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25/09/2015 | FRANCE | N°14MA00455

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 25 septembre 2015, 14MA00455


Vu le recours, enregistré au greffe de la Cour le 24 janvier 2014 sous le n° 14MA00455, présenté par le ministre de la défense, qui demande à la Cour d'annuler le jugement n° 0901805 rendu le 22 novembre 2013 par le tribunal administratif de Toulon en tant que ce jugement l'a condamné à verser à M. B...C...une indemnité en principal de 8 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal et du produit de leur capitalisation, en réparation du préjudice moral subi par ce dernier, ensemble la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; >
Le ministre de la défense soutient que :

- le tribunal administr...

Vu le recours, enregistré au greffe de la Cour le 24 janvier 2014 sous le n° 14MA00455, présenté par le ministre de la défense, qui demande à la Cour d'annuler le jugement n° 0901805 rendu le 22 novembre 2013 par le tribunal administratif de Toulon en tant que ce jugement l'a condamné à verser à M. B...C...une indemnité en principal de 8 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal et du produit de leur capitalisation, en réparation du préjudice moral subi par ce dernier, ensemble la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Le ministre de la défense soutient que :

- le tribunal administratif de Toulon ne pouvait allouer l'indemnité en litige de 8 000 euros sans prendre en compte les circonstances particulières de l'espèce ; M.C..., qui n'a pas développé de pathologies liées à son exposition à l'amiante, a bénéficié du dispositif de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, dont le régime juridique compense tout préjudice susceptible d'être né de cette exposition à l'amiante, incluant le préjudice d'anxiété ; M. C...ne justifie pas avoir été exposé directement aux poussières d'amiante, nonobstant le fait qu'il bénéficie du dispositif susmentionné ; il y a lieu de prendre en compte l'exposition particulière de M.C..., notamment la durée de son exposition ; au surplus, le préjudice indemnisé est incertain et futur ; le quantum alloué de 8 000 euros est excessif ; la même somme est en effet allouée en cas de pathologie avérée ; ni constat médical ni témoignage ne caractérisent l'anxiété indemnisée par les premiers juges ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré au greffe de la Cour le 22 avril 2014, présenté par la société d'avocats Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu pour M. B...C..., qui demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête d'appel ;

2°) de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a limité à 8 000 euros le montant en principal de son indemnisation ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité totale en principal de 30 000 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

M. C...soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal, d'une part, a retenu la carence fautive de l'Etat de nature à engager sa responsabilité, d'autre part, a retenu le principe de l'indemnisation de son préjudice moral ; toutefois, le montant en principal de 8 000 euros alloué par les premiers juges en réparation dudit préjudice moral est insuffisant et il réclame à ce titre un montant en principal de 15 000 euros ; il réclame en outre la somme en principal de 15 000 euros en réparation de ses troubles dans les conditions d'existence, les premiers juges ayant estimé à tort que ce chef de préjudice n'était pas établi ; or il démontre de tels troubles, ayant dû subir un suivi médical

post-professionnel ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 et notamment son article 41 ;

Vu la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 et notamment son article 53 ;

Vu le décret du 26 février 1897 modifié relatif à la situation du personnel civil d'exploitation des établissements militaires ;

Vu le décret du 1er avril 1920 modifié relatif au statut du personnel ouvrier des arsenaux et établissements de la marine ;

Vu le décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante ;

Vu le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 modifié relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat du ministère de la défense ;

Vu le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 relatif au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante institué par l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 ;

Vu l'arrêté du 28 février 1995, pris en application de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale, fixant le modèle type d'attestations d'exposition et les modalités d'examen dans le cadre du suivi post-professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérigènes ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 septembre 2015 :

- le rapport de Mme Vincent-Dominguez,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., du cabinet d'avocats Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu, pour M.C....

1. Considérant que M.C..., ouvrier de l'Etat relevant du ministère de la défense, ayant exercé ses fonctions dans des bâtiments affectés par des poussières d'amiante et bénéficié à ce titre du dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante instauré par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 et son décret d'application susvisé n° 2001-1269 du 21 décembre 2001, a demandé au tribunal administratif de Toulon de réparer les conséquences dommageables de son exposition aux poussières d'amiante ; que, par le jugement attaqué, qui n'est pas contesté sur ce point par le ministre appelant, le tribunal a retenu la carence fautive de l'Etat dans la mise en oeuvre de mesures de protection particulières contre les poussières d'amiante dans les ateliers où a travaillé M.C... ; que s'agissant de la réparation, le tribunal a alloué à M. C...la somme en principal de 8 000 euros au titre du préjudice moral, augmentée des intérêts au taux légal et du produit de leur capitalisation, en rejetant le surplus de ses conclusions indemnitaires de première instance ; que, par son appel principal, le ministre de la défense demande la réformation de ce jugement en soutenant, à titre principal, qu'un tel préjudice moral ne peut être indemnisé, à titre subsidiaire, que le montant en principal de 8 000 euros alloué est excessif ; que, par son appel incident, M. C...demande à la Cour de porter au montant de 15 000 euros en principal la réparation de son préjudice moral, et de l'indemniser, en outre et au surplus, des troubles subis dans les conditions d'existence à hauteur de la somme en principal de 15 000 euros ;

2. Considérant, en premier lieu, que les premiers juges ont retenu la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) dans la mise en oeuvre de mesures de protection particulières contre les poussières d'amiante dans les ateliers où a travaillé M.C..., aux motifs qu'en sa qualité d'employeur, il ne pouvait ignorer les risques inhérents à l'inhalation de poussières d'amiante, compte tenu notamment de l'édiction dès 1977 du décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante et du fait qu'il n'était pas contesté que depuis la parution de ce décret, aucune mesure de protection particulière contre ces poussières n'a été prise dans les ateliers où a travaillé M.C..., exposant ainsi ce dernier à des conditions de travail dangereuses pour son état de santé ; qu'il résulte de l'instruction que le ministre appelant ne conteste pas devant la Cour l'engagement de sa responsabilité ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. C...n'a pas développé de pathologies notamment pulmonaires en lien avec son exposition passée aux poussières d'amiante ; que le préjudice, qu'il a qualifié en première instance de préjudice "d'anxiété", n'est pas constitutif devant le juge administratif d'un poste de préjudice spécifique, mais doit être regardé comme incorporé dans les postes constitués par les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral, susceptibles d'être indemnisés sans que soit nécessairement caractérisé un état pathologique d'anxio-dépression ;

4. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'est établi de façon statistiquement significative le lien entre une exposition suffisamment longue d'un travailleur aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie ; que la reconnaissance de ce lien par le législateur, sur la base d'études statistiques générales, a été à l'origine de la mise en place de deux dispositifs d'indemnisation fondés sur la solidarité nationale, d'une part et s'agissant des travailleurs effectivement tombés malades, par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, d'autre part, et s'agissant de tous les travailleurs, par le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; que M.C..., qui n'a pas contracté de maladie, bénéficie de ce dernier dispositif lequel, compte tenu des termes de l'article 41 précité de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 éclairés par les débats parlementaires, ne l'indemnise pas intégralement des conséquences dommageables de sa période passée d'exposition aux poussières d'amiante ;

5. Considérant, en quatrième lieu, que ces études statistiques générales susmentionnées ne suffisent pas, à elles seules, à établir l'existence des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral invoqués par M. C...du seul fait d'une diminution probable de son espérance de vie, et qu'il appartient donc à ce dernier d'apporter devant le juge des éléments complémentaires probants relatifs à sa situation personnelle ; qu'il résulte à cet égard de l'instruction, ainsi que l'ont relevé les premiers juges qui ont, contrairement à ce que soutient le ministre, pris en considération les circonstances de l'espèce, que M.C..., né en 1956, a travaillé en qualité de dessinateur mécanique, au sein de la direction des constructions navales de Toulon du 3 janvier 1983 au 30 juin 2008, dans des ateliers l'exposant aux poussières d'amiante pendant une suffisamment longue période pour permettre, d'une part, de le faire bénéficier du régime de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante à compter du 1er juillet 2008, d'autre part, de l'inclure dans le dispositif préventif prévu par l'arrêté susvisé du 28 février 1995, dont l'annexe II prévoit une surveillance post-professionnelle par examen clinique médical et examen radiographique du thorax, tous les deux ans ; que les données techniques versées au dossier montrent que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons, traversent ceux-ci jusqu'à la plèvre, sans que l'organisme puisse les éliminer, et peuvent provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales ;

6. Considérant, en cinquième lieu et s'agissant du préjudice moral, qu'il résulte de l'instruction, eu égard notamment à la circonstance que certains de ses anciens collègues de travail sont décédés du fait de l'amiante et compte-tenu également des attestations qu'il produit, que M. C...vit dans la crainte de découvrir subitement une pathologie grave, nonobstant le fait que son état de santé ne s'accompagne pour l'instant d'aucun symptôme clinique ou manifestation physique, et qu'il subit à ce titre un préjudice moral ; que ce préjudice moral est en lien suffisamment direct et certain avec la carence fautive susmentionnée de l'Etat en sa qualité d'employeur ; que par le jugement attaqué, le tribunal a fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en évaluant la réparation de ce préjudice moral à la somme en principal de 8 000 euros ;

7. Considérant, en sixième lieu et s'agissant des troubles dans les conditions d'existence, qu'il résulte de l'instruction que M. C...ne verse au dossier aucun élément de nature à établir qu'il a dû subir des examens médicaux à une fréquence telle qu'elle aurait généré de tels troubles ; qu'en outre, les attestations produites, compte tenu de leur caractère insuffisamment circonstancié à cet égard, ne démontrent pas une perte de l'élan vital accompagnée de perturbations dans ses projets de vie telles qu'elles justifieraient une réparation indemnitaire ; que dans ces conditions, et en l'absence de circonstances particulières, M. C...n'est pas fondé à demander la réparation de troubles dans les conditions d'existence ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que ni le ministre de la défense par son appel principal, ni M. C...par son appel incident, ne sont fondés à demander à la Cour de réformer le jugement attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés devant la Cour par M. C...;

D E C I D E :

Article 1er : Le recours n° 14MA00455 du ministre de la défense est rejeté.

Article 2 : Les conclusions indemnitaires incidentes de M. C...sont rejetées.

Article 3 : L'Etat (ministère de la défense) versera à M. C...la somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense et à M. B...C....

Délibéré après l'audience du 4 septembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Gonzales, président de chambre,

- M. Renouf, président-assesseur,

- Mme Vincent-Dominguez, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 septembre 2015.

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N° 14MA00455


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA00455
Date de la décision : 25/09/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice - Troubles dans les conditions d'existence.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice - Préjudice moral.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: Mme Aurélia VINCENT-DOMINGUEZ
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2015-09-25;14ma00455 ?
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