La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/10/2015 | FRANCE | N°14MA00852

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 13 octobre 2015, 14MA00852


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la Corse-du-Sud a demandé au tribunal administratif de Bastia de procéder à la liquidation de l'astreinte prononcée à l'encontre de M. A...B...par jugement du 28 juin 2004, pour un montant de 11 100 euros correspondant à la période du 10 avril au 3 septembre 2013.

Par un jugement n° 1300914 du 30 janvier 2014, le tribunal administratif de Bastia a condamné M. B... à verser à l'Etat la somme de 11 100 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le

21 février 2014, M. B..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugemen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la Corse-du-Sud a demandé au tribunal administratif de Bastia de procéder à la liquidation de l'astreinte prononcée à l'encontre de M. A...B...par jugement du 28 juin 2004, pour un montant de 11 100 euros correspondant à la période du 10 avril au 3 septembre 2013.

Par un jugement n° 1300914 du 30 janvier 2014, le tribunal administratif de Bastia a condamné M. B... à verser à l'Etat la somme de 11 100 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 février 2014, M. B..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 30 janvier 2014 ;

2°) de rejeter la demande présentée par le préfet de la Corse-du-Sud devant le tribunal administratif de Bastia ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le constat du 3 septembre 2013, qui fonde la demande de liquidation du préfet, est entaché de nullité compte tenu de la présence sur la photographie de la terrasse située hors du domaine public maritime, du caractère erroné des surfaces invoquées ainsi que de l'absence d'occupation physique des lieux et d'entrave à l'accès du public ;

- le domaine public maritime n'a pas été délimité au droit de sa propriété alors que la délimitation est d'ordre public et constitue la condition préalable au constat d'un atteinte à ce domaine ;

- aucune sanction pénale n'a été prononcée à son encontre ;

- il n'est ni le propriétaire, ni le constructeur du ponton litigieux, sur lequel il n'a acquis aucun droit ;

- la remise des lieux en l'état primitif ne concerne pas le ponton, qui préexistait et appartient à l'administration ;

- aucun texte ne fonde le droit des juridictions administratives à infliger une astreinte à l'encontre d'un particulier, ce droit ne trouvant pas davantage sa source dans un principe général du droit ;

- les dispositions des articles L. 911-7 et R. 921-7 du code de justice administrative restreignent les limites de ce pouvoir du juge administratif en lui donnant un pouvoir d'astreinte uniquement à l'égard des personnes morales qu'elles désignent ;

- il résulte de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que seule la loi peut permettre ou justifier une atteinte à la propriété d'une personne physique ;

- ce pouvoir du juge empiète sur le pouvoir législatif dès lors que l'astreinte constitue une sanction financière ayant le caractère d'une punition ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2014, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la Constitution ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chanon, premier conseiller,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de M.B....

Après avoir pris connaissance de la note en délibéré, enregistrée le 29 septembre 2015, présentée pour M. B..., par Me C... ;

1. Considérant que M. B...a bénéficié, jusqu'au 31 décembre 2003, d'une autorisation d'occuper temporairement le domaine public maritime au droit de sa propriété, située sur le territoire de la commune de Bonifacio, lieu-dit " Piantarella ", pour un emplacement total de 67,80 m² servant d'assiette à un appontement (18,29 m²), une terrasse (32,45 m²), un escalier (2,13 m²) et une cale de mise à l'eau (14,97 m²) ; que, par jugement du 28 juin 2004, le tribunal administratif de Bastia, saisi par le préfet de la Corse-du-Sud d'un procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 26 janvier 2004, a condamné M. B...à remettre dans leur état primitif les lieux occupés sans titre sur le domaine public maritime, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 75 euros par jour de retard ; que, par arrêt du 27 février 2006 devenu définitif, la Cour a confirmé ce jugement, sauf en tant que la condamnation était relative à la terrasse ; que, par arrêt devenu définitif du 30 mai 2011 relatif à la liquidation de l'astreinte pour la période du 2 juin 2005 au 11 juin 2008, la Cour a notamment relevé que l'escalier avait été démonté ; que, par jugement du 30 janvier 2014, le tribunal a liquidé l'astreinte à la somme de 11 100 euros pour la période du 10 avril au 3 septembre 2013, au motif que M. B...ne justifiait pas avoir évacué du domaine public maritime la cale de mise à l'eau et l'appontement ; que M. B...relève appel de ce jugement ;

2. Considérant, en premier lieu, que la faculté reconnue aux juges de prononcer une astreinte à l'encontre de personnes privées en vue de l'exécution de leurs décisions, dont découle celle de liquider cette astreinte lorsque la personne se refuse, à l'issue du délai qui lui a été imparti, à exécuter la décision, a le caractère d'un principe général ; que, s'il n'appartient qu'au législateur de déterminer, d'étendre ou de restreindre les limites de cette faculté, le juge peut, en l'absence de dispositions législatives en ce sens, en faire usage sans texte, le cas échéant d'office ; que les dispositions des articles L. 911-7 et R. 921-7 du code de justice administrative ne peuvent être regardées comme restreignant les limites du pouvoir du juge administratif de prononcer une astreinte à l'encontre de personnes privées mais complètent au contraire ce pouvoir en l'étendant aux astreintes prononcées à l'encontre des personnes morales de droit public et des organismes de droit privé chargés de la gestion d'un service public, sur le fondement des articles L. 911-1 à L. 911-3 du même code ;

3. Considérant, d'une part, que l'astreinte, qui a pour objet de contraindre la personne qui s'y refuse à exécuter les obligations que le juge a fixées, ne constitue pas une peine ou une sanction, au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que, par conséquent, la circonstance que la faculté pour le juge administratif de liquider une astreinte à l'encontre d'une personne privée occupant irrégulièrement le domaine public ne soit pas prévue par la loi ne méconnaît aucune disposition à valeur constitutionnelle, et notamment pas l'exigence de séparation des pouvoirs ;

4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, ces stipulations, en mentionnant " les conditions prévues par la loi ", visent à la fois le droit écrit et le droit non écrit, et exigent seulement que ce droit soit, d'une part, suffisamment accessible et, d'autre part suffisamment précis et prévisible pour que le citoyen, en s'entourant le cas échéant de conseils éclairés, soit à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à découler d'un acte déterminé ;

5. Considérant que, comme le Conseil d'Etat statuant au contentieux l'a jugé dans sa décision n° 377487 du 6 mai 2015, la faculté d'assortir sa décision d'une astreinte, en application du principe général rappelé au point 3, est employée de manière constante, depuis plusieurs décennies, par le juge administratif statuant en matière d'occupation irrégulière du domaine public ; qu'ainsi, la personne faisant l'objet d'une action contentieuse devant le juge administratif pour occupation irrégulière du domaine public est en mesure de prévoir que ce juge peut assortir l'injonction de libérer les lieux d'une astreinte, qui sera en principe liquidée si, à l'issue du délai fixé par le jugement, celui-ci n'a pas été entièrement exécuté ; qu'en conséquence, la circonstance que la faculté pour le juge administratif de liquider une astreinte à l'encontre d'une personne privée occupant irrégulièrement le domaine public ne soit pas prévue par la loi ne méconnaît pas l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que le juge de l'exécution est tenu par l'autorité de la chose jugée par la décision dont l'exécution est demandée ; que, dès lors, doivent être écartés comme inopérants, dans la présente instance relative à la liquidation de l'astreinte, les moyens tirés de ce que le domaine public n'aurait fait l'objet d'aucune délimitation, de ce que M. B... n'occuperait pas physiquement les lieux, n'entraverait pas l'accès du public, n'aurait pas construit l'appontement litigieux et n'en serait pas propriétaire, de ce qu'aucune sanction pénale n'aurait été prononcée à son encontre, et de ce que la remise des lieux en l'état primitif ne concernerait pas le ponton, qui aurait préexisté et appartiendrait à l'administration ;

7. Considérant, en troisième et dernier lieu, qu'il résulte des énonciations du procès-verbal de constat en date du 3 septembre 2013 que M. B...n'a pas pris les mesures nécessaires pour exécuter, dans le délai qui lui avait été imparti, le jugement du 28 juin 2004, en ce qui concerne l'appontement et la cale, soit une superficie de 33 m² ; que, contrairement à ce qui est soutenu, les photographies jointes au constat montrent que le rail amovible de la cale de mise à l'eau était présent sur le domaine public maritime le 3 septembre 2013 ; qu'il n'est pas contesté que l'appontement n'a pas été démoli ; que ces deux équipements irrégulièrement implantés sur le domaine public maritime occupent, ainsi qu'il résulte de ce qui a été dit au point 1, une superficie totale d'environ 33 m² conformément aux indications du procès-verbal ; que la circonstance que figure également en annexe à ce constat une photographie de la terrasse, alors que celle-ci n'est pas implantée sur le domaine public maritime, est dépourvue d'incidence sur la régularité du procès-verbal ; que, par suite et en tout état de cause, le procès-verbal de constat du 3 septembre 2013 n'est pas entaché d'irrégularité alors qu'il n'appartient qu'à M. B... d'établir qu'il a exécuté le jugement du tribunal en date du 28 juin 2004 tel que réformé par l'arrêt de la Cour du 27 février 2006 ; que, dans ces conditions, le jugement du 28 juin 2004 n'a toujours pas été entièrement exécuté ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a liquidé l'astreinte à la somme de 11 100 euros pour la période du 10 avril au 3 septembre 2013 ; que, par suite, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Copie en sera transmise au préfet de la Corse-du-Sud.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lascar, président de chambre,

- M. Guidal, président assesseur,

- M. Chanon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 octobre 2015.

''

''

''

''

2

N° 14MA00852

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA00852
Date de la décision : 13/10/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-06-07-01 Procédure. Jugements. Exécution des jugements. Astreinte.


Composition du Tribunal
Président : M. LASCAR
Rapporteur ?: M. René CHANON
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : CABINET NATIVI-ROUSSEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 23/12/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2015-10-13;14ma00852 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award