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11/10/2016 | FRANCE | N°14MA03930

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 11 octobre 2016, 14MA03930


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...A...a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le centre hospitalier de Bastia à lui verser la somme de 420 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral qu'elle a subi de la part de son employeur.

Par un jugement avant-dire droit du 9 avril 2014, le tribunal administratif de Bastia a décidé qu'il serait procédé à un supplément d'instruction tendant à la production, par Mme A...et le centre hospitalier de Bastia, des documents mentionnés dans les

motifs de sa décision.

Par un jugement n° 1200759 du 4 juillet 2014, le tribunal ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...A...a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le centre hospitalier de Bastia à lui verser la somme de 420 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral qu'elle a subi de la part de son employeur.

Par un jugement avant-dire droit du 9 avril 2014, le tribunal administratif de Bastia a décidé qu'il serait procédé à un supplément d'instruction tendant à la production, par Mme A...et le centre hospitalier de Bastia, des documents mentionnés dans les motifs de sa décision.

Par un jugement n° 1200759 du 4 juillet 2014, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la requête de MmeA....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, respectivement enregistrés le

5 septembre 2014 et le 17 août 2016, MmeA..., représentée par MeC..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 4 juillet 2014 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Bastia à lui verser la somme de 420 000 euros, avec intérêts au taux légal capitalisés à compter de la date de réception de la demande ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bastia la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 lui sont applicables ;

- le centre hospitalier de Bastia a commis un harcèlement moral à son encontre ;

- il existe un lien entre la faute du centre hospitalier et les préjudices dont elle demande réparation ;

- elle a subi une perte de revenus, un préjudice professionnel et un préjudice moral.

Par deux mémoires en défense, respectivement enregistrés les 26 et 27 mai 2016, le centre hospitalier de Bastia, représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A...la somme de 3 000 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Un dernier mémoire présenté pour MmeA..., enregistré le 22 septembre 2016, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutel,

- les conclusions de M. Angeniol, rapporteur public,

- et les observations de Me C...représentant MmeA....

1. Considérant que MmeA..., praticien hospitalier, spécialisé en pédiatrie, a été placée en congé de maladie, à compter du 10 mai 2005, pour un stress post-traumatique ; que, par arrêté du 19 décembre 2008, elle a été déclarée apte à la reprise de ses fonctions à temps plein ; que le 9 mars 2009, Mme A...a présenté une rechute de sa pathologie et a été de nouveau placée en congé de maladie ; qu'ayant sollicité sa réintégration sans succès, par courrier du 1er mars 2010, elle a, le 23 juin 2012, saisi le centre hospitalier de Bastia d'une réclamation préalable tendant au versement de la somme de 420 000 euros en réparation de faits de harcèlement moral qu'elle estime avoir subis, restée sans suite ; que, par jugement du 4 juillet 2014, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa requête tendant à la condamnation du centre hospitalier de Bastia à lui verser la somme de 420 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral qu'elle a subi de la part de son employeur ; que Mme A...relève appel de ce jugement ;

Sur les agissements de harcèlement moral :

2. Considérant, qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : "Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) " ;

3. Considérant que s'il résulte de son article 2 que la loi du 13 juillet 1983 s'applique aux fonctionnaires civils des " établissements mentionnés à l'article 2 du titre IV du statut général des fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales ", lesquels comprennent les établissements publics de santé, ce renvoi ne vise pas les médecins ou pharmaciens praticiens hospitaliers mentionnés à l'article L. 6152-1 du code de la santé publique, qui font partie du personnel de ces établissements, mais auxquels les dispositions de ce titre IV, issues de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ne sont pas applicables en vertu des termes mêmes du dernier alinéa de l'article 2 de cette loi ; que, par suite, ainsi que l'ont considéré les premiers juges, les dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ne sont pas applicables à MmeA... ; que, toutefois, en vertu d'un principe général du droit, aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral visés par les dispositions citées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ;

4. Considérant qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

5. Considérant qu'à la suite de l'accident de service dont elle a été victime au mois de mai 2005, Mme A...n'a durablement repris ses activités au sein du centre hospitalier de Bastia qu'en janvier 2008 ; qu'antérieurement à cette date, alors même que son interruption d'activité a été reconnue comme imputable au service, notamment à la suite des répercussions médiatiques sur les conditions d'hospitalisation en mars 2005 d'un jeune patient et de la réunion subséquente du 10 mai 2005 au sein de l'hôpital, il ne résulte pas de l'instruction que Mme A...aurait subi un harcèlement moral de la part de son autorité hiérarchique durant la brève période précédant son congé de maladie ; que la seule circonstance, à la supposer établie, que l'intéressée ait été sérieusement mise en cause par sa hiérarchie au cours de la réunion précitée n'est pas de nature, au regard des obligations qui incombent à l'autorité hiérarchique en présence d'un éventuel dysfonctionnement grave du service hospitalier, à caractériser un agissement de l'administration constitutif d'un harcèlement moral ; qu'en outre, dans ce contexte, compte tenu des termes imprécis du courrier du 2 mai 2005 par lequel Mme A...se bornait à solliciter un rendez-vous et à dénoncer le traitement injuste dont elle estimait être l'objet au cours des événements précédemment décrits, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration n'aurait pas pris les mesures appropriées envers Mme A...au regard de l'obligation de protection fonctionnelle due aux agents publics ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que si, lors de sa reprise d'activité à

mi-temps le 17 janvier 2008, les fonctions de Mme A...devaient être aménagées pour tenir compte de son état de santé à la suite de son accident de service ayant entraîné une fragilité psychologique, toutefois, il est constant que, dès le mois de décembre 2008, lors de sa reprise à temps plein, l'intéressée a été déclarée apte à exercer ses fonctions en qualité de praticien hospitalier sans qu'aucune restriction ni réserve n'ait été édictée par la médecine du travail quant à ses capacités à exercer sa spécialité de praticien hospitalier spécialisé en pédiatrie ; que, sur ce point, contrairement à ce qui est soutenu par le centre hospitalier de Bastia, l'expertise du

17 décembre 2008 ne peut être regardée comme limitant l'aptitude de l'intéressée aux missions administratives qu'elle menait jusqu'alors mais, au contraire, se bornait à constater une nette amélioration psychologique et entérinait une reprise à temps plein ; que l'intéressée, alors qu'il n'est pas sérieusement contesté qu'un nouveau pédiatre avait été recruté en décembre 2008, a été maintenue jusqu'en mars 2009, date de sa rechute, dans ses fonctions essentiellement administratives au pôle de santé publique sans aucune activité clinique de sa part ; que cette situation, alors que Mme A...a manifesté à de multiples reprises notamment auprès de la direction de l'hôpital son intention d'exercer à nouveau l'ensemble de ses compétences en conformité avec son statut et son grade de praticien hospitalier, est à l'origine de sa rechute, nécessitant la prescription de nouveaux traitements psychotropes ; que, tout au long de la période de reprise, soit du janvier 2008 à mars 2009, MmeA..., qui n'a jamais disposé d'une véritable fiche de poste, a été contrainte de mener à bien le projet au sein du pôle de santé publique qu'on lui assignait avec des objectifs au jour le jour, dont la mise en oeuvre nécessitait de multiples réunions, alors qu'elle ne disposait pas même d'un bureau au sein de l'hôpital et devait donc assurer en partie ses obligations à partir de son domicile ; qu'il en résulte qu'il est établi que MmeA..., qui était auparavant qualifiée en réanimation néonatale et qui avait vocation à assurer des actes médicaux en application de l'article R. 6152-2 du code de la santé publique, a fait l'objet d'un déclassement professionnel à la suite de son accident de travail, alors qu'au demeurant l'autorité hiérarchique ne justifie pas avoir entamé la procédure prévue à l'article R. 6152-79 de ce code, en cas d'insuffisance professionnelle ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les agissements et abstentions de l'autorité d'emploi sur la période courant du mois de janvier 2008 au mois de mars 2009 ont créé des conditions de travail de nature à dégrader l'état de santé de son agent ; que ces conditions ne peuvent être regardées comme justifiées par l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ou justifiées par l'intérêt du service et sont, par suite, constitutives d'un harcèlement moral ;

Sur la réparation du préjudice :

8. Considérant que, pour obtenir l'indemnisation d'un préjudice, un requérant doit établir cumulativement que celui-ci est bien réel et qu'il procède directement d'agissements fautifs de l'administration ;

9. Considérant que Mme A...réclame l'indemnisation du préjudice correspondant aux pertes de revenus relatives à la rémunération des gardes et astreintes non tenues sur une période de 52 mois du fait qu'elle était écartée de toute activité clinique ; que, toutefois, d'une part, il résulte de ce qui vient d'être dit que les agissements fautifs du centre hospitalier de Bastia n'étaient de nature à engager la responsabilité de l'administration que pour la période comprise entre janvier 2008 et mars 2009 ; qu'au cours de cette même période, Mme A...était tenue d'exercer les fonctions administratives qui lui étaient assignées en vertu de la décision d'affectation prise à son égard par le centre hospitalier, dont il n'est pas établi ni même allégué qu'elle serait manifestement illégale et de nature à compromettre gravement un intérêt public, alors même que ces fonctions ne correspondraient pas à son statut ; qu'ainsi, il n'existe aucun lien de causalité directe entre la perte des revenus invoquée et la faute précédemment relevée, fondée sur des agissements globaux de harcèlement moral ;

10. Considérant en revanche, que Mme A...est fondée à soutenir que le déclassement dont elle a fait l'objet, la perte de notoriété et l'atteinte à sa réputation professionnelle qui en sont issues, ont été de nature à compromettre son avenir professionnel de médecin spécialiste ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant le centre hospitalier de Bastia à la somme de 10 000 euros ;

11. Considérant enfin qu'il sera également fait une juste appréciation du préjudice moral de MmeA..., compte tenu de la durée de la période fautive et de la dégradation de ses conditions de travail, en condamnant la personne publique à l'indemniser à hauteur de la somme de 5 000 euros ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Bastia à hauteur de la somme totale de 15 000 euros en réparation de ses préjudices ; qu'il y a lieu, en outre d'assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2012, date de réception de la demande préalable de Mme A...adressée à l'administration ; que, par ailleurs, la capitalisation des intérêts a été demandée le

5 septembre 2014 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 29 juin 2013 ;

13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Bastia la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeA..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par le centre hospitalier de Bastia au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 4 juillet 2014 est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier de Bastia est condamné à verser la somme de 15 000 euros à Mme A...en réparation de son préjudice. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 29 juin 2012, date de réception de sa demande préalable, et capitalisation des intérêts à compter du 29 juin 2013.

Article 3 : Le centre hospitalier de Bastia versera à Mme A...la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A...est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...A...et au centre hospitalier de Bastia.

Délibéré après l'audience du 27 septembre 2016, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,

- M. Renouf, président assesseur,

- M. Coutel, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 11 octobre 2016.

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N° 14MA03930


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA03930
Date de la décision : 11/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: Mme Anne BAUX
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SCP RETALI - GENISSIEUX

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-10-11;14ma03930 ?
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