Vu la requête, enregistrée le 29 octobre 2010, présentée pour la société Brecklane Limited, dont le siège est 25-26 Hampstead High Street à Londres (NW31QA), Angleterre, par Me Romain, avocat ; la société Brecklane Limited demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0703231 du 22 juin 2010 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande en décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés qui lui sont réclamées au titre des exercices 2003 à 2005 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées et des pénalités y afférentes, et la restitution des sommes payées avec allocation d'intérêts moratoires ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er octobre 2013,
- le rapport de M. Louis, président rapporteur ;
- et les conclusions de M. Guidal, rapporteur public ;
1. Considérant que la société Brecklane Limited, dont le siège est à Londres, relève appel du jugement du tribunal administratif de Nice du 22 juin 2010 ayant rejeté sa demande en décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés, réclamées au titre des exercices 2003 à 2005 suite à une vérification de sa comptabilité ayant révélé qu'elle mettait gratuitement à disposition de ses associés un bien immobilier dont elle est propriétaire à Cannes ; que l'administration a considéré que cette société devait être soumise à l'impôt sur les sociétés et qu'elle avait commis un acte anormal de gestion en mettant gratuitement à la disposition de ses associés l'immeuble d'habitation dont s'agit et l'a imposée sur la valeur de l'avantage en nature ainsi concédé, en évaluant la valeur locative de celle-ci à partir de la valeur vénale du bien immobilier, estimée par comparaison avec plusieurs biens similaires, à laquelle a été appliqué un coefficient de 5 %, ramené à 4,5 %, correspondant au taux de rendement du bien ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que la société soutient, à juste titre, que le jugement ne s'est pas prononcé sur le fait que les " revenus non expressément mentionnés " par la convention fiscale franco-britannique modifiée du 22 mai 1968, telle la mise à disposition gratuite d'un bien, sont exclusivement imposés par la Grande Bretagne, moyen pourtant invoqué en première instance ; qu'il y a lieu d'annuler le jugement ; qu'il revient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par le biais de l'évocation, d'examiner l'ensemble des moyens soulevés par la société Brecklane ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
S'agissant de l'article 206-1 du code général des impôts :
3. Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 206 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions des articles 8 ter, 239 bis AA et 1655 ter, sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif " ; que l'article 206-1 trouve donc à s'appliquer à cette activité dans la mesure où la société étrangère pourrait, à l'instar d'une société de capitaux de droit français, être regardée comme commerciale du seul fait de sa forme sociale ;
4. Considérant que la société requérante ne conteste pas être une société de capitaux dans laquelle la responsabilité des associés est limitée, ce que confirme d'ailleurs l'acte d'acquisition de la propriété de Cannes en 1993 ; que ces caractéristiques, non démenties par des statuts, qui n'ont pas été produits, l'apparentent à l'une des formes de sociétés visées par l'article 206-1 et suffisent à la faire regarder comme une société commerciale par sa forme, et, de ce fait, soumise à l'impôt sur les sociétés pour l'ensemble de ses opérations, même d'origine civile, sans qu'il soit nécessaire de définir son objet ; que la société requérante n'allègue d'ailleurs nullement avoir un objet civil et elle ne fait état d'aucune particularité de son statut qui ferait obstacle à son assimilation à l'un des types de sociétés de l'article 206-1 ;
5. Considérant que la société soutient que sa forme sociale n'est pas l'une des trois formes de l'article 206-1, ni une forme assimilable, et qu'elle ne se livre pas à une exploitation de caractère lucratif au sens du droit, de la doctrine exprimée sous la référence 4 H-5-98, 7 H 2221 et 4 H-1413 ou de la jurisprudence qui a précisé la notion " d'exercice habituel d'une activité commerciale " comme intégrant la notion d'établissement (installation fixe d'où est exercée l'activité, usine et/ou siège de la direction...) et celle de cycle complet d'opérations ;
6. Considérant, d'une part, que la société ne peut utilement invoquer la documentation administrative du 15 mai 1990 référencée 7 H-2221 pour soutenir " qu'une société étrangère qui n'exerce aucune activité imposable en France ne peut être regardée comme passible de l'impôt sur les sociétés en France " ; qu'en effet, les dispositions de la documentation dont s'agit ne concernent pas, en tout état de cause, l'impôt sur les sociétés ;
7. Considérant, d'autre part, que si la société requérante entend se prévaloir des dispositions du paragraphe 28 de la documentation administrative 4 H-1413 du 1er mars 1995, son moyen doit également être écarté dès lors que ces dispositions sont relatives aux revenus des immeubles figurant à l'actif d'une entreprise ayant son siège en France, ce qui n'est pas, en tout état de cause, son cas ;
8. Considérant, enfin, que si la société invoque également les instructions 4 H-2-77 du 27 mai 1977 et 4 H-5-98 du 15 septembre 1998, ces moyens sont, en tout état de cause, inopérants, dès lors que les instructions dont s'agit sont relatives aux collectivités autres que les sociétés ;
9. Considérant que, par les moyens que la requérante invoque, ayant trait à sa forme sociale, à la doctrine et à l'absence d'établissement en France, elle ne conteste pas utilement le bien-fondé de son inclusion dans la catégorie des sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés par leur forme, établi par l'administration dans ses propositions de rectification ;
10. Considérant qu'ainsi, en mettant gratuitement à disposition de ses associés l'immeuble qu'elle possède à Cannes, la société Breacklane Limited doit être regardée, en sa qualité de société de capitaux, comme ayant réalisé une opération à caractère lucratif au sens de l'article 206-1 précité du code général des impôts, passible de l'impôt sur les sociétés en France, qui sera établi suivant les règles applicables à cet impôt ; qu'ainsi, l'administration a pu, à bon droit, regarder cette libéralité, pour laquelle aucune contrepartie n'est revendiquée, comme une renonciation indue à des recettes et donc un acte anormal de gestion, et réintégrer dans les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés de l'entreprise les loyers que celle-ci aurait dû normalement percevoir ;
S'agissant de l'article 209-1 du code général des impôts et de la convention fiscale :
11. Considérant qu'aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 35, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, ainsi que ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions "; qu'ainsi, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont, en principe, les bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, sous réserve cependant de l'application des conventions internationales relatives aux doubles impositions ;
12. Considérant que l'article 5 de la convention franco-britannique du 22 mai 1968 modifiée précise que les revenus tirés par une société résidente anglaise de biens immobiliers situés en France sont imposables en France, sachant que l'expression " biens immobiliers " a le sens que lui attribue l'Etat de leur situation et que cette disposition s'applique " aux revenus provenant de l'exploitation directe, de la location ou de l'affermage ainsi que de toute autre forme d'exploitation de biens immobiliers " ; que, dès lors qu'est ainsi visée " toute autre forme d'exploitation des biens immobiliers ", le cas de la mise à disposition gratuite d'un bien immobilier est prévu dans la convention ;
13. Considérant que la société requérante soutient que, par " revenus immobiliers ", il faut entendre des revenus effectivement perçus, ce qui n'est pas son cas, et que la convention fiscale en son article 5 ne traite pas des revenus simplement " éventuels " ou passés sous silence, l'article 22 en réservant l'imposition à la Grande Bretagne ; qu'il vient d'être répondu sur la définition de la " perception " de revenus immobiliers, le droit français assimilant revenus " effectifs " et revenus " virtuels " par le biais de la notion d'acte anormal de gestion ; que le cas étant réglé par les dispositions de l'article 5, l'article 22 de la convention est inapplicable ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Brecklane Limited n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 22 juin 2010 est annulé.
Article 2 : La requête de la société Brecklane Limited est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Brecklane Limited et au ministre de l'économie et des finances.
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N° 10MA03968