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17/12/2013 | FRANCE | N°13MA01337

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre-formation à 3, 17 décembre 2013, 13MA01337


Vu l'arrêt en date du 20 mars 2013 par lequel le Conseil d'Etat, après avoir annulé son arrêt n° 08MA00793 en date du 14 avril 2011, renvoie l'affaire à la Cour ;

Vu le recours, enregistré le 19 février 2008, présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat ;

Le ministre demande à la Cour d'annuler le jugement n° 0405279 en date du 3 décembre 2007 par lequel le tribunal administratif de Marseille a ordonné la restitution à la SA Bellon de la somme de 139 175,23 euros au titre d'une créance de report en ar

rière des déficits de l'exercice clos le 31 août 1995 et d'ordonner la remis...

Vu l'arrêt en date du 20 mars 2013 par lequel le Conseil d'Etat, après avoir annulé son arrêt n° 08MA00793 en date du 14 avril 2011, renvoie l'affaire à la Cour ;

Vu le recours, enregistré le 19 février 2008, présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat ;

Le ministre demande à la Cour d'annuler le jugement n° 0405279 en date du 3 décembre 2007 par lequel le tribunal administratif de Marseille a ordonné la restitution à la SA Bellon de la somme de 139 175,23 euros au titre d'une créance de report en arrière des déficits de l'exercice clos le 31 août 1995 et d'ordonner la remise à la charge de la société de la somme correspondante ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment son premier protocole additionnel ;

Vu la directive n° 78/855 du conseil des communautés européennes en date du 9 octobre 1978 ;

Vu la directive n° 90/434 du conseil des communautés européennes en date du 23 juillet 1990 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 décembre 2013,

- le rapport de M. Louis, président rapporteur ;

- les conclusions de M. Guidal, rapporteur public ;

- et les observations de Me A...du cabinet d'avocats CMS Bureau Francis Lefebvre, pour la société Bellon ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, qu'au titre de l'année 1995, la société financière Sodexo a constaté un déficit et a opté pour le report en arrière de ce dernier, l'administration lui ayant, à cette occasion, délivré un certificat de créance d'un montant de 912 929,66 euros ; que ladite société financière Sodexo a été, le 1er septembre 1997, absorbée par la société Bellon, dans le cadre d'une opération de fusion ; que par une réclamation préalable, qui a été rejetée par le service, motif pris de ce que l'agrément requis pour autoriser le transfert d'une telle créance n'avait pas été demandé au ministre, la société Bellon a demandé à bénéficier du remboursement de la créance de report en arrière antérieurement détenue par la société financière Sodexo ; qu'ayant saisi le tribunal administratif de Marseille, celui-ci a fait droit à sa demande par un jugement du 3 décembre 2007 ; que le ministre a interjeté appel de ce jugement devant la Cour qui l'a débouté par un arrêt en date du 14 avril 2011 par lequel elle a estimé, d'abord, que les créances nées dans les conditions prévues par l'article 220 quinquies du code général des impôts constituaient des biens au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ensuite que la disposition prévoyant l'extinction de la créance en cas de fusion à défaut d'agrément ministériel était incompatible avec lesdites stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel ; que par un arrêt du 20 mars 2013, le Conseil d'Etat, après avoir accueilli le moyen tiré de l'erreur de droit commise par le juge d'appel en jugeant que la créance résultant du report en arrière de déficit devait être regardée comme un bien au sens de l'article 1er du premier protocole a annulé l'arrêt du 14 avril 2011 et renvoyé l'affaire devant la Cour ; qu'ainsi, cette dernière se trouve à nouveau saisie de l'appel du ministre dirigé contre le jugement en date du 3 décembre 2007 du tribunal administratif de Marseille ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'aux termes du I de l'article 220 quinquies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année 1997 : " (...) le déficit constaté au titre d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1984 par une entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés peut, sur option, être considéré comme une charge déductible du bénéfice de l'antépénultième exercice et, le cas échéant, de celui de l'avant-dernier exercice puis de celui de l'exercice précédent, dans la limite de la fraction non distribuée de ces bénéfices (...)// L'excédent d'impôt sur les sociétés résultant de l'application du premier alinéa fait naître au profit de l'entreprise une créance d'égal montant. La constatation de cette créance, qui n'est pas imposable, améliore les résultats de l'entreprise et contribue au renforcement des fonds propres. / La créance est remboursée au terme des cinq années suivant celle de la clôture de l'exercice au titre duquel l'option visée au premier alinéa a été exercée. Toutefois, l'entreprise peut utiliser la créance pour le paiement de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos au cours de ces cinq années. Dans ce cas, la créance n'est remboursée qu'à hauteur de la fraction qui n'a pas été utilisée dans ces conditions. / La créance est inaliénable et incessible, sauf dans les conditions prévues par les articles L. 313-23 à L. 313-35 du Code monétaire et financier, ou dans des conditions fixées par décret " ; qu'aux termes du second alinéa du II du même article : " En cas de fusion ou opération assimilée, intervenant au cours des cinq années suivant celle de la clôture de l'exercice au titre duquel l'option visée au I a été exercée, le transfert de tout ou partie de la créance de la société apporteuse ou absorbée à la société bénéficiant de l'apport ou absorbante, peut être autorisé sur agrément délivré dans les conditions prévues à l'article 1649 nonies " ;

3. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées, dans leur rédaction en vigueur à l'époque des faits, que le législateur avait entendu subordonner la transmission à la société absorbante de la créance détenue par la société absorbée, qui était née du fait de l'exercice, par celle-ci, d'une option ouverte par la loi et dont le législateur a précisé qu'elle était inaliénable et incessible, à la délivrance de l'agrément alors prévu au second alinéa du II de l'article 220 quinquies du code général des impôts, lequel constituait ainsi un des éléments du régime légal de cette créance particulière sous l'empire des textes applicables en 1997 ; qu'il a donc exclu que le transfert de la créance d'une société absorbée à une société absorbante se fasse de plein droit ; qu'ainsi, à défaut d'agrément, une créance sur le Trésor, née de l'application du I de l'article 220 quinquies du code général des impôts, ne peut pas être regardée, du seul fait de cette fusion ou de cette absorption, comme transférée à la société absorbante ; que dès lors, faute pour la société Bellon d'avoir demandé l'agrément et donc de l'avoir obtenu, celle-ci ne saurait être regardée comme détenant une créance sur le Trésor ; que les premiers juges ont, en jugeant que les dispositions du second alinéa du II de l'article 220 quinquies du code général des impôts, au seul motif qu'elles subordonnaient à la délivrance d'un agrément la transmission à la société absorbante de la créance née de l'option pour le report en arrière exercée par la société absorbée, méconnaissaient les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'elles portaient atteinte à un bien qui aurait dû entrer automatiquement dans le patrimoine de la société absorbante, commis une erreur de droit ; que par suite, le ministre est fondé à demander l'annulation du jugement entrepris ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il appartient à la Cour, à raison de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble des moyens présentés par la société intimée en première instance, quand bien même, sous réserve de leur abandon exprès, cette dernière ne les aurait pas repris dans la présente instance ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 62 de la constitution :

5. Considérant que la société intimée, qui se prévaut de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle , sur le fondement de l'article 62 de la constitution a jugé que le législateur ne pouvait conférer au ministre le pouvoir de déterminer le champ d'application d'un avantage fiscal, soutient que les agréments fiscaux ne sauraient revêtir, ainsi que le soutient l'administration, un caractère discrétionnaire ; que l'examen d'un tel moyen, qui n'est pas ici invoqué à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité, ne relève pas de la compétence de la Cour ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des objectifs de la directive n° 78/855 du conseil des communautés européennes en date du 9 octobre 1978 :

6. Considérant qu'au vu de l'ensemble de ses écritures, la société Bellon entend tirer moyen de l'incompatibilité qui existerait, selon elle, entre les objectifs de la directive du 9 octobre 1978 et le caractère discrétionnaire de l'agrément prévu pour le transfert des créances de carry-back en cas de fusion ou d'absorption ; qu'aux termes de l'article 19, §1 de ladite directive : " ... la fusion entraîne ipso jure (...) la transmission universelle (...) de l'ensemble du patrimoine actif et passif de la société absorbée à la société absorbante " ; que ces dispositions ont été transposées par la loi du 5 janvier 1988 à l'article 372-1 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ;

7. Considérant toutefois que par les dispositions de l'article 220 quinquies du code général des impôts, le législateur a entendu créer au moyen d'un mécanisme de report en arrière , un avantage fiscal et non une des créances des sociétés auxquelles s'appliquent les règles civiles et commerciales de droit commun ; que les créances de " carry-back " ne constituent pas des créances commerciales ordinaires ; qu'ainsi, la directive invoquée, qui ne s'applique qu'aux seules créances civiles et commerciales des sociétés, n'a ni pour objet, ni pour effet de régir le sort de la créance sur le Trésor née du mécanisme de carry-back, laquelle est inaliénable et incessible et qui, en raison de sa nature strictement fiscale, n'entre pas dans le champ d'application du principe de la transmission universelle du patrimoine de l'absorbée à la société absorbante posé par la directive du 9 octobre 1978 ; que le moyen tiré de la contrariété de l'article 220 quinquies du code général des impôts avec la directive susmentionnée doit donc être écarté comme inopérant ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des objectifs de la directive 90/434/CEE en date du 23 juillet 1990 :

8. Considérant enfin que la société Bellon tente également de se prévaloir de l'incompatibilité des dispositions de l'article 220 quinquies avec les objectifs de la directive n° 90/434/CEE du 23 juillet 1990, relative au régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents ; que ladite directive énonce à son article 2 " [qu'] Aux fins de l'application de la présente directive, on entend par : / a) fusion : l'opération par laquelle : (...) une société transfère, par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation, l'ensemble de son patrimoine, activement et passivement, à la société qui détient la totalité des titres représentatifs de son capital social (...) " ; que toutefois, il ressort clairement de l'article 1er de cette directive, qui dispose : " Chaque Etat membre applique la présente directive aux opérations de fusion, de scission, d'apport d'actifs et d'échange d'actions qui concernent des sociétés de deux ou plusieurs Etats membres ", que celle-ci n'est, en tout état de cause, applicable qu'aux opérations de fusion, de scission, d'apports d'actifs et d'échanges d'actions qui concernent des sociétés de deux ou plusieurs États membres, ce qui n'est pas le cas de l'opération ayant concerné les sociétés Sodexo et Bellon ; que dans la mesure où la société intimée n'invoque pas la contrariété d'une règle de droit avec une autre règle de droit national, qui aurait repris des dispositions de droit communautaire pour les appliquer à des situations purement internes, la société Bellon n'est pas davantage fondée à soutenir que les dispositions de l'article 220 quinquies, dans leur rédaction applicable avant le 1er janvier 2002, sont incompatibles avec la directive du 23 juillet 1990 ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie et des finances est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a fait droit aux conclusions de la société Bellon ; qu'il y a donc lieu d'annuler le jugement frappé d'appel et de remettre, par voie de conséquence, à la charge de la société défenderesse, la somme de 139 175,23 euros dont elle avait été déchargée par le jugement annulé du tribunal administratif de Marseille ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la société Bellon la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 0405279 du tribunal administratif de Marseille en date du 3 décembre 2007 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Bellon devant le tribunal administratif de Marseille, tendant au remboursement de la créance née de l'option pour le report en arrière du déficit constaté au titre de l'exercice clos le 31 août 1995 par la SA Financière Sodexho, sont rejetées.

Article 3 : La somme de 139 175,23 euros (cent trente-neuf mille cent soixante-quinze euros et vingt-trois centimes) est remise à la charge de la société Bellon.

Article 4 : Les conclusions de la société Bellon tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie et des finances, et à la société Bellon.

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