Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour, sous le n° 12MA03449, le 8 août 2012, présentée pour la société Europa Distribution, dont le siège social est au 120, rue du Général Malleret Joinville à Vitry-sur-Seine (94400) et pour la société Carrefour Insurance Limited dont le siège social est au 25/28 Adelaïde Road à Dublin, par Me Marchand ;
La société Europa Distribution et la société Carrefour Insurance Limited demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement no 1003434 et 1003437 du 12 juin 2012 du tribunal administratif de Montpellier qui a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser respectivement, d'une part, les sommes de 7 500 euros et de 14 521 euros en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis résultant de la manifestation d'agriculteurs qui s'est tenue le 12 juin 2009 à Boisseron et, d'autre part, les sommes de 7 764 euros et de 13 766 euros, en réparation des préjudices résultant de la manifestation d'agriculteurs en date du 28 décembre 2006 ;
2°) d'annuler les décisions du préfet de l'Hérault rejetant leur demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis du fait des manifestations du 28 décembre 2006 et 12 juin 2009 ;
3°) de condamner l'Etat à verser à la société Carrefour Insurance Limited, subrogée dans les droits de la société Europa Distribution, la somme de 29 960,40 euros, sauf à parfaire, en réparation des dommages subis lors des manifestations du 28 décembre 2006 et du 12 juin 2009 ;
4°) de condamner l'Etat à verser à la société Europa Distribution, la somme de 15 788,91 euros, sauf à parfaire, en réparation des dommages subis lors des manifestations du 28 décembre 2006 et du 12 juin 2009 ;
5°) de condamner l'Etat à leur verser les intérêts de droit desdites sommes à compter de la date d'enregistrement de la requête et de leur capitalisation à l'expiration de chaque délai annuel, en application de l'article 1154 du code civil ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 octobre 2014 :
- le rapport de Mme Marchessaux, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;
- et les observations de MeA..., substituant à l'audience Me Marchand, avocat de la société Europa Distribution et de la société Carrefour Insurance Limited ;
1. Considérant que la société Europa Distribution et la société Carrefour Insurance Limited relèvent appel du jugement du 12 juin 2012 du tribunal administratif de Montpellier qui a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser respectivement, d'une part, les sommes de 7 500 euros et de 14 521 euros en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis résultant de la manifestation d'agriculteurs qui s'est tenue le 12 juin 2009 à Boisseron et, d'autre part, les sommes de 7 764 euros et de 13 766 euros, en réparation des préjudices résultant de la manifestation d'agriculteurs en date du 28 décembre 2006 ;
Sur le fond :
Sur la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) " ;
3. Considérant que l'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés ;
4. Considérant que s'agissant du sinistre survenu le 28 décembre 2006, la société Europa Distribution et la société Carrefour Insurance Limited soutiennent qu'au dernier trimestre de l'année 2006, des agriculteurs viticoles ont engagé un grand mouvement de protestations visant à obtenir une augmentation du prix à l'achat des produits issus de la viticulture française en considération de la marge des grands distributeurs sur les ventes desdits produits et que, localement, ce mouvement s'est traduit, le 28 décembre 2006 par le forcement de l'entrepôt ED situé à Boisseron (34) par les manifestants qui ont saccagé la marchandise de fruits et légumes entreposée ; qu'il résulte de l'instruction et plus particulièrement du communiqué de presse du ministère de l'agriculture et de la pêche en date du 28 décembre 2006, que dans l'Hérault, un centre d'achat de la grande distribution a été la cible d'une centaine de personnes ayant conduit à la destruction de produits alimentaires et de bouteilles de vins ; que les photos prises par la société ED attestent de ces destructions ; que si les dégradations commises sur et dans la plate-forme de la société ED se sont produites dans un contexte de revendication collective des viticulteurs, comme cela résulte du communiqué de presse du ministre, ce simple fait, découplé de toute manifestation de rue à proximité du site ou de toute volonté de manifester devant la centrale sans y pénétrer ne démontre pas le caractère spontané ou aléatoire des conséquences de l'attroupement de ces personnes ; qu'en ce qui concerne les troubles intervenus le 12 juin 2009, les sociétés requérantes font valoir qu'au deuxième trimestre 2009, les producteurs agriculteurs français ont engagé un grand mouvement de protestations visant à obtenir des mesures de hausse du prix des produits issus de l'agriculture française et à dénoncer la concurrence déloyale issue de l'étranger et que ce mouvement s'est traduit, localement, le 12 juin 2009, par l'attroupement de nombreux manifestants face à l'entrepôt précité ; que des discussions ont été entamées avec la direction mais que celles-ci n'ayant pas abouti, les manifestants ont procédé au blocus et au forcement de l'entrepôt ED ; qu'en l'espèce, selon un article de presse produit au dossier, ces faits s'inscriraient dans le cadre d'une manifestation nationale visant la grande distribution ; que 250 éleveurs, agriculteurs et viticulteurs se sont réunis le 12 juin 2009, à 16 heures, devant le péage de Lunel ; qu'après une courte entrevue entre le directeur de la base d'approvisionnement du hard discounter ED sur la zone de Boisseron et une délégation de syndicalistes, plusieurs agriculteurs visiblement frustrés ont appelé à une action plus radicale ; que, dans ces conditions, nonobstant la circonstance que ces faits se soient déroulés dans un contexte de manifestation nationale des agriculteurs, ces derniers doivent être regardés, dans les circonstances dans lesquelles ils ont été commis, comme prémédités et organisés dans un but de destruction des biens ; que si les sociétés requérantes contestent le caractère prémédité de l'opération en date du 12 juin 2009, l'article de presse mentionne un groupe d'agriculteurs désireux de passer à une action plus radicale ; que, par suite, ces faits ne sont pas de nature à être regardés comme imputables à un attroupement ou rassemblement au sens des dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ;
Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :
5. Considérant que contrairement à ce que soutiennent les sociétés Europa Distribution et Carrefour Insurance Limited, le Tribunal n'a pas confondu les notions de faute et de carence dès lors qu'il a estimé qu'aucune faute n'était démontrée, à défaut pour les requérantes de démontrer que la société ED avait sollicité les forces de l'ordre ou que cette intervention était requise ; qu'ainsi, les premiers juges ont exclu l'existence d'une faute par carence et donc d'une carence fautive ;
6. Considérant que les appelantes font valoir qu'en s'abstenant d'intervenir, les forces de police ont commis une faute ; que, toutefois, à supposer même que l'administration ait pu être informée de la possibilité d'actions menées par des syndicalistes agriculteurs dans le cadre d'un mouvement général de protestations, pour autant les sociétés requérantes, auxquelles incombe la charge de la preuve, n'établissent ni que les services de l'Etat auraient été prévenus des actions qui devaient être menées les 28 décembre 2006 et 12 juin 2009 à l'entrepôt Ed situé à Boisseron et auraient négligé de prendre des mesures pour empêcher la commission des délits en cause, ni que, informés en temps utile, ils se seraient abstenus d'intervenir ; que, par suite, elles ne sont pas fondées à soutenir que l'Etat, dont la responsabilité en matière d'exécution des opérations de maintien de l'ordre ne peut être engagée que pour une faute lourde, aurait commis une telle faute;
Sur la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques :
7. Considérant qu'il n'est pas établi que les autorités investies du pouvoir de police étaient nécessairement prévenues des manifestations en cause ni qu'elles se seraient volontairement abstenues de prévenir ou d'empêcher les événements qui se sont produits les 28 décembre 2006 et 12 juin 2009 ; qu'ainsi, en l'absence d'un lien de causalité direct entre les dommages résultant de ces incidents et un fait de l'administration, les sociétés Europa Distribution et Carrefour Insurance Limited ne sont pas fondées à soutenir que la responsabilité de l'Etat se trouve engagée sans faute pour rupture de l'égalité devant les charges publiques ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Europa Distribution et Carrefour Insurance Limited ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à la société Europa Distribution et à la société Carrefour Insurance Limited quelque somme que ce soit au titre des frais que celles-ci ont exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Europa Distribution et de la société Carrefour Insurance Limited est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société DIA France, à la société Carrefour Insurance Limited et au ministre de l'intérieur.
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