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16/10/2014 | FRANCE | N°13MA02862

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 16 octobre 2014, 13MA02862


Vu le recours, enregistré le 16 juillet 2013, présenté par le préfet des Alpes-Maritimes ; le préfet des Alpes-Maritimes demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300917 du 14 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Nice, sur requête de M. A...B..., d'une part, a annulé sa décision du 26 février 2013 refusant de délivrer un titre de séjour à l'intimé et l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai d'un mois, et d'autre part, l'a condamné à verser à l'intéressé la somme de 700 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice

administrative ;

2°) de rejeter la demande de M.B... ;

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Vu le recours, enregistré le 16 juillet 2013, présenté par le préfet des Alpes-Maritimes ; le préfet des Alpes-Maritimes demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300917 du 14 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Nice, sur requête de M. A...B..., d'une part, a annulé sa décision du 26 février 2013 refusant de délivrer un titre de séjour à l'intimé et l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai d'un mois, et d'autre part, l'a condamné à verser à l'intéressé la somme de 700 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande de M.B... ;

......................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;

Vu l'accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie et le protocole relatif à la gestion concertée des migrations, signés à Tunis le 28 avril 2008 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires ;

Vu la circulaire NOR INTK1229185C du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 sur les conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 septembre 2014 le rapport de Mme Menasseyre, rapporteure ;

1. Considérant que M.B..., de nationalité tunisienne, a sollicité par courrier son admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié le 7 décembre 2012, en se prévalant de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'une promesse d'embauche et d'une présence de cinq années en France ; que, par arrêté du 26 février 2013, le préfet des Alpes-Maritimes a refusé la régularisation sollicitée et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans les 30 jours ; que le préfet des Alpes-Maritimes relève appel du jugement du 14 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

3. Considérant que M. B...soutient qu'il est entré en France en août 2005, à l'âge de 41 ans, et produit à cet effet une copie de son passeport, expiré le 18 juillet 2010 et du passeport qui lui a été délivré le 12 septembre 2010 ; que, toutefois, il ne produit aucune autre pièce de nature à témoigner d'un séjour sur le sol français en 2005 et en 2006, les premières pièces produites remontant à l'année 2007 ; que, s'agissant de l'année 2007, il produit cinq factures d'annonces dans la presse mentionnant un numéro de téléphone portable ; qu'au titre de 2008, il produit une facture sur laquelle son nom est mal orthographié, une preuve d'abonnement à la Nouvelle Vie ouvrière et une attestation établie le 8 août par l'union départementale de la CGT des Alpes-Maritimes indiquant qu'il s'est présenté dans ses locaux pour constituer un dossier de demande de régularisation ; que M. B...ne produit des éléments véritablement probants et étayés de son séjour sur le sol français qu'au titre des années 2012 et 2011, les pièces versées aux débats au titre de l'année 2010 se limitant à un relevé de compte au titre du mois de juillet, un contrat d'abonnement téléphonique établi en septembre et un reçu pour une annonce passée dans la presse en février, outre l'indication selon laquelle son passeport a été établi à Nice en septembre 2010 ; qu'ainsi les premiers juges ont porté sur les pièces du dossier une appréciation inexacte en considérant que M. B...établissait qu'il résidait en France depuis le 6 août 2005 ;

4. Considérant par ailleurs qu'il ressort des pièces du dossier que le père de M. B...vit en France sous couvert d'une carte de résident tout comme son fils âgé de 26 ans qui y séjourne sous couvert d'une carte d'étudiant lui donnant vocation à retourner dans son pays d'origine au terme de ses études ; que si M. B... n'a donné aucune indication sur les attaches qu'il a pu conserver dans son pays d'origine, l'acte de naissance qu'il a versé aux débats fait apparaître qu'il s'est marié en Tunisie le 3 avril 1986 ; qu'il a, ainsi, des attaches dans son pays d'origine où il a vécu l'essentiel de sa vie d'adulte ;

5. Considérant que la simple circonstance que l'intéressé dépose régulièrement des chèques sur son compte bancaire et qu'il ait créé, deux mois avant de solliciter la régularisation de sa situation, une SARL dont il est associé à 80 % n'est pas de nature à démontrer qu'il avait désormais fixé en France le centre de ses intérêts privés et familiaux ; qu'au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, compte tenu de la durée et de l'ancienneté de la présence en France de M. B...et des attaches qu'il est en mesure d'y faire valoir, les décisions lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire ne peuvent être regardées comme ayant porté, au regard des buts poursuivis, une atteinte disproportionnée au droit de M. B...au respect de sa vie privée et familiale ; qu'il en résulte que le préfet des Alpes-Maritimes est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a jugé que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'avaient d'ailleurs pas été invoquées par M.B..., ont été méconnues ;

6. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif de Nice et devant la Cour ;

7. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord./ Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation " ; que l'article 3 du même accord stipule que " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention ''salarié'' " ; que le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 stipule, à son point 2.3.3, que " le titre de séjour portant la mention ''salarié'', prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'accord du 17 mars 1988 modifié est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'annexe I du présent protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi (....) " ; qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 (...) peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 (...) " ;

8. Considérant que, portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée ; que dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord ; qu'ainsi M.B..., qui a demandé son admission exceptionnelle au séjour au titre du travail, en produisant à l'appui de sa demande une promesse d'embauche en qualité d'électricien salarié ne peut se prévaloir utilement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

9. Considérant, en deuxième lieu, qu'au sein du point 2.2 de la circulaire du 28 novembre 2012 susvisée du ministre de l'intérieur, adressée aux préfets et publiée, conformément aux prescriptions du décret du 8 décembre 2008 susvisé, sur le site internet Légifrance, le point 2.2.1, qui concerne l'admission exceptionnelle au séjour au titre du travail indique que : " En application de l'article L. 313-14 du CESEDA, vous pourrez apprécier favorablement les demandes d'admission exceptionnelle au séjour au titre du travail, dès lors que l'étranger justifie /- d'un contrat de travail ou d'une promesse d'embauche (formulaire CERFA n°13653*03) et de l'engagement de versement de la taxe versée au profit de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (formulaire CERFA n°13662*05); /- d'une ancienneté de travail de 8 mois, consécutifs ou non, sur les 24 derniers mois ou de 30 mois, consécutifs ou non, sur les 5 dernières années ; /- d'une ancienneté de séjour significative, qui ne pourra qu'exceptionnellement être inférieure à cinq années de présence effective en France. / Néanmoins, vous pourrez prendre en compte une ancienneté de séjour de trois ans en France dès lors que l'intéressé pourra attester d'une activité professionnelle de vingt-quatre mois dont huit, consécutifs ou non, dans les douze derniers mois. / Pour l'application de ces dispositions, il revient à l'étranger de démontrer la réalité et la durée de son activité professionnelle antérieure. Vous considérerez que les bulletins de salaire représentent une preuve certaine d'activité salariée, dès lors qu'ils attestent d'une activité au moins égale à un mi-temps mensuel. Pour mémoire, un employeur peut établir à tout moment, y compris rétroactivement, des bulletins de salaire. / Si un nombre significatif de bulletins de salaire, y compris au titre des chèques emploi service universels, est produit, vous pourrez accepter en complément d'autres modes de preuve de l'activité salariée (virements bancaires, le cas échéant corroborés par une attestation de l'employeur, par exemple) " ; que le point 2.2.3 précise que : " c) Un étranger en situation irrégulière qui atteste d'une durée de présence qui ne peut être qu'exceptionnellement inférieure à cinq ans peut faire valoir l'exercice d'une activité professionnelle en tant qu'intérimaire. /Au titre du passé dans l'emploi, pourra être prise en compte une activité professionnelle sur une période de 24 mois précédant le dépôt de la demande d'admission exceptionnelle au séjour, dans l'intérim ou dans une autre activité salariée, attestée par des bulletins de salaire équivalant au total à au moins 12 SMIC mensuels et comportant au moins 910 heures de travail dans 1'intérim. / Le nombre d'heures effectuées dans l'entreprise de travail temporaire (ETT) associée à la demande devra au moins atteindre 310 heures, le complément à 910 heures ayant pu être effectué dans d'autres entreprises " ; que M. B...qui n'a pas été en mesure de produire de bulletins de salaire à l'appui de sa demande et se borne à faire valoir des preuves indirectes résultant, notamment, du dépôt de chèques sur son compte bancaire n'est, en toute hypothèse, pas fondé à se prévaloir des lignes directrices de cette circulaire dès lors qu'il ne répond pas aux conditions qu'elle pose ;

10. Considérant, en troisième lieu, que, si l'arrêté attaqué ne vise ni ne mentionne la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 ni ne fait expressément référence aux critères mentionnés par les prévisions précitées de cette circulaire, il indique toutefois que l'intéressé ne démontre pas résider en France habituellement et qu'il n'a produit aucun élément de nature à établir que son admission au séjour répondrait à des considérations humanitaires ou se justifierait au regard de motifs exceptionnels ; qu'il relève que l'intéressé ne démontre pas avoir fixé durablement le centre de ses intérêts professionnels en France dès lors qu'il ne justifie pas exercer ni avoir exercé une activité salariée sur le sol français ; que, dans ces conditions, et compte tenu notamment des éléments retenus par le préfet relatifs à l'absence de démonstration de l'existence-même d'une activité salariée, il ne ressort pas, en tout état de cause, des pièces du dossier que le préfet des Alpes-Maritimes, quand bien même il n'a pas mentionné explicitement la circulaire en cause, aurait examiné la demande de M. B...sans prendre en considération les paragraphes 2.2.1 et 2.2.3 de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 ;

11. Considérant enfin que les éléments, postérieurs au jugement, dont se prévaut M. B... pour témoigner de sa bonne intégration en France, sont sans influence sur la légalité de l'arrêté contesté ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Alpes-Maritimes est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté du 26 février 2013 et a condamné l'Etat au versement de frais irrépétibles ;

13. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par M.B..., partie perdante ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 14 juin 2013 est annulé.

Article 2 : La demande de M. B...est rejetée ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Copie en sera transmise au préfet des Alpes-Maritimes.

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N° 13MA02862


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13MA02862
Date de la décision : 16/10/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Différentes catégories d'actes - Actes administratifs - notion - Instructions et circulaires - Directives administratives.

Étrangers - Séjour des étrangers - Autorisation de séjour - Régularisation.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: Mme Anne MENASSEYRE
Rapporteur public ?: Mme CHAMOT
Avocat(s) : BOUGHANMI-PAPI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2014-10-16;13ma02862 ?
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