Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C...a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Haute-Corse à lui verser une somme d'un euro en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi du fait des fautes commises dans l'organisation des secours lors de l'incendie qui a provoqué le décès de Mme F... B...et de la jeune E...le 16 décembre 2009 à Bastia.
Par un jugement n° 1300802 du 13 mai 2015, le tribunal administratif de Bastia a condamné le SDIS de la Haute-Corse à verser à Mme C... la somme d'un euro en réparation de son préjudice moral ainsi qu'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 15 juillet 2015, le SDIS de la Haute-Corse représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 13 mai 2015 ;
2°) et de rejeter la demande présentée par Mme C....
Il soutient que :
- les premiers juges ont considéré à tort que les services de secours n'ont pas cherché en pénétrant tardivement dans l'appartement à sauver prioritairement les personnes les plus exposées aux flammes et ont ainsi commis une faute ;
- les conditions d'intervention des secours sont en toute hypothèse sans lien de causalité avec le décès des victimes déjà intoxiquées par des gaz de combustion ;
- l'installation électrique défectueuse de l'appartement et le dysfonctionnement des équipements communs de l'immeuble constituent des causes exonératoires dont le tribunal n'a pas tenu compte alors même qu'il a considéré que sa responsabilité était engagée partiellement.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 octobre 2015, Mme C... demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête d'appel du SDIS de la Haute-Corse ;
2°) de réformer le jugement par lequel le tribunal administratif de Bastia a condamné le SDIS de la Haute-Corse à lui verser une somme d'un euro en réparation du préjudice subi et de porter le montant de l'indemnité due à ce titre à une somme de 20 000 euros ;
3°) de mettre à la charge du SDIS de la Haute-Corse une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité pour faute du SDIS est engagée à son égard, dès lors que les secours ont omis de procéder en priorité au sauvetage des deux occupantes de l'appartement incendié, et, subsidiairement, qu'ils ont failli à leur obligation de reconnaissance des lieux ;
- le SDIS ne démontre pas l'existence de causes exonératoires de responsabilité, le retard dans la prise en charge des victimes étant la cause exclusive de leur décès ;
- elle est fondée à demander l'indemnisation de son préjudice moral à hauteur respectivement de 13 000 euros du fait du décès de Mme B... et de 7 000 euros du fait de celui de la jeuneE....
Les parties ont été informées les 24 mai et 3 juin 2016, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions nouvelles en appel de Mme C... tendant à la condamnation du SDIS de la Haute-Corse à lui verser une somme portée à 20 000 euros.
Mme C... a présenté le 7 juin 2016 ses observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office par la Cour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'arrêté du 1er février 1978 approuvant le règlement d'instruction et de manoeuvre des sapeurs-pompiers communaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hameline,
- et les conclusions de M. Revert, rapporteur public.
1. Considérant qu'un incendie s'est déclaré dans la soirée du 16 décembre 2009 dans l'appartement habité par Mme A... C...au cinquième étage de la résidence Primavera, boulevard Recipello à Bastia, entraînant le décès de la mère de l'intéressée Mme F... B...ainsi que celui de sa petite-fille Laura Wendel âgée de 19 mois ; qu'après avoir formé le 2 juillet 2013 une réclamation auprès du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Haute-Corse, implicitement rejetée par ce dernier, Mme C... a demandé au tribunal administratif de Bastia réparation du préjudice moral qu'elle estime imputable aux fautes commises par ce service dans l'organisation des secours, par le versement d'une somme d'un euro symbolique ; que, par jugement du 13 mai 2015, le tribunal administratif a fait droit à sa demande et condamné le SDIS de la Haute-Corse à lui verser l'indemnité demandée ainsi qu'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que le SDIS de la Haute-Corse relève appel de ce jugement dont il demande l'annulation ; que Mme C..., par la voie de l'appel incident, présente des conclusions tendant à ce que l'indemnité mise à la charge du SDIS soit portée à une somme de 20 000 euros ;
Sur le bien-fondé du jugement contesté :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales : " Les services d'incendie et de secours sont chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies. / (...) / Dans le cadre de leurs compétences, ils exercent les missions suivantes : (...) 3° La protection des personnes, des biens (...). " ; que la responsabilité du service départemental d'incendie et de secours est susceptible d'être engagée dans l'hypothèse d'une faute commise dans le fonctionnement du service ou dans la gestion des moyens humains ou matériels mis en oeuvre pour lutter contre un incendie ayant contribué à l'aggravation des conséquences dommageables de celui-ci ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des mentions du rapport d'intervention établi par le SDIS, que le détachement de sapeurs-pompiers de garde arrivé en contrebas de l'immeuble à 19h31 a alors procédé à une reconnaissance des lieux en façade sud, seule accessible aux engins de secours, ainsi qu'en façade nord où se trouvait la pièce servant de refuge à la mère et à la petite-fille de l'intimée dans l'appartement en feu situé au cinquième
étage de l'immeuble en comportant six ; qu'il n'est aucunement contredit que les flammes importantes s'échappant alors des fenêtres exposées au sud de l'appartement de Mme C... ne permettaient pas d'y pénétrer immédiatement par l'extérieur ; que, simultanément au déploiement d'une grande échelle sur la façade sud, avec pour mission la mise en sécurité des personnes les plus directement concernées par le sinistre, le chef de garde a envoyé au plus tard à 19h41 une équipe chargée de progresser par l'escalier de l'immeuble vers l'appartement en flammes ; que si deux personnes ont été évacuées du sixième étage par la grande échelle dans les minutes suivantes, quatre autres occupants confinés à ce même niveau ont été secourus par voie extérieure entre 20h21 et 20h32 après intervention des secours dans l'appartement incendié du cinquième étage ; qu'il ne résulte ni des faits qui précèdent, ni des constatations et témoignages figurant au dossier que le service de secours aurait délibérément choisi de procéder d'abord à l'évacuation des autres habitants de l'immeuble sans chercher à sauver prioritairement les personnes les plus exposées conformément aux principes du règlement d'instruction et de manoeuvre des sapeurs-pompiers approuvé par arrêté du 1er février 1978 ; que, par suite, c'est à tort que les premiers juges ont retenu la commission d'une telle faute par le SDIS dans l'organisation des opérations de secours, ainsi que le fait valoir ce dernier ;
4. Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur l'ensemble des moyens présentés par Mme C... devant le tribunal administratif ainsi que sur les moyens de défense invoqués par le SDIS de la Haute-Corse ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le détachement de sapeurs-pompiers de garde, parvenu sur les lieux dix minutes après la première alerte, a procédé à une reconnaissance de l'immeuble sur ses deux façades ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, et a eu connaissance très rapidement après son arrivée du fait que des occupants étaient réfugiés dans une pièce ouvrant au nord de l'appartement en feu ; que le commandant des opérations de secours qui a ensuite pris le relais de la direction des opérations a d'ailleurs fait effectuer à 19h50 une mission complémentaire de reconnaissance de la partie nord de l'immeuble avec recherche d'éventuels points d'engagements pour attaquer le sinistre ou effectuer des sauvetages, ainsi qu'en attestent les échanges internes au service ; que si Mme C... fait valoir que les sapeurs-pompiers auraient dû trouver un accès à la fenêtre, dépourvue de balcon, de la pièce de son appartement servant de refuge, elle n'établit pas toutefois que les sapeurs-pompiers auraient failli à leur mission de reconnaissance sur ce point eu égard à la configuration de l'immeuble et à l'inaccessibilité de cette façade depuis la voie accessible aux engins de secours ; qu'il ne résulte pas non plus de l'instruction que les services de secours auraient commis une faute ni retardé la tentative de réanimation de la jeune E...par le SAMU en évacuant celle-ci, trouvée dans l'appartement en arrêt cardio-respiratoire à la suite de l'inhalation de fumées toxiques, par la cage d'escalier interne de l'immeuble enfumée dans sa partie supérieure et non par l'extérieur au moyen de la nacelle ;
6. Considérant, en revanche, qu'il ressort des éléments soumis à la Cour que les sapeurs-pompiers, dont une équipe avait entamé la progression dans l'escalier de l'immeuble avant 19h41, n'ont pénétré dans l'appartement de Mme C... munis d'équipements respiratoires individuels qu'à 19h59, et ont alors commencé à y combattre l'incendie avant d'être rejoints depuis l'extérieur par une autre équipe et d'atteindre à 20h08 la chambre où s'étaient réfugiées les deux victimes ; qu'alors que le chef de garde était informé dès les premières minutes de l'intervention de la présence de personnes dans l'appartement en flammes, qu'il n'est
pas soutenu par l'appelant que les équipements respiratoires individuels auraient été insuffisants pour permettre aux pompiers de faire face aux fumées présentes dans la partie supérieure de l'escalier, ni établi que des obstacles insurmontables aient entravé leur progression, le délai supérieur à 18 minutes écoulé entre l'envoi d'une équipe dans l'escalier et le début de l'attaque de l'incendie au cinquième étage révèle dans les circonstances de l'espèce une faute dans le fonctionnement du service ; que le SDIS ne peut en outre valablement soutenir que ce retard mis à parvenir jusqu'aux victimes serait sans aucun lien de causalité possible avec leur mort résultant de l'inhalation de fumées toxiques, alors notamment que le décès de la jeune E...n'est survenu qu'après son évacuation ;
7. Considérant que, si la vétusté de l'installation électrique située dans le salon de l'appartement de Mme C... a provoqué le déclenchement de l'incendie, cette circonstance ne peut être utilement invoquée par le SDIS en atténuation de la faute du service dès lors qu'elle n'est pas à l'origine de celle-ci, consistant ainsi qu'il a été dit ci-dessus en une intervention tardive dans l'appartement en feu ; que le SDIS n'est donc pas fondé à demander à être exonéré de sa responsabilité de ce fait ; qu'en revanche, il résulte de l'instruction que l'immeuble d'habitation à loyer modéré dont Mme C... était locataire ne comportait pas de système d'activation à distance de la trappe de désenfumage ou " skydôme " en état de fonctionnement dans l'escalier de secours, contrairement à la réglementation applicable, ce qui a fait obstacle à l'évacuation efficace des fumées emplissant les niveaux supérieurs de l'escalier en quantité très importante ; que plusieurs blocs d'éclairage de sécurité étaient par ailleurs défectueux et ne permettaient pas un éclairage satisfaisant de la cage d'escalier de largeur limitée, utilisée simultanément à la progression des services de secours et en sens inverse par des habitants fuyant les étages inférieurs de l'immeuble ; que ces circonstances constituant un fait du tiers, qui ont elles-mêmes contribué au retard de l'intervention du SDIS pour combattre l'incendie, doivent être regardées comme exonérant totalement celui-ci de sa responsabilité en l'espèce ;
8. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le SDIS de la Haute-Corse est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia l'a condamné à indemniser l'intéressée ; que le jugement contesté doit dès lors être annulé, et les conclusions présentées par Mme C... à fin de condamnation du SDIS doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de l'appel incident de cette dernière tendant à la majoration de l'indemnité allouée ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SDIS de la Haute-Corse, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que Mme C... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 13 mai 2015 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de première instance et d'appel présentées par Mme C... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au service départemental d'incendie et de secours de la Haute-Corse et à Mme A...C....
Délibéré après l'audience du 20 juin 2016, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Pocheron, président-assesseur,
- Mme Hameline, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 juillet 2016.
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N° 15MA02883