Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D...A...et Mme E...B...ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à leur verser la somme globale de 154 296 euros au titre des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite de l'incendie du terrain militaire de Carpiagne.
Par un jugement n° 1102854 du 19 janvier 2015, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à verser à M. A...et Mme B...la somme de 38 621,50 euros à titre de réparation.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 mars 2015, le 21 mars 2016 et le 27 juillet 2016, M. A...et MmeB..., représentés par MeC..., demandent à la Cour :
1°) de réformer ce jugement du 19 janvier 2015 par lequel le tribunal administratif de Marseille a limité à la somme 38 621,50 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Etat en réparation du préjudice qu'ils ont subi ;
2°) d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer la dépréciation foncière de leur propriété ;
3°) à défaut, de condamner l'Etat à leur verser la somme complémentaire de 186 750 euros ainsi que les intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, en réparation du préjudice subi du fait de cette dépréciation foncière ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 200 euros au titre des frais exposés en première instance et en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la perte de la valeur vénale de la propriété est indemnisable même en l'absence de cession ou d'intention de vendre ;
- les nuisances visuelles et sonores et la pollution de l'air et du sol sont importantes ;
- une expertise privée a évalué la perte de valeur vénale subie à 186 750 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2016, le ministre de la défense conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire à la désignation d'un expert immobilier avec pour mission de déterminer l'existence éventuelle d'une perte de valeur foncière de leur propriété.
Il soutient que les requérants n'établissent pas avoir un projet de vente de leur propriété.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laso ;
- et les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique ;
1. Considérant que, le 22 juillet 2009, un incendie a pris naissance dans le camp militaire de Carpiagne et s'est propagé à la propriété de M.A... et Mme B...; que ces derniers ont recherché la responsabilité de l'Etat devant le tribunal administratif de Marseille ; qu'ils relèvent appel du jugement du 19 janvier 2015 par lequel le tribunal a rejeté leurs demandes tendant à ce que soit prescrite une expertise portant sur l'évaluation de la dépréciation foncière de leur propriété et à l'indemnisation du préjudice qu'ils ont subi du fait de cette perte de valeur vénale ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Considérant que le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement ; qu'il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages, qui doivent revêtir un caractère anormal et spécial pour ouvrir droit à réparation, résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure ;
3. Considérant que le terrain militaire de Carpiagne, affecté au service public de la défense nationale et spécialement aménagé à cette fin, présente le caractère d'un ouvrage public ; qu'il est constant que l'incendie qui s'est propagé à la propriété des requérants a pris naissance sur ce terrain militaire ; qu'aucune des circonstances qui ont entraîné le départ de feu et son extension ne constitue un événement de force majeure ; qu'il résulte de l'instruction que les requérants avaient débroussaillé leur propriété et qu'aucune faute ne saurait leur être opposée ; que, dès lors, la responsabilité de l'Etat se trouve entièrement engagée à l'égard des requérants, tiers par rapport à ce terrain militaire dont est issu le dommage, ce que le ministre de la défense ne conteste d'ailleurs pas ;
Sur les préjudices subis par M. A...et MmeB... :
4. Considérant que la perte de valeur vénale d'un bien immobilier, invoquée par les requérants, constitue un préjudice indemnisable certain, alors même que son propriétaire n'a aucune intention de le vendre ;
5. Considérant que si les requérants invoquent des nuisances phoniques au motif que les bruits du vallon ne seraient plus absorbés par l'environnement végétal, lequel a été détruit par l'incendie en cause, ils se bornent à reprendre les affirmations, non circonstanciées, de leur expert sans apporter d'éléments quantitatifs sur l'intensité du bruit dénoncé ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les nuisances sonores atteindraient un niveau élevé, eu égard à la faible densité de l'habitat du secteur ; que, par ailleurs, les requérants n'établissent pas l'existence de pollutions de l'air et du sol dues à l'odeur de l'incendie, à la dispersion des cendres, à la combustion et au drainage de produits polluants, susceptibles de déprécier le bien dont ils sont propriétaires ;
6. Considérant, en revanche, qu'il résulte de l'instruction, et notamment des photographies annexées au procès-verbal de constat d'huissier du 21 septembre 2009 et de celles jointes tant au rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille le 19 septembre 2010 qu'à celui de l'expertise privée du 17 novembre 2015, que les requérants subissent un important préjudice visuel depuis le sinistre qui a détruit la couverture végétale et boisée des collines en direction du sud de la propriété ; que l'écran végétal a disparu laissant également apparaître les propriétés voisines ; que ces nuisances revêtent un caractère permanent compte tenu du temps nécessaire à la reconstitution de l'environnement arboré et sont, par conséquent, susceptibles de réduire la valeur vénale de la propriété alors même que, comme il a été dit au point 4, les requérants n'auraient ni vendu leur bien immobilier ni même avoir émis l'intention de le mettre en vente ; que, cependant, la Cour ne trouve pas au dossier les éléments permettant d'évaluer la perte de valeur vénale résultant de ces nuisances visuelles, consécutive à l'incendie imputable à l'Etat, de l'ensemble immobilier dont les requérants sont propriétaires ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...et Mme B...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs conclusions tendant à ce qu'une expertise soit ordonnée aux fins d'évaluer la dépréciation de leur propriété ; qu'il y a lieu, avant de statuer sur la requête de M. A... et Mme B... d'ordonner une expertise sur ce point ;
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de M. A...et Mme B...tendant à la condamnation de l'Etat à indemniser la perte de valeur vénale de l'ensemble immobilier leur appartenant, procédé à une expertise contradictoire avec l'Etat (ministre de la défense) avec mission pour l'expert :
1°) de se rendre sur la propriété de M. A...et Mme B...située n° 59 avenue de la Grand Gorge à Marseille (13009) ;
2°) décrire la consistance et la nature de la propriété des requérants au 22 juillet 2009, date de l'incendie en cause, et le cas échéant depuis ce sinistre ;
3°) se faire remettre et prendre connaissance de tous documents utiles et notamment le ou les actes de propriétés des biens immobiliers concernés ;
4°) d'indiquer, compte tenu notamment des informations ainsi recueillies et du marché foncier ou immobilier du secteur pour des propriétés du type de celle des requérants, si l'ensemble immobilier leur appartenant, tel qu'il existait à la date du sinistre, a subi une perte de valeur vénale du fait des nuisances visuelles résultant de ce sinistre, décrites au point 6 du présent arrêt, et, dans l'affirmative, d'en évaluer le montant.
Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties intéressées dans le délai fixé par le président de la Cour dans sa décision le désignant.
Article 3 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...A...et Mme E...B...et au ministre de la défense.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2016 où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- M. Laso, président assesseur,
- M. Lafay, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er décembre 2016.
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15MA01106