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04/06/2015 | FRANCE | N°13MA03405

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 04 juin 2015, 13MA03405


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A...a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner le centre hospitalier de Grasse à lui verser la somme de 248 755 euros en réparation de préjudices subis à la suite d'une intervention chirurgicale réalisée dans cet établissement le 2 octobre 2008.

Par un jugement n° 1101950 du 14 juin 2013, le tribunal administratif de Nice a condamné le centre hospitalier de Grasse à verser à l'intéressée une indemnité de 20 000 euros et une indemnité de 36 865,31 euros à la caisse pri

maire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.

Procédure devant la Cour :

Par une ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A...a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner le centre hospitalier de Grasse à lui verser la somme de 248 755 euros en réparation de préjudices subis à la suite d'une intervention chirurgicale réalisée dans cet établissement le 2 octobre 2008.

Par un jugement n° 1101950 du 14 juin 2013, le tribunal administratif de Nice a condamné le centre hospitalier de Grasse à verser à l'intéressée une indemnité de 20 000 euros et une indemnité de 36 865,31 euros à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 14 août 2013, Mme A..., représentée par MeE..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Grasse à lui verser la somme de 231 117,80 euros assortis des intérêts légaux à compter du 3 février 2011, la somme de 900 euros au titre des frais d'expertise et de mettre à la charge du centre hospitalier de Grasse la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a suffisamment justifié de ses pertes de salaires ;

- la minoration de ses droits à une retraite à taux plein est consécutive au dommage ;

- ses préjudices personnels ont été insuffisamment réparés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2013, le centre hospitalier de Grasse conclut à l'annulation du jugement et au rejet des demandes de MmeA..., subsidiairement à une réduction des sommes mises à sa charge et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le geste et l'indication opératoires n'étaient pas fautifs ;

- il n'y a pas eu de retard de diagnostic ;

- il n'a pas commis de faute au regard de l'obligation d'information ;

- un éventuel défaut d'information n'est pas à l'origine d'un préjudice pour Mme A...qui ne pouvait se soustraire au risque qui s'est réalisé ;

- la perte de chance a été évaluée de façon excessive ;

- les prétentions indemnitaires sont excessives ;

- les sommes allouées à l'organisme social sont excessives.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, par un courrier dont l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a accusé réception le 7 avril 2015, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les dommages subis sont indemnisables au titre du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

La procédure a été communiquée à l'ONIAM le 2 avril 2015, par un pli dont ce dernier a accusé réception le 9 avril 2015.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les recours subrogatoires des tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime d'un dommage corporel, organisés notamment par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, ne pouvant être exercés contre l'ONIAM lorsque celui-ci prend en charge la réparation de ce dommage au titre de la solidarité nationale, la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes ne peut obtenir le remboursement de ses débours sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

Par mémoire enregistré le 20 avril 2015, l'ONIAM conclut à sa mise hors de cause.

Il soutient que :

- en l'absence de demande dirigée contre lui, il doit être mis hors de cause ;

- les conditions de son intervention ne sont pas réunies, les seuils de gravité n'étant pas atteints et la condition tenant au caractère anormal du dommage n'étant pas remplie.

Par ordonnance du 3 avril 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 30 avril 2015.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de MmeD...,

- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique,

- et les observations de Me C...pour le centre hospitalier de Grasse et de Me F...pour l'ONIAM.

1. Considérant que, le 2 octobre 2008, Mme A...a subi au centre hospitalier de Grasse une intervention en vue de l'ablation par voie coelioscopie de l'ovaire et de la trompe droits ; que Mme A...ayant présenté de violentes douleurs dans les suites de cette opération, une lésion de l'uretère droit a été diagnostiquée ; que cette lésion a rendu nécessaires de nouvelles hospitalisations et interventions chirurgicales ; que Mme A...relève appel du jugement du 14 juin 2013 du tribunal administratif de Nice qui n'a que partiellement fait droit à ses conclusions indemnitaires ; que le centre hospitalier de Grasse relève également appel de ce jugement par la voie de l'appel incident ;

Sur le manquement à l'obligation d'information retenu par le tribunal :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) /En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen " ;

3. Considérant que, pour juger que la responsabilité du centre hospitalier était entièrement engagée en raison d'un manquement à l'obligation d'information prescrite par ces dispositions, le tribunal a indiqué, d'une part, qu'il existait une alternative à l'intervention par coelioscopie, intervention qui avait entraîné les préjudices litigieux et dont il résultait de l'instruction qu'elle était plus compliquée à réaliser dans le cas de l'appelante du fait de la présence de multiples cicatrices et d'une endométriose et, d'autre part, qu'il n'était pas établi qu'une laparotomie présentait dans le cas de la requérante des risques particuliers autres que ceux inhérents à toute intervention de ce type ;

4. Considérant, en premier lieu, que Mme A...n'a invoqué le manquement à l'obligation d'information que pour soutenir qu'elle avait été privée de la possibilité d'opter pour une autre technique opératoire ; qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il existait une alternative à la chirurgie, l'expert relevant que l'indication opératoire était tout à fait justifiée ; que l'appelante indique ainsi que l'hôpital a commis une faute " en omettant d'informer Mme A...des complications éventuelles de l'intervention par coelioscopie, ce qui a privé Mme A...de la chance de pouvoir décider plutôt d'une laparotomie qui ne l'exposait pas aux mêmes risques " ; que l'appelante n'a jamais soutenu ni en première instance ni en appel qu'informée du risque de blessure de l'uretère que comportait l'intervention réalisée, elle aurait été susceptible d'y renoncer, mais s'est cantonnée à une argumentation tirée de ce qu'informée du risque spécifique à la technique coelioscopique, elle aurait été susceptible d'opter pour une laparotomie ; que si elle soutient en appel avoir été " privée de la possibilité de choisir la laparotomie au lieu de la coelioscopie ou tout autre traitement ", les termes employés ne permettent pas de la regarder comme ayant entendu soutenir que le défaut d'information invoqué l'aurait privée d'une chance de renoncer à l'intervention dès lors que ces termes mêmes excluent clairement cette option ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, dont la régularité n'est pas critiquée par MmeA..., que la cause probable de la lésion de l'uretère réside dans une ischémie secondaire résultant soit d'une dissection des adhérences pour libérer l'ovaire trop proche soit d'un courant de coagulation transmis par l'uretère ; que cette lésion ne s'est pas produite au cours de l'intervention litigieuse ; que l'expert n'a nullement indiqué que le mode opératoire retenu serait à l'origine de cette complication ; qu'il s'est borné à mentionner que " La technique chirurgicale était fonction de l'opérateur. Effectivement la coelioscopie pouvait être plus compliquée à réaliser du fait de la présence de multiples cicatrices et d'une endométriose, mais celle-ci restait possible et pouvait à tout moment être transformée en une laparotomie s'il y avait eu un doute sur la lésion d'un organe ou une lésion de cet organe authentifiée durant la coelioscopie " ; que ces indications ne peuvent être lues comme signifiant que la coelioscopie comportait un risque de lésion de l'uretère accru ; qu'elles signifient simplement que le choix du mode opératoire dépendait de l'expérience de l'opérateur qui devait être suffisante et de sa maîtrise de la technique opératoire choisie pour une intervention s'annonçant, par voie coelioscopique, délicate ; que le rapport d'expertise est silencieux sur l'existence d'un risque supplémentaire de lésion urétérale lié à ce mode opératoire ; que l'expert a indiqué que cette lésion constituait une complication fréquente de ce type de chirurgie, et non de cette technique chirurgicale, si bien que le taux de complication qu'il indique ne peut être compris comme correspondant aux complications spécifiques à la technique coelioscopique ; qu'enfin l'expert n'a nullement indiqué que la chirurgie par laparotomie, qui présente, notamment, une rançon cicatricielle bien supérieure à la coelioscopie, comporterait un risque de lésion de l'uretère moindre ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les pièces du dossier ne faisaient apparaître ni que le dommage subi par la patiente était consécutif à la technique opératoire retenue ni qu'une laparotomie aurait présenté des risques de lésion de l'uretère moindres ; qu'elles ne permettaient pas de retenir que le risque de complication urétérale de cette chirurgie serait lié à la voie d'abord coelioscopique plutôt, par exemple, qu'à la formation de l'opérateur à ce type d'approche, comme le suggèrent les observations de l'expert ; qu'elles ne mettaient pas davantage en évidence que les interventions réalisées par voie coelioscopique présenteraient des taux de complications urétérales différents de celles réalisées par voie ouverte, ni, a fortiori, supérieurs ; que dans ces conditions, le centre hospitalier de Grasse est fondé à soutenir que le tribunal ne pouvait, sans se méprendre, juger que le manquement du centre hospitalier à son devoir d'information était à l'origine pour Mme A...d'une perte de chance d'éviter le dommage, a fortiori d'une perte de chance évaluée à 100 % ;

7. Considérant qu'il appartient à la Cour d'examiner, par la voie de l'effet dévolutif, les autres moyens présentés par MmeA..., tant en première instance qu'en appel ;

Sur la responsabilité de centre hospitalier de Grasse :

8. Considérant qu'il résulte des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que la responsabilité des établissements publics de santé est engagée en cas de faute ;

En ce qui concerne le geste chirurgical :

9. Considérant que l'expert, après avoir précisé que l'indication opératoire était justifiée, a indiqué que la lésion de l'uretère droit de MmeA..., par probable ischémie, était secondaire à l'intervention et correspondait à une complication fréquente de ce type de chirurgie ; qu'un uro-scanner a été effectué le jour même de l'intervention et a démontré l'intégrité de l'uretère droit de MmeA... ; que cette dernière n'est pas fondée à soutenir, au vu des pièces du dossier et des conclusions de l'expert, qu'un geste médical fautif est à l'origine du dommage dont elle demande réparation ;

En ce qui concerne une prise en charge tardive de la demande de soins :

10. Considérant que Mme A...se borne à soutenir, sans assortir cette affirmation d'un début de développement susceptible de l'étayer, que le centre hospitalier a commis une faute en prenant en charge avec retard sa demande de soins ; que l'expert a toutefois relevé qu'on ne pouvait parler de retard de prise en charge car la lésion s'était constituée secondairement à l'intervention ; que, contrairement à ce que soutient MmeA..., l'hôpital conteste l'existence du retard invoqué ; qu'en l'absence de toute autre argumentation présentée par l'intéressée à l'appui de ce moyen, il ne peut qu'être écarté ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée, par les moyens qu'elle invoque, à soutenir que la responsabilité du centre hospitalier de Grasse est engagée sur le terrain de la faute ; que la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes n'ayant pas produit en appel et s'étant bornée en première instance à faire valoir le montant de ses débours sans invoquer d'autres fautes que celles déjà invoquées par MmeA..., le centre hospitalier de Grasse est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamné à indemniser la victime et l'organisme social ;

Sur l'application des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

12. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " Lorsque la responsabilité (...) d'un établissement, (...) mentionné au I (...) n'est pas engagée, un accident médical, (...) ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, (...) au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes (...) de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail (...) " ; qu'aux termes de l'article D. 1142-1 du même code dans sa rédaction applicable en l'espèce : " (...) Un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale présente également le caractère de gravité mentionné à l'article L. 1142-1 lorsque la durée de l'incapacité temporaire de travail résultant de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale est au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois. / A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : (...) 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence " ; qu'en vertu des articles L. 1142-17 et L. 1142-22 du même code, la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ; qu'aux termes du premier alinéa de son article L. 1142-21 : " Lorsque la juridiction compétente, saisie d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé, estime que les dommages subis sont indemnisables au titre du II de l'article L. 1142-1 ou au titre de l'article L. 1142-1-1, l'office est appelé en la cause s'il ne l'avait pas été initialement. Il devient défendeur en la procédure. " ;

13. Considérant que si elle estime que le dommage invoqué remplit les conditions pour être indemnisé en tout ou partie sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, la juridiction du fond saisie de conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité d'une personne mentionnée au I du même article est tenue d'appeler l'ONIAM en la cause, au besoin d'office, puis de mettre à sa charge la réparation qui lui incombe, même en l'absence de conclusions dirigées contre lui ; qu'ainsi l'ONIAM ne peut utilement faire valoir que la victime n'a pas dirigé ses conclusions contre lui ; que, par ailleurs, si l'ONIAM fait valoir que le rapport d'expertise n'a pas été établi à son contradictoire, il a néanmoins été mis en mesure de présenter ses observations sur ledit rapport, sur lequel il s'appuie pour partie, et a également été en mesure de produire des éléments émanant d'un de ses propres médecins référents pour discuter et commenter de façon étayée ledit rapport ; qu'ainsi la circonstance que l'expertise se soit déroulée au seul contradictoire des parties initialement présentes dans la procédure n'est pas de nature à faire obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique ni, le cas échéant, à ce que la réparation qui incombe à l'ONIAM soit mise à sa charge ;

En ce qui concerne la gravité des préjudices consécutifs à l'intervention :

14. Considérant que le rapport d'expertise indique que l'accident médical dont a été victime Mme A...a causé une incapacité temporaire totale excédant la durée de six mois mentionnée à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique ; que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que l'arrêt des activités professionnelles de l'intéressée serait exclusivement imputable à l'incontinence dont elle souffre et que l'expert a estimée sans lien avec l'intervention du 2 octobre 2008 ; qu'il apparaît en effet que Mme A...a dû subir, pour remédier aux conséquences de l'intervention et à l'absence d'amélioration de son état, de nombreuses interventions par urétéroscopies notamment les 23 octobre 2008, 17 février 2009, 7 avril 2009, 14 mai 2009 ; que Mme A...a versé aux débats de nombreux avis d'arrêts de travail démontrant son incapacité temporaire de travail ; que, parmi d'autres, les avis datés des 13 mars, 14 avril, 15 mai, 10 juin, 17 septembre, 30 novembre 2009 et celui du 26 janvier 2010 font référence à des complications urinaires graves consécutives à une intervention sur kyste de l'ovaire et correspondent à eux seuls à un total de 9 mois d'incapacité de travail ; qu'il en résulte que, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, les conséquences de l'intervention ont présenté ainsi le caractère de gravité requis par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

En ce qui concerne l'anormalité des préjudices consécutifs à l'intervention :

15. Considérant que la condition d'anormalité du dommage prévue par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement ; que c'est seulement lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, que les critères de la probabilité du risque et de l'exposition particulière du patient, du fait de sa pathologie ou de sa physiologie doivent être pris en compte pour déterminer si ces conséquences peuvent néanmoins être regardées comme anormales du fait d'une faible probabilité de survenance du dommage dans les conditions où l'acte a été accompli ;

16. Considérant qu'en l'espèce, Mme A...était porteuse d'un kyste ovarien, à l'origine de simples douleurs chroniques ; qu'il n'apparaît pas qu'en l'absence d'intervention, il aurait existé un risque de voir ce kyste ovarien, évoluer vers des conséquences d'une gravité comparable à celles qui ont résulté de la lésion de l'uretère qui s'est produite ; que cette lésion a été à l'origine d'intenses souffrances et d'un parcours de soins de plus d'une année marqué par la mise en place à plusieurs reprises de sondes urétérales et par une réimplantation urétérale le 20 octobre 2009 ; que l'attestation d'imputabilité établie par le médecin conseil du recours contre tiers de l'organisme social relève que, sans la complication, Mme A...aurait eu une incapacité temporaire de travail de trois mois seulement ; qu'ainsi les conséquences de l'intervention du 3 octobre 2008 peuvent être qualifiées de notablement plus graves que celles auxquelles elle était exposée de manière suffisamment probable en l'absence d'intervention ; que son exposition particulière au risque de sténose de l'uretère du fait d'importantes adhérences liées à une endométriose et aux interventions chirurgicales précédentes, cas dans lesquels le risque de plaie urétérale atteint des occurrences de 19-20 % selon l'ONIAM, ne peut donc entrer en ligne de compte pour l'appréciation du caractère anormal du dommage ; que l'acte médical ayant entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles la patiente était exposée de manière suffisamment probable en l'absence de traitement, ses conséquences présentent le caractère d'anormalité requis par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

17. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale et en vertu des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, la réparation des dommages résultant directement de l'intervention réalisée au centre hospitalier de Grasse le 2 octobre 2008 qui ne peuvent être imputées à la faute du centre hospitalier de Grasse ;

Sur les préjudices :

18. Considérant que la réparation qui incombe sous certaines conditions à l'ONIAM, en vertu des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, a pour objet d'assurer, au titre de la solidarité nationale, la prise en charge des conséquences d'un accident médical, d'une affection ou d'une infection qui ne peuvent être imputées à la faute d'un professionnel, d'un établissement ou service de santé ou au défaut d'un produit de santé, sans que cet établissement public ait la qualité d'auteur responsable des dommages ; que ces dispositions font obstacle à ce que l'ONIAM supporte, au titre de la solidarité nationale, la charge de réparations incombant aux personnes responsables d'un dommage en vertu du I du même article ; que, dans l'hypothèse où un accident médical non fautif est à l'origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une personne mentionnée au I de l'article L. 1142-1 a fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'accident ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice en lien direct avec cette faute est la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu ; que lorsqu'un tel accident ouvre, au vu de ses conséquences, droit à réparation au titre de la solidarité nationale, l'indemnité due par l'ONIAM est réduite du montant de celle qui incombe normalement au responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue, l'article L. 1142-1 conférant à la réparation par la solidarité nationale un caractère subsidiaire ;

19. Considérant que l'argumentation articulée par Mme A...ne permet pas de mettre l'indemnisation de son préjudice à la charge de l'hôpital ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que l'hôpital n'apporte pas la preuve du respect, qui lui incombe, des prescriptions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique en se bornant à faire valoir que la consultation qui a précédé l'opération a eu lieu dans le cadre de l'activité libérale du chirurgien, que Mme A...avait subi, en 1989 et 1992, des interventions de chirurgie gynécologique et qu'elle exerce la profession d'infirmière ; que par ailleurs, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation d'information ; qu'il suit de là que l'hôpital a, sur ce point, commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; que si eu égard à l'argumentation qu'elle développe, Mme A...ne peut prétendre à cette indemnisation, les conséquences de cette faute doivent néanmoins venir en atténuation du montant de l'indemnité due par l'ONIAM ;

20. Considérant que l'opération à laquelle Mme A...s'est soumise n'était ni impérieusement requise ni injustifiée, cette situation intermédiaire lui ménageant une possibilité de choix ; que le défaut d'information litigieux ne peut donc être regardé comme n'ayant entraîné pour la patiente aucune perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; que le rapport d'expertise mentionne un risque de lésion de l'uretère de 0,5 à 1 % ; que, par ailleurs, la patiente était, compte tenu de ses antécédents, plus exposée à un risque de plaie viscérale, l'ONIAM faisant valoir que le taux de plaies viscérales en cas d'intervention réalisée chez des patients précédemment opérés serait proche de 20 % ; que, l'abstention thérapeutique aurait pour sa part entraîné la persistance des douleurs chroniques dont souffrait l'appelante ; que compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention, notamment le risque de lésion de l'uretère, et, d'autre part, les conséquences du choix de ne pas subir cette intervention, la part de responsabilité du service hospitalier correspondant à la perte de chance pour l'intéressée d'éviter les complications consécutives à l'opération du 2 octobre 2008 doit être fixée à une fraction de 20 % des différents chefs de préjudices subis ; que dès lors que 20 % des préjudices sont imputables à la faute commise par l'hôpital, la part de responsabilité devant être supportée, via l'ONIAM, par la solidarité nationale doit être limitée à 80 % de ces derniers ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

S'agissant des dépenses de santé :

21. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes a demandé le remboursement des dépenses de santé passées et à venir en lien avec l'accident médical ; que toutefois, la réparation qui incombe à l'ONIAM, en vertu des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, a pour objet d'assurer, au titre de la solidarité nationale, la prise en charge des conséquences d'un accident médical, d'une affection ou d'une infection qui ne peuvent être imputées à la faute d'un professionnel, d'un établissement ou service de santé ou au défaut d'un produit de santé, sans que cet établissement public ait la qualité d'auteur responsable des dommages ; qu'il en résulte que les recours subrogatoires des tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime d'un dommage corporel, organisés notamment par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, ne peuvent être exercés contre l'ONIAM lorsque celui-ci prend en charge la réparation de ce dommage au titre de la solidarité nationale ; qu'aucune indemnisation n'est, par suite, due à la caisse par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale ;

S'agissant des pertes de gains professionnels :

22. Considérant, en premier lieu, que, pour les raisons exposées au point précédent, il ne peut être fait droit aux conclusions de l'organisme social tendant au remboursement des indemnités journalières versées à MmeA... ;

23. Considérant, en deuxième lieu, que l'appelante demande une somme de 14 946,80 euros au titre de son préjudice professionnel, correspondant à la perte des primes qui ne lui ont pas été versées par son employeur durant son congé maladie ; que les premiers juges ont refusé de faire droit à cette partie de sa demande en précisant que l'intéressée avait perçu des indemnités journalières et qu'elle n'établissait pas la réalité de ses pertes de salaire ; qu'une telle motivation devait conduire Mme A...à verser aux débats, en appel, tous les éléments propres à justifier de la réalité de cette perte et notamment les pièces de nature à permettre au juge d'apprécier quels étaient ses gains professionnels avant l'accident ; que Mme A...s'est bornée à produire le décompte des indemnités journalières qu'elle a perçues ; que la Cour a adressé le 5 décembre 2014 au conseil de MmeA..., une mesure d'instruction par laquelle elle lui demandait la transmission de ses bulletins de salaire de l'année 2008 et de ses avis d'imposition depuis l'année 2007, propres à permettre d'apprécier la réalité de la perte de gains professionnels invoquée ; qu'il n'a pas été donné suite à cette mesure d'instruction ; qu'en l'absence de tout autre élément fourni par l'appelante permettant d'apprécier la réalité de la perte de gains professionnels alléguée, cette perte ne peut être regardée comme établie par la simple production de décomptes d'indemnités journalières ; que les conclusions de Mme A...tendant à la réparation de ce chef de préjudice doivent, par suite, être rejetées ;

S'agissant de la minoration des droits à pension

24. Considérant que l'appelante demande également à être indemnisée des conséquences de la minoration de sa pension, qu'elle évalue à la somme de 120 521 euros, en indiquant que son incontinence urinaire à l'effort est totalement incompatible avec sa profession d'infirmière ce qui a entraîné sa mise à la retraite avant l'âge auquel elle aurait pu prétendre à un taux plein ; que l'expert a toutefois indiqué dans son rapport : " on ne peut retenir le problème d'incontinence qui ne peut pas être en rapport avec les différentes interventions qu'elle a eues " et l'a conclu par la phrase " Mme A...est susceptible de reprendre sa profession d'infirmière " ; qu'à l'appui de ses prétentions, MmeA..., a simplement produit le rapport médical d'inaptitude au travail joint à sa demande de liquidation de pension au titre de l'inaptitude au travail, complété par son médecin traitant ; que si ce rapport fait état de la pathologie urinaire dont elle souffre, il mentionne également l'existence d'une périarthrite scapulo-humérale et d'une capsulite rétractile de l'épaule gauche ajoutée à une neuroalgodystrophie en précisant " COTOREP depuis 1995 ",

l'existence de fibrillation auriculaire, d'une insuffisance veino-lymphatique avec oedème, d'une phlébite superficielle opérée, d'un reflux gastro-oesophagien et d'épigastralgies, de douleurs chroniques des épaules nécessitant le port de charges inférieures à 3 kilos, d'un goitre nodulaire surveillé et d'une dépression réactionnelle à sa situation ; que si Mme A...fait valoir qu'elle était en activité avant l'opération en cause et que le médecin conseil du recours contre tiers a estimé que le suivi psychiatrique régulier et 30 séances de rééducation mictionnelle réalisées en 2010 étaient imputables à la complication urologique de l'intervention, ces éléments ne suffisent pas à démontrer, au vu des considérations qui précèdent, que sa mise à la retraite est la conséquence directe de l'accident médical dont elle a été victime ; que, surtout, Mme A...n'établit pas qu'elle n'a pas bénéficié d'une retraite à taux plein alors que certaines des pièces qu'elle produit à l'appui de ses prétentions mentionnent explicitement le contraire ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère extrapatrimonial :

25. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions du rapport d'expertise, que l'appelante a subi une incapacité temporaire totale durant son arrêt de travail, que l'expert a par ailleurs chiffré les souffrances physiques endurées par l'intéressée à 4 et le préjudice esthétique à 2 sur une échelle allant de 1 à 7 et que Mme A...souffre d'un syndrome dépressif en rapport avec l'intervention ; que si l'appelante invoque une IPP de 20 %, ce taux n'est pas établi et ne correspond pas au taux de 10 % évoqué par l'expert, qui a qualifié le préjudice d'agrément de minime en mentionnant que la douleur l'empêchait de faire du vélo ; que ce dernier préjudice n'est pas documenté ; qu'il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste réparation des préjudices extrapatrimoniaux de Mme A...en arrêtant l'assiette de leur réparation à la somme de 25 000 euros et l'indemnisation qui doit être supportée par l'ONIAM à la somme de 20 000 euros ;

Sur les intérêts :

26. Considérant que Mme A...a droit aux intérêts de la somme de 20 000 euros à compter du 3 février 2011, date de notification au centre hospitalier de Grasse de sa demande préalable d'indemnisation ;

Sur l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :

27. Considérant que le rejet des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes au titre de ses débours fait obstacle à ce qu'une quelconque somme lui soit allouée au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

28. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Grasse est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice l'a condamné à réparer les préjudices consécutifs à l'intervention réalisée le 2 octobre 2008 ; que cette indemnisation doit être, pour la partie qui lui incombe, mise à la charge de l'ONIAM ; que Mme A...n'est pas fondée à soutenir que la réparation de ses préjudices doit être portée à une somme supérieure à 20 000 euros ;

Sur les frais d'expertise :

29. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, les frais d'expertise, initialement mis par le tribunal à la charge du centre hospitalier de Grasse, doivent être mis à la charge de l'ONIAM ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

30. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier de Grasse qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à Mme A... une quelconque somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par le centre hospitalier ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 14 juin 2013 est annulé.

Article 2 : L'ONIAM versera à Mme A...la somme de 20 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts légaux à compter du 3 février 2011.

Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Nice, taxés et liquidés à la somme de 900 euros, sont mis à la charge de l'ONIAM.

Article 4 : Le surplus des conclusions de l'ensemble des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, au centre hospitalier de Grasse et à l'ONIAM.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2015, où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président de chambre,

- M. Firmin, président assesseur,

- MmeD..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 4 juin 2015.

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N° 13MA03405


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13MA03405
Date de la décision : 04/06/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité sans faute - Actes médicaux.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Modalités de la réparation - Solidarité.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: Mme Anne MENASSEYRE
Rapporteur public ?: Mme CHAMOT
Avocat(s) : SCP DAVID-BODIN BEQUIN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2015-06-04;13ma03405 ?
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