Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B...a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler la décision du 20 avril 2015 par laquelle le directeur interrégional des douanes et des droits indirects de Méditerranée a rejeté sa demande d'attribution de l'avantage spécifique d'ancienneté (ASA) et, d'autre part, d'enjoindre au ministre des finances et des comptes publics de lui accorder le bénéfice de cet avantage et d'en tirer toutes les conséquences en découlant s'agissant de l'avancement, des avantages financiers et du droit de mutation prioritaire.
Par un jugement n° 1500792 du 21 juillet 2016, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 28 octobre 2016, M. B..., représenté par la SELARL Abeille et Associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 21 juillet 2016 ;
2°) d'annuler la décision précitée du 20 avril 2015 du directeur interrégional des douanes et des droits indirects de Méditerranée ;
3°) d'enjoindre au ministre des finances et des comptes publics de lui accorder le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et d'en tirer toutes les conséquences en découlant s'agissant de l'avancement, des avantages financiers et du droit de mutation prioritaire ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- il est affecté depuis plus de trois ans au sein de la brigade garde-côtes d'Ajaccio, qui est située dans une zone urbaine sensible ;
- il conteste n'exercer qu'entre 8 à 14 % de son temps de travail annuel au siège ;
- la décision méconnaît l'égalité de traitement entre les fonctionnaires ;
- la circulaire interministérielle sur laquelle l'administration fonde sa décision ajoute une condition au décret et est donc illégale.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 et 22 mars 2017, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les conclusions du requérant tendant à ce que l'administration lui octroie le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté sont irrecevables, le juge administratif ne pouvant adresser des injonctions à l'administration en dehors des hypothèses visées par les articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative inapplicables en l'espèce ;
- le jugement est suffisamment motivé ;
- la décision en litige est suffisamment motivée ;
- la décision n'est fondée ni sur la circulaire interministérielle du 10 décembre 1996, ni sur la note du 23 mars 2015 mais sur les dispositions du décret n° 95-313 ;
- de plus, la note du 23 mars 2015 ne restreint pas l'application de ce décret mais se borne à en expliciter les dispositions ;
- les agents de la brigade gardes-côtes ne sont pas dans une situation identique aux agents de la brigade de surveillance extérieure.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- la loi n° 91-715 du 26 juillet 1991 modifiée portant diverses dispositions relatives à la fonction publique ;
- le décret n° 95-313 du 21 mars 1995 modifié relatif au droit de mutation prioritaire et au droit à l'avantage spécifique d'ancienneté accordés à certains agents de l'Etat affectés dans les quartiers urbains particulièrement difficiles ;
- le décret n° 96-1156 du 26 décembre 1996 fixant la liste des zones urbaines sensibles ;
- la circulaire interministérielle du 10 décembre 1996 relative à la priorité de mutation et avantage spécifique d'ancienneté accordés à certains agents de l'Etat affectés dans les quartiers urbains particulièrement difficiles ;
- le code général des impôts, et notamment son article 1466 A ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Busidan,
- les conclusions de M. Roux rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant M. B....
1. Considérant que M. B..., contrôleur principal des douanes et des droits indirects, relève appel du jugement du 21 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 20 avril 2015 par laquelle le directeur interrégional des douanes et des droits indirects de Méditerranée lui a refusé le bénéfice des dispositions relatives à l'avantage spécifique d'ancienneté (ASA) et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au ministre des finances et des comptes publics de lui accorder le bénéfice de cet avantage et d'en tirer toutes les conséquences en découlant, notamment en matière financière et d'avancement ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant, d'une part, que la contestation, y compris par voie d'exception, des dispositions à caractère général d'une note ou une circulaire émanant d'un ou plusieurs ministres doit être accueillie si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle dont il est soutenu à bon droit qu'elle est illégale ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 modifiée susvisée : " Les fonctionnaires de l'Etat (...) affectés pendant une durée fixée par décret en Conseil d'Etat dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, ont droit, pour le calcul de l'ancienneté requise au titre de l'avancement d'échelon, à un avantage spécifique d'ancienneté dans des conditions fixées par ce même décret. " ; que l'article 1er du décret du 21 mars 1995 dispose que : " Les quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, mentionnés (...) à l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 susvisée, doivent correspondre : 1° En ce qui concerne les fonctionnaires de police, à des circonscriptions de police ou à des subdivisions de ces circonscriptions désignées par arrêté conjoint du ministre chargé de la sécurité, du ministre chargé de la ville, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget ;/ 2° En ce qui concerne les fonctionnaires relevant du ministre chargé de l'éducation nationale, à des écoles et établissements d'enseignement désignés par arrêté conjoint du ministre chargé de l'éducation, du ministre chargé de la ville, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget ;/ 3° En ce qui concerne les autres fonctionnaires civils de l'Etat, à des secteurs déterminés par arrêté conjoint du ministre chargé de la ville, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget. " ; que, selon l'article 2 de ce même décret : " Lorsqu'ils justifient de trois ans au moins de services continus accomplis dans un quartier urbain désigné en application de l'article 1er ci-dessus, les fonctionnaires de l'Etat ont droit, pour l'avancement, à une bonification d'ancienneté d'un mois pour chacune de ces trois années et à une bonification d'ancienneté de deux mois par année de service continu accomplie au-delà de la troisième année. / Les années de services ouvrant droit à l'avantage mentionné à l'alinéa précédent sont prises en compte à partir du 1er janvier 1995 pour les fonctionnaires mentionnés au 3° de l'article 1er (...). " ;
4. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que les " autres fonctionnaires civils de l'Etat ", visés au 3° du décret précité du 21 mars 1995 et dont fait partie M. B..., peuvent prétendre à l'avantage spécifique d'ancienneté dès lors qu'ils ont été affectés de façon continue pendant au moins trois ans depuis le 1er janvier 1995 dans un quartier figurant à l'annexe au décret du 26 décembre 1996 ; que si le bénéfice de cet avantage ne dépend ni de la nature des fonctions exercées par ces agents, ni de la compétence géographique de leur service d'affectation, l'affectation au sein d'une zone urbaine sensible (ZUS), au sens des dispositions précitées, implique non seulement que le service auprès duquel les agents sont affectés soit localisé au sein de ladite ZUS, mais également que les agents exercent effectivement leurs fonctions dans ce service ;
5. Considérant que le refus opposé à la demande de M. B... tendant au bénéfice de l'ASA repose exclusivement sur la considération que l'intéressé, agent de la Brigade Gardes-Côtes (BGC) d'Ajaccio, dont il est constant que le siège se situe dans des locaux se trouvant dans le quartier de Pietralba, en ZUS aux termes de l'annexe au décret susvisé du 26 décembre 1996, exercerait ses fonctions principalement en mer, et non au siège de son service ;
6. Considérant que, dans la décision attaquée, ce motif est fondé sur la note qui y était jointe, datée du 23 mars 2015 et signée du sous-directeur des ressources humaines, des relations sociales et de l'organisation, par délégation du ministre des finances et des comptes publics ; que cette note indique que les agents des BGC, ayant vocation à exercer leurs services en mer et non sur terre, ne peuvent bénéficier des dispositions prévues par le décret du 21 mars 1995 mais que " bien entendu, les agents affectés au sein d'une BGC dont le siège est implanté en ZUS, et dont les fonctions sont exercés au siège de l'unité et non en mer, bénéficient des dispositions du décret susvisé " ; que, par ailleurs, le ministre indiquait en première instance que l'application informatique de suivi des heures de travail des marins, mise en oeuvre à partir du 1er décembre 2009 faisait apparaître qu'entre cette date et le 31 décembre 2014, M. B... avait consacré entre 8 et 14 % de son temps de travail au siège de l'unité, et entre 70 et 75 % de ce temps de travail en mer ; qu'ainsi, en appliquant la note précitée, le ministre, comme il le précisait d'ailleurs dans son mémoire de première instance, a entendu se référer à la circulaire interministérielle, datée du 10 décembre 1996 et parue au Journal Officiel de la République Française du 4 février 1997, laquelle indique que, parmi les autres fonctionnaires civils de l'Etat, ont droit à l'ASA ceux " qui exercent de manière effective leurs fonctions à titre principal dans les quartiers retenus par les arrêtés précités " ;
7. Considérant qu'en ce qu'elles prévoient qu'ont droit à l'ASA les agents qui exercent de manière effective leurs fonctions dans les quartiers en ZUS, les note et circulaire précitées se bornent à expliciter, ainsi qu'il a été dit au point 4, le sens à donner au terme d'agents " affectés " dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles ; qu'en revanche, en décidant que, pour bénéficier de l'ASA, les agents affectés dans un service situé au sein d'un tel quartier devraient y exercer leurs fonctions à titre principal, le ministre des finances et des comptes publics, dans la note du 23 mars 2015, et les ministres signataires de la circulaire interministérielle du 10 décembre 1996 ont fixé une règle nouvelle à celles prévues par la loi du 26 juillet 1991 et aux décrets et arrêtés pris pour son application, qu'ils n'avaient pas compétence pour édicter ;
8. Considérant que si, en appel, le ministre soutient s'être exclusivement fondé sur les dispositions du décret du 21 mars 1995 et doit être ainsi regardé comme demandant une substitution de base légale à la décision en litige, il résulte de ce qui vient d'être dit que les dispositions dudit décret ne peuvent pas être interprétées comme subordonnant le bénéfice de l'ASA à la circonstance que l'agent exercerait " à titre principal " ses fonctions au siège de son service situé en ZUS ; que, par suite, alors qu'il ressort des pièces du dossier que, depuis le 5 janvier 2004, M. B... exerce ses fonctions au siège de la brigade gardes-côtes d'Ajaccio et justifie ainsi avoir accompli depuis trois ans au moins à la date de la décision en litige des services continus dans un quartier urbain désigné en application de l'article 1er du décret du 21 mars 1995, M. B... est fondé à soutenir, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, il y a lieu de l'annuler et d'annuler la décision du 20 avril 2015 du directeur interrégional des douanes et des droits indirects de Méditerranée ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Considérant que l'article L. 911-1 du code de justice administrative dispose : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ; que l'article L. 911-2 du même code prévoit : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. " ;
10. Considérant, d'une part, que, contrairement à ce que soutient le ministre, les conclusions présentées par M. B..., tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre des finances et des comptes publics de lui accorder le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté, entrent dans le champ d'application des dispositions citées au point précédent ; que, par suite, la fin de non recevoir opposée à ce titre par le ministre doit être écartée ;
11. Considérant, d'autre part, que l'annulation de la décision refusant à M. B... le bénéfice de l'ASA implique nécessairement que cet avantage soit accordé à l'intéressé, dès lors que, comme il a été dit au point 8 du présent arrêt, il remplit les conditions posées par le décret du 21 mars 1995 pour en bénéficier ; que, par suite, il y a lieu pour la Cour, sur le fondement des dispositions précitées des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre de prendre un arrêté reconstituant la carrière de l'intéressé en le faisant bénéficier des bonifications d'ancienneté découlant des dispositions précitées du décret du 21 mars 1995, et de tirer les conséquences pécuniaires afférentes à cette reconstitution, et ce, dans le délai de quatre mois suivant la notification du présent arrêt ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
12. Considérant que, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros qu'il demande au titre des frais qu'il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement rendu le 21 juillet 2016 par le tribunal administratif de Bastia et la décision du 20 avril 2015 du directeur interrégional des douanes et des droits indirects de Méditerranée sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'économie et des finances de prendre un arrêté reconstituant la carrière de M. B... en le faisant bénéficier des bonifications d'ancienneté découlant des dispositions précitées du décret du 21 mars 1995, et de tirer les conséquences pécuniaires afférentes à cette reconstitution, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat (ministre de l'économie et des finances) versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée au directeur interrégional des douanes et des droits indirects de Méditerranée.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2017, où siégeaient :
- Mme Buccafurri, présidente,
- M. Portail, président-assesseur,
- Mme Busidan, première conseillère.
Lu en audience publique, le 9 mai 2017.
2
N° 16MA04008