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12/12/2016 | FRANCE | N°16MA01061

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre - formation à 3, 12 décembre 2016, 16MA01061


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A...B...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 4 décembre 2015 par lequel la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a ordonné son placement en rétention administrative.

Par un jugement n° 1509859 du 22 février 2016, le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté et a enjoint à la préfète du Pas-de-Calais de procéder à un nouvel examen de

la situation de M. A... B...et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoir...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A...B...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 4 décembre 2015 par lequel la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a ordonné son placement en rétention administrative.

Par un jugement n° 1509859 du 22 février 2016, le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté et a enjoint à la préfète du Pas-de-Calais de procéder à un nouvel examen de la situation de M. A... B...et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 21 mars 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 février 2016 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... B...devant le tribunal administratif de Marseille.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a jugé que la situation personnelle de M. A... B...n'avait pas été examinée ;

- son droit d'être entendu et de présenter des observations écrites et orales n'a pas été méconnu.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 juin 2016, M. A... B..., représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Pas-de-Calais de l'admettre provisoirement au séjour dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa situation personnelle n'a pas fait l'objet d'un examen sérieux et particulier ;

- il n'a pas été en mesure de faire valoir de manière utile et effective ses observations sur l'obligation de quitter le territoire français et n'a pas été entendu sur ses modalités concrètes ;

- l'arrêté litigieux a été pris par une autorité incompétente ;

- la motivation des décisions contenues dans l'arrêté litigieux ne répond pas aux exigences de la loi du 11 juillet 1979 ;

- l'obligation de quitter le territoire français est entachée de détournement de pouvoir ;

- dès lors qu'il doit être regardé comme ayant sollicité l'asile en France, l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de l'article 33 de la convention de Genève ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 4 du protocole n° 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales ;

- la décision lui refusant un délai de départ volontaire est dépourvue par suite de base légale ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience en application de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Gautron.

1. Considérant que M. A... B..., ressortissant érythréen né le 28 juillet 1988 selon ses déclarations, a fait l'objet le 3 décembre 2015 d'une interpellation par les services de la police aux frontières du Pas-de-Calais pour flagrant délit d'entrave à la circulation ; que par un arrêté du 4 décembre 2015, la préfète du Pas-de Calais a obligé M. A... B...à quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, à destination de tout pays où il établirait être légalement admissible à l'exclusion de l'Erythrée et a ordonné son placement en centre de rétention ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 22 février 2016 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté ;

2. Considérant que la décision attaquée mentionne, outre son identité ainsi que sa nationalité et son âge déclarés, que M. A... B...est démuni de tout document d'identité comme de tout document transfrontalier en cours de validité et n'a pas déclaré le lieu de sa résidence ; que cette décision se réfère par ailleurs à la procédure établie le 3 décembre 2015 par les services de la police aux frontières du Pas-de-Calais à la suite de son interpellation, procédure durant laquelle le requérant a déclaré vouloir se rendre en Grande-Bretagne ; que compte tenu des éléments fournis par le requérant, la décision litigieuse ne peut être regardée comme insuffisamment motivée en fait et comme ayant été prise sans examen particulier de la situation de l'intéressé ; que la circonstance que des mesures identiques ont été prises à l'encontre d'autres migrants interpellés dans les mêmes conditions à Calais et que le contrôleur des lieux de privation de liberté ait émis des réserves sur l'ensemble de ces procédures ne démontre pas par elle-même l'absence d'examen de la situation du requérant ; qu'en outre, et dès lors que le requérant n'a pas sollicité en France la qualité de réfugié, la préfète du Pas-de-Calais n'avait pas, avant de prendre une obligation de quitter le territoire français à son encontre, à procéder à la consultation du fichier Eurodac qui s'impose dans l'hypothèse où l'admission en France d'un étranger qui demande à être admis au bénéfice de l'asile peut être refusée si l'examen relève de la compétence d'un autre Etat membre en application, depuis le 1er janvier 2014, des dispositions du règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dit Dublin III ; qu'ainsi, c'est à tort que le tribunal s'est fondé, pour annuler l'arrêté litigieux, sur la circonstance que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'était pas motivée en fait et procédait d'un défaut d'examen personnel de la situation du requérant ;

3. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... B...à l'encontre des décisions en litige ;

Sur la compétence du signataire des décisions attaquées :

4. Considérant que si la préfète du Pas-de-Calais produit, en appel, pour justifier de la compétence du signataire de l'arrêté litigieux, un arrêté n° 2015-10-158 du 22 décembre 2015, qui lui est effectivement postérieur ainsi que le soutient le requérant en défense, la préfète du Pas-de-Calais a toutefois, par un arrêté n° 2015-10-57 du 16 février 2015, publié le même jour au recueil spécial n° 16 des actes administratifs de la préfecture, donné délégation à M. D... C..., chef de la section éloignement, à l'effet de signer, notamment les décisions fixant le pays de destination des mesures d'éloignement ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée manque en fait et doit être écarté ;

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. Considérant, en premier lieu, que la décision litigieuse est suffisamment motivée en droit et en fait ; qu'en outre, et dès lors que la décision litigieuse ne peut être regardée comme ayant été prise sans examen particulier de sa situation, ainsi qu'il a été dit précédemment, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 4 du protocole 4 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 19 de la charte des droits fondamentaux interdisant les expulsions collectives d'étrangers doit être écarté ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour ; qu'il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement ; qu'en l'espèce, M. A... B...a été entendu préalablement à l'édiction de la mesure contestée, comme en témoigne son procès-verbal d'audition du 2 décembre 2015 signé par l'intéressé dans le cadre de la procédure de retenue instituée par les dispositions de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'à cette occasion, assisté d'un interprète en langue arabe, il a été informé de ce qu'une mesure d'éloignement était susceptible d'être prise à son encontre et il a pu présenter toutes les observations qu'il jugeait utiles ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire et de l'article 41 de la charte sur les droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 33 de la convention de Genève : " 1. Aucun des Etats Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politique. (...) " ; qu'il ressort du procès-verbal d'audition précité que M. A... B...a déclaré être ressortissant érythréen et craindre pour sa vie en cas de retour dans celui-ci ; que, toutefois, si M. A... B...était présent depuis quelque temps en France à la date de son interpellation et a été informé, le jour de son audition, de ce qu'une mesure d'éloignement pouvait être prise à son encontre, il n'a jamais déposé de demande d'asile en France, ni manifesté l'intention d'en déposer une, déclarant au contraire vouloir se rendre en Grande-Bretagne ; qu'il n'a pas non plus formé une telle demande, ainsi qu'il pouvait le faire, dans les cinq jours à l'entrée de son placement en rétention, possibilité dont il a été informé comme en atteste le procès-verbal de notification de ses droits en rétention, qu'il a signé le 2 décembre 2015 ; que, dans ces conditions, M. A... B..., qui ne peut prétendre avoir été dans l'impossibilité ou empêché de former une demande d'asile, ne saurait invoquer une violation des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève, ni la méconnaissance des dispositions de l'article L. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

8. Considérant, en dernier lieu, que M. A... B..., qui ne détenait aucun document ou titre en cours de validité l'autorisant à séjourner ou à circuler sur le territoire français et n'a pas justifié y être entré régulièrement, se trouvait dans le cas prévu par les dispositions législatives du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où peut être prise à son encontre une décision lui faisant obligation de quitter le territoire ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en prenant la décision contestée, la préfète du Pas-de-Calais aurait poursuivi un but autre que ceux en vue desquels le pouvoir de prendre cette décision lui a été conféré par les dispositions législatives relatives à l'entrée et au séjour des étrangers et notamment, dans le but d'éloigner M. A... B...de la région de Calais et de décourager les migrants de s'y installer ; que, par suite, alors même que d'autres étrangers en situation irrégulière séjournant dans la région de Calais ont fait l'objet de décisions analogues leur faisant obligation de quitter le territoire français et ordonnant leur déplacement vers différents centres de rétention administrative, le détournement de pouvoir et de procédure allégué n'est pas établi ;

Sur la décision de refus d'accorder un délai de départ volontaire :

9. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que la décision obligeant M. A... B...à quitter le territoire français n'est pas entachée des illégalités alléguées ; que, par suite, M. A... B...ne peut se prévaloir, par la voie de l'exception, de l'illégalité de cette décision pour demander l'annulation de la décision lui refusant un délai de départ volontaire ;

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

10. Considérant que dès lors que le requérant ne sera pas renvoyé en Erythrée, il ne peut utilement invoquer, ni la méconnaissance de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du fait des risques auxquels il serait exposé en Erythrée ;

Sur la décision de placement en rétention administrative :

11. Considérant, en dernier lieu, que dès lors que le requérant faisait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, la préfète du Pas-de-Calais pouvait prononcer son placement en rétention dans la mesure où il ne présentait pas de garanties effectives de représentation ; que le requérant ne peut par suite utilement soutenir que cette mesure méconnait les dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en se bornant à alléguer que l'obligation de quitter le territoire français ne pouvait être mise à exécution ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé ses décisions du 2 décembre 2015 obligeant M. A... B...à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, à destination de tout pays vers lequel il serait légalement admissible à l'exclusion de l'Erythrée et le plaçant en rétention administrative ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que ces dispositions s'opposent à ce que la somme réclamée par M. A... B...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1509859 du tribunal administratif de Marseille du 22 février 2016 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... B...devant le tribunal administratif de Marseille et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Me E... et à M. F... A...B....

Copie en sera adressée à la préfète du Pas-de-Calais.

Délibéré à l'issue de l'audience du 21 novembre 2016, où siégeaient :

- M. Moussaron, président,

- Mme Steinmetz-Schies, président-assesseur,

- M. Gautron, conseiller.

Lu en audience publique, le 12 décembre 2016.

4

N° 16MA01061


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16MA01061
Date de la décision : 12/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. MOUSSARON
Rapporteur ?: M. Allan GAUTRON
Rapporteur public ?: M. THIELE
Avocat(s) : PAPAPOLYCHRONIOU

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-12-12;16ma01061 ?
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