Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'État à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de son exposition aux poussières d'amiante.
Par un jugement n° 1301110 du 12 juin 2014, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'État à verser à M. A... la somme de 8 000 euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire enregistrés le 2 septembre 2014 et le 2 mars 2016, le ministre de la défense demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 12 juin 2014 ;
2°) de rejeter les conclusions indemnitaires de M. A... ;
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'une erreur de droit sur l'application de la prescription quadriennale ;
- l'État a mis en oeuvre les mesures de protection imposées pour ses agents ;
- le nombre de maladies professionnelles reconnues en lien avec l'amiante est en baisse constante.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 novembre 2014 et le 12 février 2016, M. A..., représenté par la SELARL Teissonniere et Associés, conclut au rejet du recours et, par la voie de l'appel incident, demande à la Cour :
1°) de condamner l'État à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi ainsi que la somme de 15 000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence ;
2°) de majorer les sommes qui seront allouées des intérêts au taux légal à compter de la date de la première demande d'indemnisation, et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le ministre de la défense ne sont pas fondés ;
- la réalité des préjudices subis justifie le montant des indemnisations demandées par la voie de l'appel incident.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
- la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ;
- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;
- le décret n° 96-97 du 7 février 1996 ;
- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'État, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renouf,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., de la SELARL Teissonniere et Associés, représentant M.A....
Sur le recours du ministre de la défense :
En ce qui concerne la prescription quadriennale :
1. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics, alors applicable aux créances détenues sur les établissements publics hospitaliers en matière de responsabilité médicale : " Sont prescrites, au profit de l 'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : (...)Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement./ Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée " ;
2. Considérant que, par arrêté interministériel du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'État du ministère de la défense, l'atelier de soutien des spécialités de la DCN de Saint-Tropez où M. A... a travaillé, a été inscrit sur ladite liste ; qu'ainsi, l'intéressé n'a eu connaissance de l'étendue du risque à l'origine du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dont il demande réparation qu'à la date du 10 mai 2006 à laquelle cet arrêté a été publié ; que, par suite, en application des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968, le délai de prescription a commencé à courir le 1er janvier 2007 ;
3. Considérant que M. A... a adressé au ministre de la défense deux réclamations préalables, la première, du 8 juin 2010, portant sur l'indemnisation de son préjudice économique et de son préjudice d'anxiété du fait de son exposition fautive aux poussières d'amiante, la seconde, du 17 décembre 2010, portant sur l'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence subis en raison de son exposition à l'amiante ; que ces réclamations préalables intervenues pendant le délai de prescription et relatives au même fait générateur ont valablement interrompu le délai de prescription ; que, par suite, le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir qu'à la date du 13 mai 2013 à laquelle la requête de M. A... a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulon, la créance de M. A... était prescrite ;
En ce qui concerne la responsabilité de l'État :
4. Considérant qu'à la date du 1er septembre 1980 à laquelle M. A... a été recruté en qualité d'ouvrier d'État au sein de la direction des chantiers navales (DCN), l'État, en sa qualité d'employeur, ne pouvait ignorer les risques inhérents à l'inhalation de poussières d'amiante, compte tenu notamment de l'édiction dès 1977 du décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante ; que, pour démontrer que l'État a engagé des actions de protection de ses agents contre l'exposition à l'amiante, le ministre se fonde sur une note-circulaire adressée à l'ensemble des DCN les invitant à informer les responsables des services utilisant de l'amiante sur ses risques et à mettre en place des mesures de protection collective et individuelle telles que le travail en horaire décalé des calorifugeurs ; que, toutefois, le ministre n'apporte aucun élément permettant à la Cour de savoir quelles mesures ont effectivement été mises en oeuvre sur le lieu de travail du requérant et d'apprécier leur caractère adapté au risque d'exposition ; qu'en tout état de cause, cette note, antérieure au décret de 1977, ne permet pas d'établir que le ministre a veillé au respect de l'ensemble des mesures de protection imposées ; que, de même, les notes-circulaires des 14 août 1979 et 8 avril 1980, postérieures à l'intervention du décret de 1977, se bornent à dresser un état des lieux de l'utilisation de l'amiante en vue d'amorcer une réflexion sur l'abandon de son utilisation et son remplacement par d'autres matériaux, sans qu'aucune obligation formelle soit imposée ; que, si le ministre produit une attestation d'exposition à l'amiante établie le 19 mai 2006 mentionnant la mise à disposition de protection individuelle pour des travaux bien définis et l'isolation des opérations susceptibles d'entraîner des poussières d'amiante, celle-ci a été établie pour le compte d'un autre agent que M. A..., dont il n'est pas établi qu'il était dans une situation analogue à celle de ce dernier ; qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, le ministre ne prouve pas avoir mis à la disposition de M. A... un quelconque dispositif de protection contre les poussières d'amiante auxquelles l'intéressé était pourtant exposé dans le cadre de ses fonctions dans des conditions de travail dangereuses pour son état de santé ; que, par suite, l'État a fait preuve, contrairement à ce que soutient le ministre de la défense, d'une carence fautive de nature à engager sa responsabilité ;
Sur l'appel incident de M. A... :
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'est établi de façon statistiquement significative le lien entre une exposition suffisamment longue d'un travailleur aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie ; que la reconnaissance de ce lien statistique par le législateur a été à l'origine de la mise en place de deux dispositifs d'indemnisation fondés sur la solidarité nationale, d'une part et s'agissant des travailleurs effectivement tombés malades, par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, d'autre part, et s'agissant de tous les travailleurs, par le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; que M. A..., qui n'est pas tombé malade, bénéficie de ce dernier dispositif lequel, compte tenu des termes de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 éclairés par les débats parlementaires, ne l'indemnise pas intégralement des conséquences dommageables de sa période passée d'exposition aux poussières d'amiante ;
6. Considérant, d'une part, que les études statistiques générales portant sur le diminution de l'espérance de vie des travailleurs qui ont été exposés aux poussières d'amiante ne suffisent pas, à elles seules, à établir les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral invoqués par M. A... ; qu'il lui appartient d'apporter devant le juge des éléments complémentaires probants relatifs à sa situation personnelle ; qu'il résulte de l'instruction qu'avant de devenir conducteur de véhicule routier le 1er janvier 1996, M. A... a travaillé à compter du 1er septembre 1980 dans des ateliers relevant de la DCN où il a été exposé aux poussières d'amiante pendant plus de 15 ans ; qu'en qualité d'agent spécialisé, M. A... était en effet chargé de l'entretien des ateliers dont les murs et les plafonds étaient floqués d'amiante ainsi que de l'enlèvement des bennes de produits amiantés sans aucune protection ; que, dès lors, au regard de cette exposition directe et quotidienne, il sera fait une juste appréciation de la situation de l'intéressé qui vit dans la crainte de développer subitement une pathologie grave, en fixant le montant de la réparation de ce préjudice d'anxiété à la somme de 10 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt ;
7. Considérant, d'autre part, que, pour établir qu'il subi des troubles dans les conditions d'existence, M. A... se fonde sur des attestations de proches relatant l'angoisse qu'il ressent du fait de son exposition à l'amiante ; que ces éléments se bornent à faire état de l'anxiété de l'intéressé pour laquelle il a déjà été indemnisé au titre du préjudice d'anxiété ; qu'ainsi, les conclusions de l'intéressé tendant à son indemnisation au titre des troubles dans les conditions d'existence allégués ne peuvent qu'être rejetées ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le recours du ministre doit être rejeté et que M. A... est seulement fondé à demander que l'indemnité, que le tribunal administratif a condamné l'État à lui verser, soit portée à la somme de 10 000 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 300 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 8 000 euros que l'État a été condamné à verser à M. A... par le jugement du 12 juin 2014 est portée à 10 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 12 juin 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le recours du ministre de la défense est rejeté.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 5 : L'État versera à M. A... la somme de 300 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense et à M. C... A....
Délibéré après l'audience du 25 avril 2017, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. Renouf, président assesseur,
- M. Coutel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 mai 2017.
N° 14MA03854