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23/10/2012 | FRANCE | N°10MA02590

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 23 octobre 2012, 10MA02590


Vu, enregistrée le 8 juillet 2010, la requête présentée pour Mme Marie-Thérèse DOUET épouse A, domiciliée ..., par Me Journault, avocat ;

Mme A demande à la Cour :

- d'annuler le jugement n° 0900202 rendu le 12 mai 2010 par le tribunal administratif de Marseille ;

- d'annuler la décision en date du 23 décembre 2008 par laquelle le maire de Marseille a refusé d'adresser un ordre de réquisition au comptable public pour paiement de son indemnité de licenciement ;

- d'enjoindre à la commune de Marseille de prendre toute mesure utile aux fins d'exécu

tion de sa décision de l'indemniser, notamment, en usant de son pouvoir de réquisition à...

Vu, enregistrée le 8 juillet 2010, la requête présentée pour Mme Marie-Thérèse DOUET épouse A, domiciliée ..., par Me Journault, avocat ;

Mme A demande à la Cour :

- d'annuler le jugement n° 0900202 rendu le 12 mai 2010 par le tribunal administratif de Marseille ;

- d'annuler la décision en date du 23 décembre 2008 par laquelle le maire de Marseille a refusé d'adresser un ordre de réquisition au comptable public pour paiement de son indemnité de licenciement ;

- d'enjoindre à la commune de Marseille de prendre toute mesure utile aux fins d'exécution de sa décision de l'indemniser, notamment, en usant de son pouvoir de réquisition à l'égard du comptable, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

- de mettre à la charge de la commune de Marseille le paiement d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;

Vu le décret n° 88-145 du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 et relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 octobre 2012 :

- le rapport de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur,

- les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public,

- les observations de Me Journault pour Mme A,

- et les observations de M. Gallina, juriste du service juridique de la commune de Marseille, pour la commune de Marseille ;

Considérant que Mme A, recrutée contractuellement par la commune de Marseille en qualité de violoniste en 1972, a été licenciée pour inaptitude physique le 1er août 2002 ; que, par un jugement en date du 7 décembre 2006 devenu définitif, le tribunal administratif de Marseille a jugé que Mme A avait droit, dans son principe, à une indemnité de licenciement mais a estimé, en application des dispositions de l'article 45 du décret du 15 février 1988 susvisé dans sa rédaction alors en vigueur, que le montant de ladite indemnité était nul puisque Mme A était en congé sans solde le mois civil précédant son licenciement ; que Mme A a, après modification, par décret en date du 24 décembre 2007, des dispositions précitées, sollicité à nouveau le versement d'une indemnité de licenciement ; que, le 2 avril 2008, le maire de la commune de Marseille a adressé au receveur des finances de Marseille municipale une proposition de mandatement d'un montant de 30 430, 80 euros ; que toutefois, par une décision en date du 16 juin 2008, le comptable public a refusé de procéder au règlement de cette somme ; qu'en conséquence, le maire de Marseille a, le 31 juillet 2008, rejeté la demande d'indemnité de licenciement formulée par Mme A ; que cette dernière lui a alors présenté une demande tendant à ce que soit adressé au comptable public un ordre de réquisition ; que Mme A demande à la Cour d'annuler le jugement en date du 12 mai 2010 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision en date du 23 décembre 2008 par laquelle le maire de Marseille a refusé d'adresser un ordre de réquisition au comptable ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant que, sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ; qu'une décision administrative explicite accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que l'administration avait l'obligation de refuser un avantage ; qu'en revanche, n'ont pas cet effet les mesures qui se bornent à procéder à la liquidation de la créance née d'une décision prise antérieurement ; que le maintien indu du versement d'un avantage financier à un agent public, alors même que le bénéficiaire a informé l'ordonnateur qu'il ne remplit plus les conditions de l'octroi de cet avantage, n'a pas le caractère d'une décision accordant un avantage financier et constitue une simple erreur de liquidation ; qu'il appartient à l'administration de corriger cette erreur et de réclamer le reversement des sommes payées à tort sans que l'agent intéressé puisse se prévaloir de droits acquis à l'encontre d'une telle demande de reversement ;

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que par lettre en date du 28 février 2008, il a été indiqué à Mme A que sa demande allait être instruite par la direction de l'Opéra "qui devrait compte tenu de l'évolution de la réglementation dans ce domaine, donner une suite favorable" à celle-ci ; que, le 26 mars 2008, a été adressée à Mme A une demande de justificatifs "suite au paiement de votre licenciement en date du 1er août 2002" ; qu'à cette date donc, et avant même que ne soit adressée au comptable public une proposition de mandatement, une décision d'octroi d'indemnité de licenciement à Mme A avait été prise par le maire de Marseille ; que cela est conforté par la rédaction d'une lettre du 31 juillet 2008 qui précise : "Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 28 février 2008, je vous informais de la suite favorable qu'avait réservée l'administration à votre demande d'indemnisation au titre des articles 40 à 49 du décret

n° 88-145 du 15 février 1988. Les services administratifs de l'opéra en charge du dossier ont pris les dispositions nécessaires afin que vous puissiez bénéficier de cette indemnité dans les conditions prévues par la réglementation" ; que, par cette décision, l'administration a, alors même qu'elle était tenue de refuser d'accorder cet avantage dès lors que, à la date à laquelle Mme A avait été licenciée, les dispositions règlementaires ne lui permettaient pas de bénéficier en fait d'une indemnité de licenciement, pris un acte créateur de droits ; qu'il ressort en effet des pièces du dossier que, par cette décision, elle a manifesté une volonté explicite d'octroyer à son agent une indemnité de licenciement, nonobstant le rejet opposé le 7 décembre 2006 par le tribunal aux conclusions indemnitaires de l'intéressée et n'a pas commis une simple erreur de liquidation ;

Considérant, en second lieu, qu'en vertu de l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors notamment qu'une dépense a été irrégulièrement payée ; que selon le VI de l'article 60, le comptable public dont la responsabilité pécuniaire est ainsi engagée ou mise en jeu a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale à la dépense payée à tort ; que s'il n'a pas versé cette somme, il peut être, selon le VII de l'article 60, constitué en débet par le juge des comptes ; que s'agissant des comptables locaux, l'article L. 1617-2 du code général des collectivités territoriales dispose que : " Le comptable d'une commune, d'un département ou d'une région ne peut subordonner ses actes de paiement à une appréciation de l'opportunité des décisions prises par l'ordonnateur. Il ne peut soumettre les mêmes actes qu'au contrôle de légalité qu'impose l'exercice de sa responsabilité personnelle et pécuniaire" ; que, par ailleurs, en vertu de l'article 19 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, les comptables publics sont, dans les conditions fixées par les lois de finances, personnellement et pécuniairement responsables de l'exercice régulier des contrôles prévus aux articles 12 et 13 ; qu'aux termes de l'article 12 de ce décret : " Les comptables sont tenus d'exercer : (...) / B. - En matière de dépenses, le contrôle : / (...) De la validité de la créance dans les conditions prévues à l'article 13 ci-après (...) " ; que l'article 13 du même décret dispose que : " En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur : / La justification du service fait et l'exactitude des calculs de liquidation ; / L'intervention préalable des contrôles réglementaires et la production des justifications (...) " ; qu'aux termes de l'article 37 du même décret : " Lorsque, à l'occasion de l'exercice du contrôle prévu à l'article 12 (alinéa B) ci-dessus, des irrégularités sont constatées, les comptables publics suspendent les paiements et en informent l'ordonnateur (...) " ; que s'agissant des comptables locaux,

l'article L. 1617-3 du code général des collectivités territoriales dispose que : " Lorsque le comptable de la commune, du département ou de la région notifie sa décision de suspendre le paiement d'une dépense, le maire, le président du conseil général ou le président du conseil régional peut lui adresser un ordre de réquisition. Il s'y conforme aussitôt, sauf en cas d'insuffisance de fonds disponibles, de dépense ordonnancée sur des crédits irrégulièrement ouverts ou insuffisants ou sur des crédits autres que ceux sur lesquels elle devrait être imputée, d'absence totale de justification du service fait et de défaut de caractère libératoire du règlement ainsi qu'en cas d'absence de caractère exécutoire des actes pris selon les cas par les autorités communales, les autorités départementales ou les autorités régionales (...)" ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu'à ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d'une part, complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée ; que si ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l'origine de la créance et s'il leur appartient alors d'en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité ; qu'enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu'à ce que l'ordonnateur leur ait produit les justifications nécessaires ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le comptable public s'est mépris sur la décision à l'origine de la créance de Mme A ; que si, en effet, le jugement du 7 décembre 2006 ne permettait nullement à cette dernière d'obtenir l'indemnité de licenciement sollicitée, il n'en demeure pas moins que le maire de Marseille avait, par une décision postérieure à ce jugement et créatrice de droits, accepté néanmoins de faire droit à sa demande ; que, par suite, le comptable public, qui ne pouvait ni apprécier l'opportunité d'une telle décision ni la légalité de celle-ci, a excédé ses pouvoirs ; qu'il suit de là que le maire de Marseille qui ne pouvait plus, au-delà d'un délai de 4 mois, procéder au retrait de sa décision, était tenu en application de l'article L. 1617-3 du code général des collectivités territoriales, de requérir ledit comptable d'opérer le paiement de l'indemnité sollicitée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué et, par l'effet d'évolutif de l'appel, celle de la décision du 23 décembre 2008 par laquelle le maire de Marseille avait refusé de faire droit à sa demande tendant à ce que soit adressé un ordre de réquisition au comptable public ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant que l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au maire de Marseille d'adresser un ordre de réquisition au receveur des finances de Marseille municipale aux fins de versement à Mme A de l'indemnité de licenciement qu'elle avait sollicitée, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Marseille le paiement d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 0900202 rendu le 12 mai 2010 par le tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : La décision du maire de Marseille en date du 23 décembre 2008 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au maire de Marseille d'adresser un ordre de réquisition au comptable public aux fins de paiement de l'indemnité de licenciement de Mme A dans un délai de deux mois à compter de la notification dudit arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La commune de Marseille versera à Mme A une somme de 2 000 euros

(deux mille euros) en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Marie-Thérèse A et au maire de Marseille.

Copie pour information en sera adressée au trésorier payeur général.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10MA02590
Date de la décision : 23/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

01-01-06-02-01 Actes législatifs et administratifs. Différentes catégories d'actes. Actes administratifs - classification. Actes individuels ou collectifs. Actes créateurs de droits.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: Mme Aurélia VINCENT-DOMINGUEZ
Rapporteur public ?: Mme HOGEDEZ
Avocat(s) : JOURNAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-10-23;10ma02590 ?
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