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23/10/2015 | FRANCE | N°14MA01103

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 9ème chambre - formation à 3, 23 octobre 2015, 14MA01103


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) I Sciuppine a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 19 mars 2012 par laquelle le maire d'Ajaccio a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue du changement de destination de locaux et d'enjoindre à la commune de lui délivrer le permis de construire sollicité.

Par un jugement n° 1200596 du 21 janvier 2014, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de la SCI I Sciuppine et l'a condamnée à verser à la com

mune d'Ajaccio une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du cod...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) I Sciuppine a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 19 mars 2012 par laquelle le maire d'Ajaccio a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue du changement de destination de locaux et d'enjoindre à la commune de lui délivrer le permis de construire sollicité.

Par un jugement n° 1200596 du 21 janvier 2014, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de la SCI I Sciuppine et l'a condamnée à verser à la commune d'Ajaccio une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 7 mars 2014, la SCI I Sciuppine, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200596 du 21 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 mars 2012 par laquelle le maire d'Ajaccio a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue du changement de destination de locaux ;

2°) d'enjoindre à la commune d'Ajaccio de lui délivrer le permis de construire sollicité.

Elle soutient que la demande de permis de construire comportait l'attestation du pétitionnaire prévue par l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme ; le terrain du projet appartient aux consorts B...et non à la commune d'Ajaccio.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 avril 2014, et un mémoire, enregistré le 5 juin 2015, la commune d'Ajaccio conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la SCI I Sciuppine aux entiers dépens et au versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable faute pour l'appelante de produire le jugement attaqué ;

- la requête est irrecevable car elle ne comporte aucun moyen critiquant le jugement attaqué ;

- la SCI a attesté d'une qualité qu'elle savait inexacte ; elle a induit en erreur l'autorité administrative compétente.

Par une lettre du 6 mai 2015 les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la date à partir de laquelle la clôture de l'instruction sera susceptible d'être prononcée et de la date prévisionnelle de l'audience.

Par une ordonnance du 6 juillet 2015, la clôture de l'instruction a été prononcée à la date de son émission.

Le mémoire produit après la clôture de l'instruction pour la SCI I Sciuppine le 24 septembre 2015 n'a pas donné lieu à communication, en application des dispositions de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Giocanti,

- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,

- et les observations de Me C...représentant la commune d'Ajaccio.

1. Considérant que la SCI I Sciuppine relève appel du jugement du 21 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 mars 2012 par lequel le maire d'Ajaccio a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue de changer la destination d'un immeuble existant au double motif que les bâtiments faisant l'objet de la demande de permis de construire n'appartiennent pas au pétitionnaire mais à la commune d'Ajaccio et que ces locaux doivent, préalablement à tout changement de destination, faire l'objet d'une décision de déclassement du domaine public ;

Sur les fins de non recevoir opposées à la requête d'appel par la commune d'Ajaccio :

2. Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles R. 412-1, R. 411-3 et R. 811-13 du code de justice administrative, les requêtes d'appel doivent, à peine d'irrecevabilité, être accompagnées d'une copie du jugement attaqué, qui constitue en appel la décision attaquée ; qu'en l'espèce, la copie du jugement était jointe à la requête adressée le 7 mars 2014 ; que, par suite, le moyen selon lequel la décision attaquée n'aurait pas été produite manque en fait ;

3. Considérant que, dans sa requête d'appel, enregistrée le 7 mars 2014, la SCI I Sciuppine critique la réponse apportée par les premiers juges s'agissant de la propriété du bien immobilier pour lequel elle a sollicité un permis de construire et de sa qualité pour demander un permis de construire ; qu'ainsi, la fin de non recevoir soulevée par la commune d'Ajaccio, tirée de ce que la requête ne constituerait qu'une reproduction intégrale du mémoire de première instance et qu'elle serait dépourvue de toute critique du jugement attaqué manque en fait et ne peut, dès lors, qu'être écartée ;

Sur les conclusions en annulation :

4. Considérant qu'aux termes de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de l'acte attaqué : " Les demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d'avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : / a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ; / b) Soit, en cas d'indivision, par un ou plusieurs co-indivisaires ou leur mandataire ; / c) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l'expropriation pour cause d'utilité publique " ; qu'en vertu du dernier alinéa de l'article R. 431-5 du même code, dans sa rédaction applicable à l'espèce, la demande de permis de construire comporte " l'attestation du ou des demandeurs qu'ils remplissent les conditions définies à l'article R. 423-1 pour déposer une demande de permis " ;

5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l'attestation du pétitionnaire qu'il remplit les conditions définies à l'article R. 423-1 cité ci-dessus ; que les autorisations d'utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s'assurer de la conformité des travaux qu'elles autorisent avec la législation et la réglementation d'urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n'appartient pas à l'autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis, la validité de l'attestation établie par le demandeur ; qu'ainsi, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l'attestation prévue à l'article R. 423-1 du code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande ; qu'il résulte de ce qui précède que les tiers ne sauraient utilement invoquer, pour contester une décision accordant une telle autorisation au vu de l'attestation requise, la circonstance que l'administration n'en aurait pas vérifié l'exactitude ;

6. Considérant, toutefois, que lorsque l'autorité saisie d'une telle demande de permis de construire vient à disposer au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d'instruction lui permettant de les recueillir, d'informations de nature à établir son caractère frauduleux ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu'implique l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, d'aucun droit à la déposer, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif ; qu'il en est notamment ainsi lorsque l'autorité saisie de la demande de permis de construire est informée de ce que le juge judiciaire a remis en cause le droit de propriété sur le fondement duquel le pétitionnaire avait présenté sa demande ;

7. Considérant, en revanche, que la seule circonstance que le pétitionnaire perde, postérieurement à la délivrance du permis de construire, fût-ce à titre rétroactif, la qualité au titre de laquelle il avait présenté la demande de permis de construire n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'illégalité le permis de construire ; qu'il en est notamment ainsi lorsque, postérieurement à la délivrance du permis de construire, une décision du juge prive à titre rétroactif le bénéficiaire de la qualité de propriétaire du terrain sur le fondement de laquelle il a, au titre du a) de l'article R. 423-1, présenté sa demande ;

8. Considérant que pour rejeter la demande de la SCI I Sciuppine tendant à l'annulation de l'arrêté du maire d'Ajaccio refusant de délivrer le permis de construire qu'elle avait sollicité, le tribunal administratif de Bastia a relevé que la SCI requérante n'avait pas qualité, au sens de l'article R. 423-1 précité, pour déposer une demande de permis de construire pour le projet de changement de destination d'un bâtiment existant en immeuble à usage d'habitation et s'était livrée à une manoeuvre de nature à induire l'administration en erreur ; que, pour ce faire, il s'est fondé, d'une part, sur l'existence d'une contestation sérieuse sur la propriété des immeubles en cause et sur une décision judiciaire rendue à propos de l'exécution d'une convention de bail passée entre la SCI A Casetta et la commune d'Ajaccio ;

9. Considérant d'une part, qu'il est constant que les immeubles implantés sur les parcelles cadastrées AO 15, 16, 169, 170, 167, et 244 appartenaient initialement aux consortsB... ; qu'il ressort des pièces du dossier, que, par une convention conclue le 21 janvier 1982 entre la SCI A Casetta dont les consorts B...sont gestionnaires et la commune d'Ajaccio, les immeubles susmentionnés ont été donnés à bail à la commune pour une durée de quinze ans ; que l'article 2 de ladite convention prévoit qu'en cas de manquement de la SCI A Casetta à ses obligations de règlement des échéances du prêt, la commune d'Ajaccio deviendra propriétaire des locaux donnés en location et réalisés avec le concours de l'emprunt ; que la SCI A Casetta a obtenu, par un jugement du tribunal de grande instance d'Ajaccio du 21 mars 2000, l'expulsion de la commune d'Ajaccio des locaux qu'elle occupait en raison de l'expiration du contrat de bail ; que, par ailleurs, la commune d'Ajaccio s'estimant propriétaire du bien en cause en application de l'article 2 de la convention de bail précité a assigné les consorts B...devant le tribunal de grande instance d'Ajaccio en 2005 ; qu'ainsi, la commune d'Ajaccio qui était nécessairement informée qu'un litige concernant la propriété du bien l'opposait aux consorts B...et à leurs sociétés, n'a pas pu être induite en erreur par les déclarations de la société pétitionnaire figurant dans le formulaire CERFA de la demande de permis de construire selon lesquelles cette dernière avait qualité pour demander l'autorisation d'urbanisme ; que l'existence d'un recours pendant devant la juridiction judiciaire ne permettait pas de révéler, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que la SCI I Sciuppine ne disposait pas du droit de déposer une demande de permis de construire ;

10. Considérant d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 10 septembre 2012, le tribunal de grande instance d'Ajaccio a estimé que la commune d'Ajaccio était devenu propriétaire du 1er étage de l'immeuble sur lequel porte le projet depuis le 3 novembre 2001 ; que toutefois, la SCI I Sciuppine est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur une décision juridictionnelle postérieure à la décision du 19 mars 2012 refusant de délivrer le permis de construire, de nature à remettre rétroactivement en cause le titre de propriété du pétitionnaire, pour juger que l'autorité compétente pouvait pour ce motif refuser ledit permis ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a estimé que la SCI I Sciuppine s'était livrée à une manoeuvre de nature à induire l'administration en erreur, constitutive d'une fraude, et que le maire de la commune d'Ajaccio pouvait légalement se fonder sur ce motif pour refuser le permis de construire en litige ;

12. Considérant qu'il y a lieu pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige, par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur la légalité du second motif fondant également le refus contesté que le tribunal administratif n'a pas examiné dès lors qu'il a estimé que le premier motif suffisait à lui seul à justifier légalement le refus en cause ;

13. Considérant qu'il résulte de l'examen du refus de permis de construire contesté que le maire de la commune d'Ajaccio s'est fondé sur un second motif tiré de ce que les locaux, objet de la demande, affectés au service public scolaire et constitutifs de ce fait d'une dépendance du domaine public n'avaient pas fait l'objet d'une décision de déclassement et que le dossier ne comportait pas de pièce exprimant l'accord de l'administration requis par les dispositions de l'article R. 431-13 du code de l'urbanisme ;

14. Considérant que s'il n'est pas sérieusement contesté par la société requérante que les locaux litigieux étaient affectés au service public scolaire avant l'intervention du jugement du tribunal de grande instance du 21 mars 2000 ordonnant l'expulsion de la commune d'Ajaccio des locaux qu'elle occupait en raison de l'expiration du contrat de bail, il résulte du point 10 que la commune n'a été reconnue propriétaire des locaux en cause qu'en vertu du jugement du tribunal de grande instance d'Ajaccio du 10 septembre 2012, intervenu postérieurement au refus contesté ; que, par suite, à la date de ce refus, la commune d'Ajaccio ne justifiant d'aucun titre de propriété sur ces locaux, ces derniers ne pouvaient être regardés comme une dépendance du domaine public communal ; que, dès lors, le second motif retenu par le maire ne pouvait légalement fonder son refus ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SCI I Sciuppine est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus de permis de construire du 19 mars 2012 ; qu'elle est, par suite, fondée à demander tant l'annulation de ce jugement que du refus de permis de construire du 19 mars 2012 ;

Sur les conclusions à fin d' injonction :

16. Considérant que, si le présent arrêt n'implique pas nécessairement la délivrance d'un permis de construire, comme le demande la SCI requérante, son exécution implique néanmoins qu'il soit enjoint au maire d'Ajaccio de se prononcer à nouveau sur la demande de permis de construire de la SCI I Sciuppine ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au maire de la commune d'Ajaccio de procéder à une nouvelle instruction de ladite demande et de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;

Sur les dépens :

17. Considérant que la présente instance n'a donné lieu à aucun dépens pour la commune d'Ajaccio ; que, par suite, les conclusions présentées par elle sur le fondement des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les frais non compris dans les dépens :

18. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la commune d'Ajaccio demande sur leur fondement au titre de ses frais non compris dans les dépens, soit mise à la charge de la SCI I Sciuppine, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 21 janvier 2014 et l'arrêté du 19 mars 2012 refusant un permis de construire à la SCI I Sciuppine sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au maire d'Ajaccio de statuer à nouveau sur la demande de la SCI I Sciuppine et de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune d'Ajaccio sur le fondement des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière I Sciuppine et à la commune d'Ajaccio.

Délibéré après l'audience du 25 septembre 2015 , à laquelle siégeaient :

- Mme Buccafurri, présidente,

- M. Portail , président assesseur,

- Mme Giocanti, conseiller,

Lu en audience publique, le 23 octobre 2015.

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N° 14MA01103


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 9ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA01103
Date de la décision : 23/10/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Urbanisme et aménagement du territoire - Permis de construire - Procédure d'attribution.

Urbanisme et aménagement du territoire - Permis de construire - Procédure d'attribution - Instruction de la demande.


Composition du Tribunal
Président : Mme BUCCAFURRI
Rapporteur ?: Mme Fleur GIOCANTI
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : RANDON

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2015-10-23;14ma01103 ?
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