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29/03/2016 | FRANCE | N°14MA03272

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 29 mars 2016, 14MA03272


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser une somme de 54 000 euros en réparation des conséquences dommageables ayant résulté pour lui de sa suspension, de l'absence de protection par le rectorat des attaques dont il était l'objet et des circonstances de son départ de l'emploi occupé début 2010.

Par un jugement n° 1202378 du 15 mai 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par un

e requête, enregistrée le 15 juillet 2014, M. C..., représenté par Me B..., demande à la Cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser une somme de 54 000 euros en réparation des conséquences dommageables ayant résulté pour lui de sa suspension, de l'absence de protection par le rectorat des attaques dont il était l'objet et des circonstances de son départ de l'emploi occupé début 2010.

Par un jugement n° 1202378 du 15 mai 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2014, M. C..., représenté par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 mai 2014 ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance, et ainsi de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 000 euros en réparation du préjudice financier résultant de sa suspension, 10 000 euros au titre des propos injurieux et violents dont il a été victime durant son affectation au collège sans bénéficier de la protection statutaire et 40 000 euros en réparation du préjudice moral résultant des circonstances de son départ du poste qu'il occupait début 2010 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges ont insuffisamment motivé leur jugement et n'ont pas tiré les conséquences de l'absence de soutien de la part de son administration et notamment des dispositions de l'article 23 du décret du 11 septembre 2001 alors qu'il aurait dû être rétabli dans son poste à échéance de la première mesure de suspension ;

- les arrêtés de suspension des 15 janvier et 12 avril 2010 sont illégaux et de nature à engager la responsabilité de l'administration à son égard ;

- contrairement à ce qu'indique le jugement, il a bien demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

- c'est bien le manque de soutien de l'administration et la manière dont elle a agi à son égard qui sont à l'origine de son préjudice moral et non les difficultés qu'il a rencontrées avec certains enseignants ;

- durant la période de suspension, il a été privé de la partie de sa rémunération liée à un exercice effectif de ses fonctions et cet épisode demeure aujourd'hui encore pour lui une souffrance morale profonde.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2015, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- M. C... ne saurait invoquer le manque de soutien de sa hiérarchie alors que l'action de l'administration a uniquement été guidée par la volonté de mettre fin au climat de tension qui régnait dans l'établissement afin de rétablir le bon fonctionnement du service ;

- quand bien même la seconde décision de suspension du 12 avril 2010 serait entachée d'illégalité, elle ne saurait être source d'un quelconque préjudice pour M. C... qui a reconnu que sa mutation au poste de proviseur du lycée Alphonse Daudet de Tarascon ne traduisait pas une régression de carrière mais au contraire favorisait son avancement ;

- il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que M. C... aurait sollicité la protection fonctionnelle ;

- s'agissant de l'évaluation du préjudice, n'ayant pas exercé les fonctions de chef d'établissement durant la période de suspension de ses fonctions, il ne peut prétendre à une indemnité en réparation de l'absence de versements de certains éléments de sa rémunération subordonnés à un exercice effectif de celles-ci ; le préjudice moral allégué n'est ainsi pas davantage établi ; en toute hypothèse, la somme de 40 000 euros demandée à ce titre apparaît manifestement surévaluée.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 2001-1174 du 11 décembre 2001 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la Cour a désigné M. Renouf, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pena,

- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.

Une note en délibéré présentée pour M. C... a été enregistrée le 4 mars 2016.

1. Considérant que M. C..., a été affecté, à compter du 1er septembre 2008, sur le poste de principal du collège Frédéric Bazille de Castelnau-le-Lez ; qu'il a été suspendu de ses fonctions par arrêté du ministre de l'éducation nationale du 15 janvier 2010, prolongé par arrêté du 12 avril 2010 ; qu'il a ensuite été muté " dans l'intérêt du service ", par arrêté du 8 juin 2010, au lycée Alphonse Daudet de Tarascon ; que, le 15 décembre 2011, l'intéressé a formé une demande indemnitaire préalable auprès du ministre de l'éducation nationale qui l'a rejetée par courrier du 10 février 2012 ; que M. C... interjette appel du jugement du 15 mai 2014 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant à la réparation des conséquences dommageables ayant résulté pour lui de cette mutation pour un montant total de 54 000 euros ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative " Les jugements sont motivés. " ; qu'il ressort de l'examen du jugement attaqué que celui-ci est suffisamment motivé ; qu'en outre, il ressort des écritures de première instance de M. C... que celui-ci n'a alors contesté la légalité des mesures de suspension qu'en tant qu'elles étaient injustifiées ; qu'il ressort de l'examen du jugement attaqué que le tribunal a statué sur ce moyen ;

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité au titre des arrêtés de suspension :

3. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 23 du décret n° 2001-1174 du 11 décembre 2001 susvisé : " Tout fonctionnaire pourvu d'une fonction de direction peut se voir retirer cette fonction dans l'intérêt du service. Au cas où le maintien en exercice d'un chef d'établissement ou d'un adjoint serait de nature à nuire gravement au fonctionnement du service public, le ministre chargé de l'éducation nationale peut prononcer, à titre conservatoire et provisoire, la suspension de fonctions de l'intéressé qui conserve l'intégralité de la rémunération attachée à son emploi. Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise sur sa situation, l'intéressé est rétabli dans le poste qu'il occupait. " ;

Quant à l'arrêté de suspension du 15 janvier 2010 :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, peu de temps après sa prise de poste en septembre 2008, les relations entre M. C... et le gestionnaire-comptable de l'établissement sont devenues très tendues et ont nécessité l'intervention des services académiques qui les ont tous deux convoqués le 29 janvier 2009 afin qu'il soit mis un terme au conflit ; que le 8 septembre 2009, M. C... s'est vu notifier une lettre d'observation de l'inspecteur d'académie de l'Hérault pour manquement au devoir d'obéissance après avoir refusé d'inscrire trois élèves lors de la rentrée scolaire 2009/2010 ; qu'il lui a également été reproché de maintenir un système dérogatoire en classe de 3ème sans accord des autorités compétentes ; qu'il résulte de l'instruction que, à son retour en novembre 2009 d'un congé maladie de plusieurs semaines, M. C... a également connu de graves difficultés relationnelles avec de nombreux enseignants de l'établissement ; qu'une délégation de ces derniers a alors demandé une médiation de l'inspecteur d'académie de l'Hérault, lequel, relèvera notamment dans sa note rédigée après entretiens, un climat de " tension générale, manque de communication, cloisonnement, manque de soutien, d'écoute réelle, fragilisation des personnels, lenteur

à prendre des décision, souffrance à tous les niveaux, découragement, fatigue, démotivation, inquiétude, déstabilisation, épuisement, crise de confiance, manipulation " ; que les

autorités académiques ont alors demandé au principal du collège de bien vouloir

participer au mouvement de mutation pour la rentrée scolaire suivante ;

qu'à la rentrée du deuxième trimestre, M. C... a organisé une consultation des professeurs de l'établissement afin de savoir s'ils souhaitaient poursuivre leur travail en commun ; que la majorité de ceux-ci ayant alors informé l'inspection académique, par une lettre collective, de leur volonté de ne plus travailler avec le principal en poste, le recteur de l'académie de Montpellier a décidé, par un arrêté du 15 janvier 2010, de suspendre M. C... " à titre provisoire et conservatoire " de ses fonctions ; que si M. C... soutient ne pas être responsable du conflit l'opposant à de nombreux enseignants et personnels du collège, il résulte de tout ce qui précède que le recteur n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que le maintien en exercice de M. C..., chef d'établissement, était de nature à nuire gravement à l'intérêt du service et en décidant, sur le fondement du texte précité, de le suspendre de ses fonctions ; que, par suite, l'illégalité de la décision du 15 janvier 2010 ne résultant pas de l'instruction, M. C... n'est pas fondé à demander à être indemnisé des préjudices ayant pu résulter de cette décision ;

Quant à l'arrêté de prolongation du 12 avril 2010 :

5. Considérant qu'il est constant que par son arrêté du 12 avril 2012, le ministre de l'éducation nationale a prolongé la suspension de M. C... au delà de la durée maximale de quatre mois résultant tant du texte précité que des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 ; qu'ainsi, cette décision est entachée d'illégalité ; que ladite illégalité est de nature à engager la responsabilité de l'Etat alors même que l'intéressé, après que le tribunal a rejeté sa demande de suspension de cette décision, s'était désisté de sa requête en annulation et que, par suite, ladite décision n'a pas été annulée ;

6. Considérant que les circonstances que la décision répondait à un intérêt du service et que l'emploi de l'intéressé après la mutation décidée le 8 juin 2012 est un emploi d'une catégorie supérieure à celle de l'emploi initialement occupé est sans incidence sur le droit à indemnisation de l'intéressé des préjudices ayant résulté de cette décision de suspension illégale ; que M. C... fait valoir que, durant la période de suspension, il a été privé tant de la nouvelle bonification indiciaire que des indemnités de responsabilité et de sujétions spéciales attachées à son emploi d'un montant mensuel respectif non contesté de 184,29 euros, 93,19 euros et 238,87 euros ; qu'il résulte ainsi de l'instruction, et dès lors que la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'éducation nationale en première instance ne se rapporte pas à ce fondement de responsabilité, qu'il y a lieu de condamner l'Etat à lui verser pour la période débutant à la date de prise d'effet de la décision du 12 avril 2010, à savoir la date de notification de ladite décision, et s'achevant lors de sa prise de fonction le 1er septembre 2010 dans le nouvel établissement la somme totale de 2 323,57 euros ;

En ce qui concerne le refus du bénéfice de la protection fonctionnelle :

7. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 susvisée : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. [...] La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté [...] " ; que ces dispositions établissent à la charge de l'Etat ou de la collectivité publique intéressée et au profit des fonctionnaires, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à l'occasion de leurs fonctions sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, et notamment lorsqu'ils font l'objet de poursuites pénales, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. C... n'a pas formé, auprès de sa hiérarchie de demande aux fins qu'elle lui accorde le bénéfice de la protection fonctionnelle prévue par les dispositions précitées ; qu'une telle demande n'est notamment pas contenue dans le courrier du 5 décembre 2008 qu'il a envoyé au recteur de l'académie de Montpellier, l'appelant se bornant à exposer les problèmes rencontrés avec le gestionnaire-comptable du collège et à solliciter une intervention pour recadrer l'agent comptable de l'établissement sur ses devoirs et fonctions ; qu'elle n'est pas davantage formulée dans les courrier datés des 19 septembre et 2 décembre 2009 adressés au même recteur dans lesquels l'intéressé se plaint en particulier du comportement de l'inspecteur d'académie, sollicite une nouvelle intervention de sa part ainsi que des conseils sur la conduite à tenir vis à vis d'une hiérarchie par laquelle il estime être malmené, et fait également part de son souhait de conserver son poste et ses fonctions, ni dans la demande indemnitaire préalable formée auprès du ministre le 15 décembre 2011 ; qu'ainsi, les conclusions indemnitaires de M. C... fondées sur le refus d'accorder la protection fonctionnelle ne peuvent qu'être rejetées ;

En ce qui concerne l'indemnisation du préjudice moral :

9. Considérant que M. C... sollicite une indemnité de 40 000 euros au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subi en raison des circonstances de son départ du collège François Bazille et notamment, du manque de soutien de sa hiérarchie dans le conflit qui l'a opposé aux enseignants et à une partie du personnel administratif dudit collège ; qu'il résulte de l'instruction que M. C... est dans une large mesure responsable dudit conflit et que l'administration s'est pour l'essentiel bornée à assurer le bon fonctionnement du service en le suspendant de ses fonctions et en recherchant un nouvel emploi répondant à ses attentes ; qu'ainsi, le comportement de l'administration ne peut être regardé comme étant à l'origine d'un quelconque préjudice moral ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'éducation nationale en première instance, les clos de M. C...tendant à l'indemnisation du préjudice moral allégué ne peuvent qu'être rejetées ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté intégralement sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1202378 du tribunal administratif de Marseille en date du 15 mai 2014 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. C... la somme de 2 323,57 euros (deux mille trois cent vingt-trois euros et cinquante-sept centimes).

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à M. C... la somme de 2 000 euros (deux mille euros) en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C...et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Copie en sera adressée au recteur de l'académie d'Aix-Marseille.

Délibéré après l'audience du 1er mars 2016 où siégeaient :

- M. Renouf, président,

- Mme Baux, premier conseiller,

- Mme Pena, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 29 mars 2016.

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N° 14MA03272


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA03272
Date de la décision : 29/03/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Rémunération - Indemnités et avantages divers.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. RENOUF
Rapporteur ?: Mme Eleonore PENA
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SCP MOULIN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 15/04/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-03-29;14ma03272 ?
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