Vu la requête, enregistrée le 14 février 2012, présentée pour M. C...A...et Mme B... A...demeurant..., par la SCP Laborde et Fossat ; M. et Mme A...demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0902408 en date du 16 décembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Saint-Tropez à leur verser la somme de 400 000 euros en réparation du préjudice causé par le décès de leur fils Bastien le 8 août 2007 ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Tropez à leur verser la somme de 400 000 euros en raison du décès de leur enfant ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Tropez la somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 juillet 2014 :
- le rapport de Mme Massé-Degois, rapporteure ;
- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique ;
1. Considérant que, saisi d'une requête introductive d'instance le 30 septembre 2009 présentée par M. et MmeA..., le tribunal administratif de Toulon a, par l'article 1er du jugement n° 0902408 rendu le 29 septembre 2011, rouvert l'instruction afin de permettre aux parties de produire leurs observations sur le moyen susceptible d'être soulevé d'office tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître de l'action en responsabilité fondée sur la faute médicale après avoir écarté, dans ses motifs, l'existence d'une faute dans l'organisation du service du centre hospitalier de Saint-Tropez qui s'était rapproché de la maternité de niveau III du centre hospitalier de Nice et précisé, en son article 2, que " Tous droits et moyens sur lesquels il n'est pas statué par le présent jugement sont réservés jusqu'en fin d'instance " ; que, par jugement n° 0902408 rendu le 16 décembre 2011, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande des époux A...tendant à la condamnation du centre hospitalier de St Tropez à leur verser la somme de 400 000 euros en raison du décès de leur fils Bastien survenu le 8 août 2007 ;
2. Considérant que M. et Mme A...relèvent appel du jugement n° 0902408 du 16 décembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Saint-Tropez à leur verser la somme de 400 000 euros en réparation du préjudice causé par le décès de leur fils Bastien le 8 août 2007 ; qu'ils persistent en appel à solliciter du centre hospitalier de Saint-Tropez la somme de 400 000 euros en raison du décès de leur enfant en faisant grief à cet établissement de soins de ne pas avoir pris toutes les mesures nécessaires destinées à une prise en charge appropriée de Mme A...qui s'est présentée le 4 août 2007 à 23 semaines d'aménorrhées et 5 jours au service maternité alors qu'elle était enceinte de jumeaux, en lui reprochant l'absence de transfert dans une maternité de niveau III qui a fait perdre une chance de survie à leur enfant décédé dix minutes après sa naissance et en soutenant que le manque d'organisation du service hospitalier est la cause directe des complications liées à l'accouchement et au décès de l'enfant ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des pièces médicales versées au dossier, qu'alors que le terme de la grossesse de MmeA..., enceinte de jumeaux à la suite d'une fécondation in vitro, était fixé à la date du 4 décembre 2007 à 41 semaines d'aménorrhées, a été admise au centre hospitalier de Saint-Tropez le 4 août 2007 à 6 heures 20 en raison de la survenue de contractions à 24 semaines d'aménorrhées moins 1 jour ; qu'il résulte de la fiche " premier contact à la maternité " établie le 9 juillet 2007 que l'accouchement de la parturiente était prévu dans ce même établissement de soins doté d'une maternité de niveau I, sa grossesse nécessitant, au vu de l'examen effectué, une seule surveillance spécialisée du fait de la grossesse multiple ; qu'il résulte de la fiche hospitalisation dressée le jour de son arrivée en urgence, soit le 4 août 2007, que Mme A...présentait des contractions utérines depuis la veille au soir, qu'elle a été examinée par un médecin hospitalier et que le service de maternité de l'hôpital a contacté le centre hospitalier de Nice, doté d'une maternité de niveau III, en vue d'un éventuel transfert materno-foetal ; que ce transfert n'a pas été accepté par l'établissement hospitalier niçois dans la mesure où la grossesse de la parturiente n'avait pas atteint le stade de la 25 - 26ème semaine d'aménorrhées ; que le 8 août 2007, à 24 semaines et 3 jours d'aménorrhées, MmeA..., toujours hospitalisée au centre hospitalier de Saint-Tropez a été admise en salle de naissance vers 10 heures 30 puis transférée en secteur clinique ouverte peu avant midi pour donner naissance, après un travail spontané et par voie basse, à 13 heures 19 de son premier enfant, une fille, qui a été transférée en hélicoptère à l'hôpital de la Conception à Marseille, et à 13 heures 29 de son second enfant, un garçon, qui est décédé 10 minutes plus tard ;
4. Considérant qu'il résulte du protocole n°3 / F3 du Réseau Sécurité Naissance de la Région PACA Est - Haute Corse - Monaco relatif aux " Règles concernant le transfert materno-foetal vers la maternité niveau III du CHU " dont relèvent les centres hospitaliers de Nice et de Saint-Tropez, qui listent les indications du transfert materno-foetal et dont l'application aux faits litigieux n'est pas contestée par les appelants qu'un " transfert materno-foetal est justifié à chaque fois qu'il est probable que le nouveau-né nécessite dès la naissance une prise en charge en réanimation ", que " Sauf cas particulier, il n'y a pas d'indication maternelle de transfert materno-foetal ", que " Sauf exception, il n'y a pas d'indication foetale de transfert materno-foetal avant la fin de la 25ème semaine d'aménorrhée " et que " Lorsque l'accouchement risque de survenir entre la 25ème et la 32ème semaine d'aménorrhée, cette grossesse doit à chaque fois que possible donner lieu à un transfert pour une naissance au CHU " ; que s'il résulte de l'instruction que le centre hospitalier de Saint-Tropez a contacté la maternité de niveau III de Nice aux environs de 8 heures le 4 août 2007, jour de l'admission de Mme A...en vue d'obtenir un transfert materno-foetal, il résulte des mentions manuscrites renseignées sur la fiche d'hospitalisation de la parturiente que ce transfert a été refusé, non en raison d'une indisponibilité de places ou d'une contre-indication médicale résultant de l'état de santé de la mère ou de celui des foetus mais, par principe, au seul motif de l'âge gestationnel qui n'avait pas atteint le seuil des 25-26 SA, celui-ci étant de 24 SA moins un jour ; que toutefois, dans la mesure où le protocole précité, d'une part, prévoit des exceptions à ce seuil de 25-26 SA, d'autre part, n'exclut pas par principe un tel transfert lorsque l'âge de grossesse est inférieur à ce seuil et, enfin, recommande un transfert pour une naissance au CHU, à chaque fois que possible, lorsque l'accouchement risque de survenir entre la 25ème et la 32ème semaine d'aménorrhée, tant le refus de principe de transfert materno-foetal dans la maternité de niveau III le jour de l'admission de Mme A...au service de la maternité de l'hôpital de Saint-Tropez en l'absence de tout motif d'ordre administratif ou médical, que l'absence de réitération de la demande auprès d'une maternité de niveau III au cours des cinq jours d'hospitalisation de la parturiente, doivent être qualifiés de fautifs ;
5. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le premier des jumeaux dont Mme A...était enceinte et qui a survécu, est né à 13 heures 19, pesait 545 grammes et présentait un score d'Apgar de 2 sur 10 à une minute de vie et de 5 sur 10 à 10 minutes de vie et que le second des jumeaux qui est décédé à13 heures 39, est né à 13 heures 29, pesait 600 grammes et présentait un score d'Apgar de 1 sur 10 à une minute et trois minutes de vie ; qu'il résulte de la littérature médicale versée aux débats par les époux A...datée de février 2005 et applicable aux faits litigieux que, d'une part, le score d'Apgar calculé à une, trois et cinq minutes de vie est un critère d'évaluation de l'efficacité de la réanimation, qu'un nouveau né est considéré en état de mort apparente lorsqu'il présente un score d'Apgar strictement inférieur à 3, qu'en centre périnatal de type III et selon les équipes, à partir d'un âge gestationnel de 24-25 semaines et un poids de naissance de 500-600 grammes, il est possible de proposer une réanimation active et que lorsqu'il est possible et non contre-indiqué, le transfert in-utero vers un centre périnatal de type III est privilégié dans la mesure où " de meilleurs résultats aussi bien en termes de mortalité que de morbidité et de séquelles à long terme sont rapportés après transfert du nouveau-né "in utero" par rapport au transfert après la naissance en cas de risque de naissance très prématurée surtout avant 30 semaines d'âge gestationnel " ; qu'il résulte, par ailleurs, d'une publication médicale d'avril 2007 traitant de la " Prise en charge et réanimation du nouveau-né en salle de naissance " également versée aux débats par les appelants et également applicable à la date des faits litigieux que le terme de 24 SA semble être la limite de viabilité et que le pronostic péjoratif des naissances à 24 et 25 semaines nécessite une discussion anténatale avec le couple pour décider jusqu'où aller dans la prise en charge ; que s'il est constant que le premier des jumeaux des époux A...a survécu et sans grandes séquelles selon les allégations non contestées des appelants, il n'est toutefois pas certain que le décès du second des jumeaux des requérants ne serait pas advenu en l'absence de refus de transfert materno-foetal et il n'est pas établi que le second des jumeaux n'était pas viable ; qu'il n'est pas davantage établi par les pièces du dossier avec certitude qu'un tel transfert aurait permis à l'enfant de bénéficier d'une réanimation et que cette réanimation lui aurait permis de survivre dans les mêmes conditions que sa soeur ; que, dans ces circonstances, l'absence de transfert materno-foetal a seulement fait perdre à Bastien A...une chance d'éviter son décès ; qu'eu égard, d'une part, au terme de 24 SA qui constitue la limite de viabilité et au pronostic péjoratif des naissances à 24 et 25 semaines selon la publication précitée d'avril 2007, d'autre part, à la naissance de Bastien à 24 semaines et 3 jours d'aménorrhées de grossesse et, enfin, à la survie sans grandes séquelles de la jumelle de Bastien, il y a lieu d'évaluer l'ampleur de cette perte de chance à 10 % et de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Tropez la réparation de cette fraction du dommage ;
7. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral résultant pour M. et Mme A...du décès de l'un de leur jumeaux en le fixant à 18 000 euros pour chacun des parents ; que toutefois, après application du pourcentage correspondant à la fraction du préjudice indemnisable, il convient de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Tropez la somme de 1 800 euros pour chacun des parents ;
Sur l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Tropez la somme demandée de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A...et non compris dans les dépens, ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 0902408 du 16 décembre 2011 du tribunal administratif de Toulon est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Saint-Tropez est condamné à payer à M. et Mme A...la somme de 3 600 euros.
Article 3 Le centre hospitalier de Saint-Tropez versera à M. et Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus de la demande de M. et Mme A...et de leurs conclusions d'appel est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C...A..., au centre hospitalier de Saint-Tropez et à la caisse primaire d'assurance maladie du Var.
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N°12MA00594 2