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03/03/2016 | FRANCE | N°14MA03784

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 03 mars 2016, 14MA03784


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...G...a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le centre hospitalier de Carpentras à lui verser la somme totale de 130 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises par cet hôpital lors de la grossesse et l'accouchement de MmeG..., le 21 mars 1991.

Par un jugement n° 1201014 du 3 juillet 2014, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 26 août

2014, M.G..., représenté par MeH..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 12010...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...G...a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le centre hospitalier de Carpentras à lui verser la somme totale de 130 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises par cet hôpital lors de la grossesse et l'accouchement de MmeG..., le 21 mars 1991.

Par un jugement n° 1201014 du 3 juillet 2014, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 26 août 2014, M.G..., représenté par MeH..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1201014 du 3 juillet 2014 du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Carpentras à lui verser les sommes de 100 000 euros au titre de la perte de chance et de 30 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Carpentras le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 5 juillet 2011, rendu sur demande de son ex-épouse et devenu définitif, qui n'a reconnu qu'une seule des deux fautes commises par le centre hospitalier dans la prise en charge de Mme G...et n'a réparé que le préjudice moral de la mère, n'a pas autorité de la chose jugée à son égard dès lors qu'il n'était pas partie à cette précédente procédure ;

- la Cour, qui examinera à nouveau dans la présente instance l'ensemble des circonstances de l'espèce, reconnaîtra non seulement la faute dans la prise en charge de son ex-épouse lors de son accouchement du fait d'un retard anormalement long à extraire le foetus par césarienne, mais aussi la faute dans la prise en charge de sa grossesse par le centre hospitalier, comme le relève l'expert désigné par ordonnance du 15 janvier 2008 du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes ;

- cet expert et son sapiteur ont, dans leur rapport du 11 juin 2009, retenu le lien de causalité entre les manipulations anténatales qui ont contribué à la souffrance périnatale de l'enfant et le déficit de ses membres inférieurs ;

- le lien de causalité entre ces fautes et le préjudice moral qu'il subit est ainsi établi ;

- c'est à tort que le troisième expert judiciaire affirme dans son rapport du 2 novembre 2011 que les difficultés de l'enfant sont d'origine congénitale ;

- il n'a jamais été informé d'une quelconque difficulté pendant la grossesse de son ex-épouse, ce qui ne lui a pas permis d'organiser une meilleure prise en charge médicale de son fils dès sa naissance, ni de recourir à l'avortement thérapeutique ;

- il demande l'indemnisation de sa perte de chance consécutive à ce défaut d'information à hauteur de 100 000 euros ;

- son préjudice moral qui résulte de son inquiétude de perdre son épouse et son enfant pendant les deux heures de retard à pratiquer la césarienne alors qu'il était présent à ses côtés, sera réparé par la somme de 30 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 23 septembre 2015, le centre hospitalier de Carpentras, représenté par MeE..., conclut au rejet de la requête.

Le centre hospitalier fait valoir que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions indemnitaires du requérant ;

- le troisième expert désigné par le tribunal a estimé que tous les préjudices subis par l'enfant sont imputables à une pathologie anténatale génétique malformative ;

- il a écarté l'incidence des manoeuvres de version du foetus sur l'apparition du handicap ;

- et il estime très peu probable que le retard à pratiquer la césarienne ait pu avoir une influence sur le handicap de l'enfant, dès lors que la souffrance foetale est due à la circulation du cordon autour du cou du foetus ;

- sur le préjudice, aucun élément du dossier ne permettait au service de suspecter que l'enfant à naître pouvait être porteur d'une maladie congénitale et n'avait pas à effectuer des recherches particulières de maladies congénitales ;

- aucun défaut d'information ne peut ainsi être reproché à l'hôpital ;

- le préjudice moral allégué n'est pas établi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Carassic, rapporteure ;

- et les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique ;

1. Considérant que le 21 mars 1991, MmeG..., âgée de 18 ans, alors épouse de M. G... et enceinte de huit mois et demi de son premier enfant, s'est rendue en consultation gynécologique au centre hospitalier de Carpentras qui suivait sa grossesse ; que lors de cette consultation, le gynécologue a procédé à une manoeuvre de verticalisation du foetus qui se présentait par le siège ; que, suite à l'échec de cette manipulation et eu égard au contrôle sous monitorage montrant une anomalie du rythme cardiaque foetal et à l'amnioscopie révélant un liquide amniotique méconial, il a été décidé à 11 h 30 de recourir à une césarienne ; que cette intervention a été réalisée à 13 h 30 ; que le jeune B...est né à 13 h 35, le cordon ombilical enroulé à deux reprises autour du cou, sans qu'il soit nécessaire de le réanimer ; que l'enfant pesait un poids en dessous des normes et présentait un retard de croissance associé à un hypospadias, soit une malformation des voies génitales masculines ; que l'enfant a présenté dans les premiers mois de sa vie divers troubles neurologiques, tels que notamment l'impossibilité de se tenir en position assise, un retard d'acquisition de la marche après l'âge de deux ans et un important strabisme ; qu'estimant que l'état de santé d'B... résultait d'une mauvaise prise en charge de son accouchement par le centre hospitalier de Carpentras, MmeG..., en son nom propre et en qualité de représentante légale de son fils B...G..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nîmes le versement d'une provision et la désignation d'un expert ; que, par ordonnance n° 0703443 du 15 janvier 2008, le juge des référés a rejeté la demande de provision et a désigné un expert gynécologue obstétricien qui s'est adjoint un sapiteur neuropédiatre ; que le DrD..., expert, a déposé son rapport le 11 juin 2009 ; que Mme G...a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le centre hospitalier à réparer leurs préjudices ; que, par un jugement du 5 juillet 2011, les premiers juges ont estimé que le retard à pratiquer la césarienne deux heures après la décision du praticien, sans aucune justification de l'écoulement d'un tel délai, était constitutif d'une faute du centre hospitalier de nature à engager sa pleine responsabilité et ont, avant de statuer définitivement sur les préjudices subis par la mère et son enfant, et eu égard aux contradictions manifestes entre les conclusions de l'expert et de son sapiteur, ordonné une nouvelle expertise afin notamment de distinguer les préjudices directement imputables au retard à pratiquer la césarienne de ceux n'étant pas imputables à cette faute ; que le DrA..., expert, a rendu son rapport le 2 novembre 2011 ; que, par jugement définitif du 19 janvier 2012, le tribunal administratif de Nîmes a condamné le centre hospitalier de Carpentras à verser la somme de 1 500 euros à Mme G... au titre de son préjudice moral et a rejeté le surplus de sa demande ; que M. C... G..., père de l'enfant B...et ex-époux de Mme F...G..., a demandé le 31 mars 2012 au tribunal administratif de Nîmes, en se fondant sur les rapports des mêmes experts, la condamnation du centre hospitalier de Carpentras pour les mêmes faits à lui verser la somme de 130 000 euros au titre d'une perte de chance et de son préjudice moral ; que, par le jugement attaqué du 3 juillet 2014, les premiers juges ont estimé que le retard à avoir pratiqué la césarienne était constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'hôpital mais ont rejeté sa demande ; qu'en appel, M. G...conclut à ce qu'il soit fait droit à sa demande indemnitaire de première instance ; que le centre hospitalier de Carpentras, qui ne conteste pas l'engagement de sa responsabilité pour retard fautif à avoir pratiqué la césarienne, conclut au rejet de la requête ; que la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse, régulièrement mise en cause, n'a produit ni en première instance ni en appel ;

Sur la responsabilité :

2. Considérant que le jugement attaqué retient une faute du centre hospitalier pour le retard injustifié à pratiquer l'accouchement par césarienne de Mme G...alors que les signes cliniques résultant du monitorage du rythme cardiaque de l'enfant à naître révélaient l'existence d'une souffrance foetale, mais ont écarté les fautes alléguées du centre hospitalier pour n'avoir ni détecté le handicap de l'enfant à naître ni informé M. G...des risques de voir naître un enfant porteur d'un handicap et pour ne pas avoir fait précéder la manoeuvre de version externe d'un monitorage cardiaque du foetus ; qu'en appel, le requérant persiste à invoquer ces fautes de l'hôpital ;

3. Considérant, en premier lieu, que la faute commise par le centre hospitalier du fait du délai anormalement long pour pratiquer l'accouchement par césarienne n'est pas contestée en appel par l'hôpital ; qu'il y a lieu de confirmer les premiers juges en tant qu'ils ont estimé que cette faute dans la prise en charge de l'accouchement de Mme G...était de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Carpentras ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que M. G...demande la réparation de son seul préjudice personnel, à savoir le préjudice moral résultant, en premier lieu, de la situation d'impréparation consécutive à un défaut d'information sur l'origine et l'étendue des anomalies dans le suivi de la grossesse de son épouse, à l'origine d'une perte de chance de faire établir le diagnostic du handicap de son enfant et de décider soit de recourir à un avortement thérapeutique soit de prendre les mesures nécessaires à son accueil optimal et, en second lieu, de l'inquiétude de perdre son épouse et son enfant durant les deux heures de retard à réaliser la césarienne alors qu'il était présent ; qu'en l'absence de lien de causalité entre, d'une part, la tentative de manoeuvre de version et, d'autre part, le défaut de détection anténatale du handicap et le retard d'extraction par césarienne de l'enfant à naître, M. G...ne peut utilement se prévaloir de l'absence de monitorage cardiaque foetal préalablement à la réalisation de cette manoeuvre pour demander la réparation de son préjudice moral ;

5. Considérant, en troisième lieu, que M. G...soutient qu'à aucun moment il n'a été informé d'une quelconque difficulté pendant la grossesse de son épouse, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique qui fait obligation aux médecins d'informer le patient des risques fréquents ou graves normalement prévisibles des actes de prévention ou de soins ; que toutefois, ces dispositions qui résultent de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, n'étaient pas applicables à la date des faits litigieux ; qu'en outre, n'étant pas le patient pris en charge par l'hôpital, le requérant ne peut utilement invoquer la méconnaissance d'un droit à l'information ; que, dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté pour ce motif la faute alléguée du centre hospitalier de Carpentras ;

6. Considérant, en quatrième lieu, que le requérant soutient que le centre hospitalier a commis une faute dans la prise en charge et la surveillance de la grossesse de son épouse jusqu'à son accouchement en ne détectant pas le handicap de l'enfant à naître et en l'ayant ainsi privé d'une chance de demander une interruption de grossesse ;

7. Considérant d'abord, que le jugement attaqué n'ayant pas opposé au requérant l'autorité de la chose jugée définitivement par le tribunal administratif de Nîmes le 5 juillet 2011 sur la demande présentée par la mère de l'enfant, M. G... ne peut utilement faire valoir que cette autorité de chose jugée ne peut lui être opposée au motif qu'il n'était pas alors partie à l'instance ;

8. Considérant ensuite qu'aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable aux faits en litige : " (...) La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. " ;

9. Considérant que le rapport du 2 novembre 2011 de l'expert neurologue et neuropédiatre mentionne une " grossesse d'évolution anormale avec risque potentiel d'anomalie congénitale associée sans qu'elle soit identifiable en l'absence d'anomalie morphologique décelable et/ou d'antécédent familial " et que si le retard de croissance utérin n'a pas été diagnostiqué en anténatal, il n'y avait aucune anomalie morphologique indentifiable avant la naissance ; que Mme G...ne présentait alors, s'agissant d'une première grossesse, aucun antécédent susceptible d'alerter les médecins sur un risque génétique particulier ; que les échographies réalisées ne montraient aucune malformation du foetus ; qu'ainsi, le handicap de l'enfant à naître n'était pas décelable lors des examens ; que si l'expert retient toutefois une absence de contrôle rapproché ou de surveillance particulière pendant la grossesse malgré la constatation de mesures biométriques, échographiques et cliniques du foetus inférieures aux normes, il n'est pas établi que ce défaut de surveillance rapprochée aurait permis de prendre les mesures susceptibles d'atténuer le handicap de l'enfant, dès lors que ce handicap, qui résulterait selon l'expert désigné par le jugement avant dire droit d'une atteinte neurologique non identifiée et dont la majorité des signes sont en rapport avec une encéphalopathie congénitale fixée très anténatale, n'était pas décelable ainsi qu'il a été dit ; qu'en l'absence de lien de causalité établi, l'insuffisant suivi de la grossesse de la mère n'a pas fait perdre au père de l'enfant une chance d'atténuer son préjudice ; que le requérant n'est ainsi pas fondé à demander la réparation du préjudice qu'il aurait subi du fait de l'absence de diagnostic du handicap de l'enfant à naître et d'une surveillance insuffisante de la grossesse ;

Sur le préjudice :

10. Considérant que le retard fautif, d'une durée de l'ordre de deux heures et dans un contexte alarmant de signes d'anoxie foetale, du centre hospitalier à pratiquer la césarienne a été source d'anxiété pour M. G..., alors présent aux côtés de son épouse ; qu'il en est résulté un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation par l'allocation à l'intéressé de la somme de 800 euros ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. G...est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande indemnitaire et à demander que le centre hospitalier de Carpentras soit condamné à lui verser la somme de 800 euros en réparation de son préjudice moral ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge du centre hospitalier de Carpentras le versement à M. G...de la somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 3 juillet 2014 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier de Carpentras versera la somme de 800 euros à M. G...au titre de son préjudice moral.

Article 3 : Le centre hospitalier de Carpentras versera la somme de 2 000 euros à M. G...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...G..., au centre hospitalier de Carpentras et à la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse.

Copie pour information sera adressée au DrA..., au Dr D...et au Pr Chabrol, experts.

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N° 14MA037842

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA03784
Date de la décision : 03/03/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-04-02 Procédure. Instruction. Moyens d'investigation.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: Mme Marie-Claude CARASSIC
Rapporteur public ?: Mme CHAMOT
Avocat(s) : GONY-MASSU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-03-03;14ma03784 ?
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