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12/06/2015 | FRANCE | N°13MA04587

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre - formation à 3, 12 juin 2015, 13MA04587


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour, sous le n° 13MA04587, le 5 décembre 2013, présentée pour la société Carrefour Hypermarchés, dont le siège social est au 1 rue Jean Mermoz à Evry (91002), par Me A...;

La société Carrefour Hypermarchés demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1006898 du 8 octobre 2013 du tribunal administratif de Marseille qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 412 euros HT en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi résultant de la manifestation de marins pê

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Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour, sous le n° 13MA04587, le 5 décembre 2013, présentée pour la société Carrefour Hypermarchés, dont le siège social est au 1 rue Jean Mermoz à Evry (91002), par Me A...;

La société Carrefour Hypermarchés demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1006898 du 8 octobre 2013 du tribunal administratif de Marseille qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 412 euros HT en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi résultant de la manifestation de marins pêcheurs qui s'est tenue le 28 mai 2008 sur le site du magasin Carrefour de Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône) ;

2°) d'annuler la décision du préfet des Bouches-du-Rhône rejetant sa demande tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de la manifestation du 28 mai 2008 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 482,04 euros, sauf à parfaire, en réparation des dommages subis lors de la manifestation en date du 28 mai 2008 ;

4°) de condamner l'Etat à leur verser les intérêts de droit desdites sommes à compter de la date d'enregistrement de la requête et de leur capitalisation à l'expiration de chaque délai annuel, en application de l'article 1154 du code civil ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- sur la responsabilité sans faute au titre de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, la condition tenant à l'attroupement telle qu'elle est définie par la loi est parfaitement remplie ;

- l'argument du préfet selon lequel les délits à l'origine des dommages n'ont pas été commis de manière spontanée mais étaient prémédités est matériellement inexact et infondé ; il ne produit aucune pièce pertinente établissant le caractère prémédité des actes de blocage et de dégradation survenus le 28 mai 2008 au sein du magasin Carrefour ; les manifestants s'y trouvant agissaient avant tout dans un but de protestation ; leurs actes ne peuvent être qualifiés d'opérations " commando " ;

- sur la responsabilité pour faute simple du fait de la carence des forces de l'ordre, le Tribunal a également mal apprécié les faits ; il a opéré une confusion entre la notion de carence et la notion de faute ; au cas d'espèce, l'existence de la carence des forces de l'ordre n'a jamais été contestée par le préfet ; en considérant que l'existence d'une carence n'était pas rapportée, le Tribunal a donc commis une erreur manifeste d'appréciation de la notion de carence en droit administratif qui justifie l'annulation ou la réformation du jugement entrepris ;

- le Tribunal a inversé la charge de la preuve ; c'est en effet, au représentant de l'Etat d'apporteur la preuve de ce que les forces de l'ordre ont pris des mesures tendant à prévenir et à réprimer les atteintes à l'ordre public ;

- l'inaction des forces de l'ordre présente un caractère injustifié ;

- sur la rupture d'égalité devant les charges publiques, le préjudice subi par elle revêt bien un caractère anormal et spécial ;

- son préjudice s'élève en l'état à la somme de 5 482,04 euros ; en outre, l'atteinte à son image lui a causé un préjudice estimé à hauteur de 5 000 euros ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le courrier du 23 décembre 2014 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les informant de la date ou de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et précisant la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2015, présenté par le préfet des Bouches-du-Rhône qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- sur la responsabilité sans faute de l'Etat, le critère de l'existence d'un attroupement n'est pas rempli ; les actes de vols prémédités commis avec violence par un groupe d'une cinquantaine de marins pêcheurs le 28 mai 2008 dans le magasin Carrefour ne sont pas le fait d'un attroupement mais de personnes isolées, organisées et réunies pour mener des actions violentes qualifiables d'opérations " commandos " ;

- sur l'application des principes généraux de la responsabilité sans faute et de la rupture d'égalité devant les charges publiques, en l'espèce, les autorités publiques ne se sont pas abstenues d'agir mais ont été placées dans l'impossibilité matérielle d'agir efficacement ; par conséquent, le dommage n'est pas la conséquence d'une décision de l'administration ; l'ensemble constitué par les nombreuses victimes des actes et opérations menées par les marins pêcheurs sur l'ensemble du territoire national est beaucoup trop vaste pour qualifier le préjudice de spécial ;

- sur la responsabilité pour faute, les circonstances de fait permettent d'exclure la faute lourde ; d'une part, les évènements ont fait l'objet d'un suivi attentif tant au plan national qu'au plan local de la part des services chargés d'assurer la sécurité publique ; d'autre part, le caractère exceptionnel des actions violentes intervenues sur l'ensemble du territoire et spécifiquement dans le département des Bouches-du-Rhône a montré que les autorités investies du pouvoir du police ont été confrontées à une conjoncture particulièrement défavorable ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 16 janvier 2015, présenté pour la société Carrefour Hypermarchés par MeA..., par lequel elle conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;

Vu l'avis d'audience adressé le 7 avril 2015 portant clôture d'instruction en application des dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision en date du 1er septembre 2014 du président de la cour administrative d'appel de Marseille portant désignation, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, de M. Michel Pocheron, président-assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Bocquet, président de la 5ème chambre ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 mai 2015 :

- le rapport de Mme Marchessaux, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;

- et les observations de Me B...pour la société Carrefour Hypermarchés ;

1. Considérant que la société Carrefour Hypermarchés relève appel du jugement du 8 octobre 2013 du tribunal administratif de Marseille qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 412 euros HT euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi résultant de la manifestation de marins pêcheurs qui s'est tenue le 28 mai 2008 sur le site du magasin Carrefour de Port-de-Bouc ;

Sur le fond :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, désormais repris à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) " ;

3. Considérant que l'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 28 mai 2008 vers 15h30, en dehors de toute manifestation de rue, une groupe de quarante à cinquante individus constitués de marins pêcheurs ont pénétré dans les locaux du supermarché Carrefour situé à Port-de-Bouc, munis de caddies, se sont dirigés vers les rayons de poissons frais et surgelés et les ont vidés de leur contenu pour, ensuite, les distribuer aux clients du magasin sur le parking de l'enseigne ; que la société Carrefour Hypermarchés ne démontre pas que les manifestants se trouvant sur place disposaient de tracts ; que la circonstance que ces faits, manifestement prémédités et organisés, se soient déroulés dans un contexte national de revendications de pêcheurs contre la hausse du prix du pétrole ne suffit pas à établir que les agissements à l'origine des dommages en cause ont été commis par un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques :

5. Considérant que les préjudices dont la société Carrefour Hypermarchés demande réparation correspondent à une perte de marchandises estimée à 5 482,04 euros ainsi qu'à une atteinte à son image évaluée à 5 000 euros ; que, toutefois, outre que ce dernier préjudice n'est nullement démontré, il n'est pas établi que, eu égard au montant de ces pertes rapporté à la durée de l'inaction des services de police, ainsi qu'au caractère général des mouvements et actions de cette nature déclenchées par des marins pêcheurs en mai 2008 sur le territoire national, la société requérante ait subi un préjudice anormal et spécial dont elle serait fondée à demander réparation sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques ;

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'Etat :

6. Considérant que contrairement à ce que soutient la société Carrefour Hypermarchés, le Tribunal n'a pas confondu les notions de faute et de carence ni n'a estimé que l'existence d'une carence n'était pas établie ; qu'en effet, il résulte de l'instruction que les services de police, prévenus à 15h30 par un appel téléphonique du directeur du magasin Carrefour de Port-de-Bouc alors que le groupe entrait en action, se sont immédiatement mobilisés pour être sur place à 15h40 comme cela ressort du rapport rédigé par le préfet délégué pour la défense et la sécurité en date du 25 août 2010 ; qu'ainsi, le Tribunal a estimé à juste titre qu'eu égard au bref délai de cette action et au nombre de marins pêcheurs y participant, l'administration ne pouvait mobiliser les forces de l'ordre nécessaires pour l'empêcher et qu'enfin la circonstance que les agents de police qui se sont rendus sur les lieux ne sont pas intervenus, suivant les instructions du parquet et du sous-préfet, dans la mesure où une telle intervention pouvait présenter un risque plus important pour l'ordre public qu'une abstention d'agir, ne constituait pas une carence fautive, l'administration disposant, eu égard à la mission d'intérêt général qui lui incombe, d'une marge d'appréciation en la matière quand bien même les manifestants n'auraient fait preuve d'aucune animosité alors que, par ailleurs, la requérante elle-même invoque un risque de débordement ; que ce faisant, les premiers juges ont exclu l'existence d'une faute par carence et donc d'une carence fautive ; qu'il ne ressort pas du jugement attaqué que le Tribunal aurait inversé la charge de la preuve ; qu'en effet, contrairement à ce que soutient la requérante, il lui revient d'établir les faits en matière de faute lourde ; que, par suite, la société Carrefour Hypermarchés n'est pas fondée à soutenir que l'Etat, dont la responsabilité en matière d'exécution des opérations de maintien de l'ordre ne peut être engagée que pour une faute lourde, aurait commis une telle faute ; qu'en l'absence de faute de l'Etat de nature à engager sa responsabilité, les conclusions de l'appelante tendant à la condamnation de celui-ci à lui verser la somme de 10 482,04 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis ne peuvent qu'être rejetées ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Carrefour Hypermarchés n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à la société Carrefour Hypermarchés quelque somme que ce soit au titre des frais que celle-ci a exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Carrefour Hypermarchés est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Carrefour Hypermarchés et préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 22 mai 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président-assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative ;

- Mme Hamelline, premier conseiller,

- Mme Marchessaux, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 juin 2015.

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No 13MA04587


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13MA04587
Date de la décision : 12/06/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-01-05-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité régie par des textes spéciaux. Attroupements et rassemblements (art. L. 2216-3 du CGCT).


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. REVERT
Avocat(s) : SELARL CARAKTERS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2015-06-12;13ma04587 ?
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