

" I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger (...) " ;

3. Considérant qu'il est constant que, par un arrêté du 13 décembre 2012, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé à M. Kane la délivrance d'un titre de séjour ; que l'intéressé se trouvait dès lors dans le cas, envisagé au 3° du I de l'article L. 511-1 du code, où une obligation de quitter le territoire français peut être prononcée à son encontre ; que le préfet de Bouches-du-Rhône pouvait ainsi légalement prescrire une telle mesure par l'arrêté du 18 décembre 2015 en litige, sans que M. Kane puisse utilement se prévaloir de l'absence de notification de l'arrêté du 13 décembre 2012 ;

4. Considérant que M. Kane ne peut davantage utilement soutenir que l'absence de notification de cette décision méconnaîtrait son droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

6. Considérant que M. Kane fait valoir qu'il réside en France depuis 2005, période durant laquelle il a obtenu des diplômes et travaillé, qu'il bénéficie d'une promesse d'embauche et que sa mère, titulaire d'une carte de résident, et sa soeur, titulaire d'un titre de séjour, résident sur le territoire français ; que, toutefois, l'intéressé est célibataire, sans enfant à charge et ne conteste pas que son père est resté au Sénégal, où lui-même a vécu jusqu'à l'âge de dix-neuf ans ; que, dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Kane n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;

Sur la décision fixant le délai de départ volontaire :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " (...) II. - (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...) " ;

9. Considérant que, pour refuser l'octroi d'un délai de départ volontaire à M. Kane, le préfet des Bouches-du-Rhône, après avoir rappelé que l'intéressé s'est vu notifier le 22 décembre 2012 un arrêté du 13 décembre 2012 portant refus de renouvellement d'une carte de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire dans le délai de trente jours qu'il n'a pas exécutée, s'est fondé sur la circonstance qu'il existe un risque que le requérant se soustraie à nouveau à l'exécution d'une mesure d'éloignement ; que, toutefois, s'il ressort des pièces du dossier et notamment des mentions figurant sur l'avis de réception qui a été retourné à l'administration par les services de la Poste, que le pli contenant la décision portant notification de la décision du 13 décembre 2012 faisant obligation à M. Kane de quitter le territoire français a été envoyé à l'adresse de l'intéressé et retourné à l'expéditeur avec la mention " non réclamé ", la rubrique " présentation/avisé " n'est pas renseignée ; que la décision du 13 décembre 2012 ne peut être regardée comme ayant été régulièrement notifiée à M. Kane ; qu'au surplus, le 15 février 2013, à la date d'expiration de son récépissé de demande de carte de séjour, l'intéressé a informé le préfet par courrier recommandé de l'absence de réponse à sa demande de renouvellement de son titre de séjour et a, en juin 2015, entrepris des démarches auprès de la préfecture pour déposer un dossier de demande de titre de séjour ; que, dans ces conditions, M. Kane ne peut être regardé comme s'étant soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement au sens du d) du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers du droit d'asile ; que le préfet des Bouches-du-Rhône ne pouvait refuser de lui accorder un délai de départ volontaire pour ce motif ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. Kane, cette décision est entachée d'illégalité ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Kane est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision lui refusant un délai de départ volontaire ;

Sur le placement en rétention :

11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : (...) 6° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé " ; qu'aux termes de l'article L. 561-2 du même code dans sa rédaction applicable : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation " ;

12. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment d'une fiche de la police nationale du 23 juin 2015, et qu'il n'est pas sérieusement contesté que le passeport de M. Kane est retenu au commissariat d'Aix-en-Provence ; qu'en outre, contrairement à ce que soutient le préfet des Bouches-du-Rhône, M. Kane justifie par la production d'un contrat de location du 28 juillet 2014 disposer d'une adresse stable et effective à Marseille ; que l'intéressé devait donc être regardé comme présentant des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français dont il faisait l'objet au sens de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, quand bien même il a déclaré, le 18 décembre 2015, à la suite de son interpellation, ne pas vouloir retourner dans son pays d'origine ; qu'au demeurant, ainsi qu'il a été dit au point 9, M. Kane ne pouvait être regardé comme s'étant soustrait à l'exécution d'une précédente obligation de quitter le territoire français du 13 décembre 2012 ; que, dans ces conditions, le placement en rétention administrative de M. Kane n'était pas nécessaire ; que par suite, le préfet des Bouches-du-Rhône n'est pas fondé à soutenir que le premier juge ne pouvait, pour ce motif, annuler la décision de rétention ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, M. Kane est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille, a rejeté ces conclusions tendant à l'annulation de la décision du 18 décembre 2015 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire ; que, d'autre part, le préfet des Bouches-du-Rhône n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille, a annulé l'arrêté prononçant le placement en rétention administrative de M. Kane ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

14. Considérant que l'exécution du présent arrêt qui annule la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, n'implique ni que la Cour ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à M. Kane un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " ni qu'il soit enjoint au préfet de réexaminer sa situation ; que les conclusions présentées par M. Kane aux fins d'injonction ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à M. Kane en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :

Article 1er : L'article 3 du jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 décembre 2015 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. Kane dirigées contre la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.

Article 2 : La décision du 18 décembre 2015 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé d'accorder à M. Kane un délai de départ volontaire est annulée.

Article 3 : La requête du préfet des Bouches du Rhône et le surplus des conclusions présentées par M. Kane sont rejetés.

Article 4 : L'Etat versera à M. Kane la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Cheik Mohamed Fadel Kaneet au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 18 mai 2017, où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président,

- M. Laso, président assesseur,

- M. Lafay, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 1er juin 2017

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N° 16MA00324


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16MA00324
Date de la décision : 01/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: M. Jean-Michel LASO
Rapporteur public ?: Mme CHAMOT
Avocat(s) : MBOUP

Origine de la décision
Date de l'import : 20/06/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-06-01;16ma00324 ?
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