Vu, avec les mémoires et pièces qui y sont visés, l'arrêt en date du 30 septembre 2010, par lequel la cour administrative d'appel a ordonné une expertise avant de statuer sur le montant du préjudice subi par M. et Mme A, du fait des nuisances qu'ils estiment occasionnées par les travaux et la mise en service de la ligne TGV Méditerranée à proximité de leur propriété située à Lamotte du Rhône (84840), et notamment, de constater et mesurer les nuisances sonores diurnes et nocturnes auxquelles la propriété se trouve le cas échéant exposée lors des passages de trains, de dire si les occupants de la propriété ont subi un préjudice visuel du fait de la construction de la ligne ferroviaire, d'indiquer si la propriété a subi une perte de la valeur vénale du fait de la construction et du fonctionnement de la ligne ferroviaire et de les évaluer le cas échéant ;
Vu le rapport déposé par l'expert au greffe de la cour le 5 décembre 2011 ;
Vu l'ordonnance en date du 10 janvier 2012 par laquelle le président de la cour a taxé et liquidé à la somme de 5 608,16 euros les frais et honoraires de l'expertise ;
Vu, enregistré le 6 janvier 2012, le mémoire présenté pour M. et Mme Roger A par Me Trojman, qui demandent la condamnation " des défendeurs ou celui d'entre eux contre qui l'action compètera le mieux " à leur verser, au titre de l'ensemble de leurs préjudices, la somme de 200 000 euros assortie des intérêts capitalisés, condamner les défendeurs aux entiers dépens et les condamner à leur verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;
...............................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public " Réseau Ferré de France " ;
Vu le décret n° 95-22 du 9 janvier 1995 relatif à la limitation des bruits des aménagements des infrastructures de transports terrestres ;
Vu l'arrêté du 5 mai 1995 relatif au bruit des infrastructures routières ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 juin 2012 :
- le rapport de Mme Carassic, rapporteure ;
- les conclusions de Mme Fédi, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Pasquet substituant Me Trojman pour les époux A, de Me Chatagner de la SCP Boivin et associés pour Réseau Ferré de France et de Me Couzinier de la SCP Scapel pour la SNCF ;
Vu, enregistrée le 27 juin 2012, la note en délibéré présentée pour Me et Mme A par Me Trojman ;
Considérant que M. et Mme A, propriétaires d'un ensemble immobilier comportant leur maison d'habitation et des dépendances, situés sur le territoire de la commune de Lamotte sur Rhône, ont interjeté appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire de la SNCF et RFF à réparer les préjudices qu'ils soutiennent avoir subis du fait de l'implantation et de l'exploitation de la ligne TGV Méditerranée à proximité de leur propriété ; que, par arrêt du 30 septembre 2010, la cour a ordonné une expertise et a réservé tous les autres droits et moyens des parties ; que l'expert a déposé son rapport le 5 décembre 2011 ; que l'affaire est à présent en état d'être jugée ;
Sur la détermination de la personne publique responsable :
Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi du 13 février 1997 portant création de l'établissement public Réseau Ferré de France : " Les biens constitutifs de l'infrastructure et les immeubles non affectés à l'exploitation de transport appartenant à l'Etat et gérés par la SNCF sont, à la date du 1er janvier 1997, apportés en pleine propriété à Réseau Ferré de France. / Les biens constitutifs de l'infrastructure comprennent les voies, y compris les appareillages fixes associés, les ouvrages d'art et les passages à niveau, les quais à voyageurs et à marchandises, les triages et les chantiers de transport combiné, les installations de signalisation, de sécurité, de traction électrique et de télécommunications liées aux infrastructures, les bâtiments affectés au fonctionnement et à l'entretien des infrastructures " ; qu'aux termes de l'article 6 de ladite loi : " Réseau Ferré de France est substitué à la SNCF pour les droits et obligations liés aux biens qui lui sont apportés, à l'exception de ceux afférents à des dommages constatés avant le 1er janvier 1997 (...) " ; qu'aux termes, enfin, du 3ème alinéa de l'article 1er de la même loi " Compte tenu des impératifs de sécurité et de continuité du service public, la gestion du trafic et des circulations sur le réseau ferré national ainsi que le fonctionnement et l'entretien des installations techniques et de sécurité de ce réseau sont assurés par la société nationale des chemins de fer français pour le compte et selon les objectifs et principes de gestion définis par Réseau Ferré de France. Il la rémunère à cet effet " ;
Considérant que les biens constitutifs de l'infrastructure ferroviaire, qui ont été apportés en pleine propriété à RFF par l'article 5 précité de la loi du 13 février 1997, constituent un ouvrage public ; qu'il résulte de l'article 6 de la même loi que, vis-à-vis des tiers, la responsabilité de RFF est susceptible d'être engagée sans faute pour tous les dommages permanents constatés à partir du 1er janvier 1997 imputables à cet ouvrage, que ces dommages résultent de l'implantation, du fonctionnement ou de l'entretien de l'ouvrage ; qu'en application de ces mêmes dispositions, la responsabilité de la SNCF ne peut engagée vis-à-vis des tiers pour des dommages permanents résultant de l'implantation ou du fonctionnement de cet ouvrage, que si ces dommages ont été constatés avant le 1er janvier 1997 ; qu'en dehors de cette dernière hypothèse, la responsabilité de la SNCF n'est susceptible d'être engagée, vis-à-vis des tiers, pour des dommages nés à partir du 1er janvier 1997, que si ces dommages sont directement imputables aux modalités d'entretien de l'ouvrage ;
Considérant que les dommages dont les requérants demandent l'indemnisation relèvent de nuisances visuelles et sonores causées par la présence de l'ouvrage et son exploitation ainsi que de la perte de valeur vénale de leur propriété ; que ces dommages permanents n'ont pas pu être constatés avant le 1er janvier 1997, dès lors que la LGV Méditerranée n'a été mise en service qu'en juin 2001 ; qu'ainsi, seule la responsabilité de RFF est susceptible d'être engagée, en sa qualité de maître de l'ouvrage, pour les dommages anormaux et spéciaux causés aux époux A du fait de l'implantation et du fonctionnement de la portion de voie en cause ;
Sur la responsabilité :
Considérant que les époux A ont la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public litigieux ; que la responsabilité du maître de l'ouvrage public est susceptible d'être engagée, même sans faute, à l'égard des demandeurs tiers par rapport à cet ouvrage ; qu'il appartient toutefois aux appelants d'apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'ils allèguent avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et lesdits préjudices, qui doivent en outre présenter un caractère anormal et spécial ;
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :
Considérant d'abord que les époux A soutiennent subir un préjudice visuel au motif que, avant l'édification de la ligne, la vue de leur maison s'étendait à l'est sur plusieurs kilomètres jusqu'aux collines de Mondragon, alors qu'elle est limitée depuis 2001 à 170 mètres du fait de la réalisation d'un remblai, destiné à protéger la ligne ferroviaire des crues du Rhône, de 9 m de hauteur, surmonté d'un mur antibruit de 4 m de haut, et des mâts supportant la caténaire d'environ 8 m de haut ; qu'il résulte de l'instruction et notamment des photographies de l'expert judiciaire jointes à son rapport, que l'édification de ce remblai a eu pour conséquence de réduire la vue, de l'intérieur de la maison des requérants, sur la plaine cultivée et au fond, sur ces collines du côté est de la propriété ; que toutefois, ce préjudice ne présente pas un caractère anormal excédant ceux que doivent normalement supporter, dans l'intérêt général, les propriétaires de fonds voisins de voies ferroviaires et ne peut donc pas être regardé comme étant anormal et spécial ;
Considérant ensuite, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée par l'arrêt avant dire droit du 30 septembre 2010 de la cour, que les niveaux sonores d'exposition mesurés en façade de la propriété des requérants s'élèvent, lors du passage des trains, à 55,1 db le jour à l'intérieur de la maison et, la nuit, à 39,3 db à l'intérieur fenêtres ouvertes ; que les résultats des mesures de bruit montrent que les émissions sonores liées au fonctionnement de la LGV n'excèdent pas à l'intérieur ou à l'extérieur de la maison les seuils réglementaires fixés par l'article 2 de l'arrêté du 8 novembre 1999, qui fixe, pour des logements situés, comme en l'espèce, en zone d'ambiance sonore préexistante modérée et pour les lignes parcourues exclusivement par des TGV à des vitesses supérieures à 250 km/h, à 57 db de jour (6 h - 22 h) et 52 db la nuit (22h - 6h) ; que l'expert indique aussi que la maison est située au bord de la RN 86, dans un environnement sonore élevé, puisque le bruit résiduel, sans tenir compte des passages des trains, est de 58,9 dB le jour et de 51,6 dB la nuit ; que, dans ces conditions, et alors même que 137 TGV circulent en moyenne sur cette ligne par jour entre 5 h 25 à 22 h 55, la gêne sonore évidente occasionnée par le passage des trains ne constitue pas un préjudice anormal excédant celui que doivent normalement supporter, dans l'intérêt général, les propriétaires de fonds voisins de voies ferroviaires ; que, par suite, ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, le préjudice tiré des troubles dans les conditions d'existence des époux A du fait de l'installation et de la mise en service de la LGV n'est pas établi ;
En ce qui concerne la perte de la valeur vénale de la propriété :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'expert a évalué cette perte de valeur à 32 % en 2011, soit la somme de 80 960 euros compte tenu de la mise en service de la LGV ; que les époux A, qui estiment à 100 000 euros cette perte de valeur, ne justifient aucunement ce montant, d'autant que l'expert n'a pas appliqué ce taux de 32 % uniquement sur la surface habitable de la propriété, en excluant le jardin et les dépendances, dès lors que le prix moyen au m² utilisé par l'expert pour calculer cette perte tient compte de la superficie du terrain ; que si RFF critique quant à lui la méthode, retenue par l'expert, d'évaluation d'un bien par comparaison avec des immeubles similaires, en retenant des transactions sur des biens dont les caractéristiques seraient notoirement éloignées de celles de la propriété des époux A, il résulte de l'instruction que l'expert, après avoir dans un premier temps sélectionné toutes les transactions sur une période, a écarté dans un deuxième temps les références non pertinentes de biens immobiliers pour déterminer un prix au m² dans le secteur et a appliqué une pondération du bien expertisé, selon la méthode de comparaison indirecte ; qu'en outre, contrairement à ce que soutient RFF, si l'évaluation de cette perte de valeur par l'expert est fondée sur des biens, situés dans une bande de 300 mètres de part et d'autre de l'axe de la future voie, qui ont fait l'objet, avant la mise en service de la ligne Méditerranée, d'une cession amiable à la SNCF fondée sur un droit de délaissement avant d'être ensuite revendus, il ne résulte pas de l'instruction que ces transactions, qui ont fait chacune l'objet d'une négociation individualisée, n'ont pas été réalisées selon la loi de l'offre et de la demande ; que, dans les circonstances de l'espèce, et alors même que les requérants n'auraient pas émis l'intention de vendre leur propriété, il sera fait une juste appréciation du préjudice causé aux époux A en condamnant l'établissement public Réseau Ferré de France à leur verser la somme de 80 960 euros au titre du préjudice subi pour la perte de valeur vénale de leur propriété ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les époux A sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande concernant la perte de valeur vénale de leur propriété ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant que les époux A ont droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 80 960 euros qui leur est due par RFF, à compter du 9 juin 2004, date d'enregistrement de leur demande au tribunal administratif de Nîmes ; que la capitalisation des intérêts a été demandée par les époux A pour la première fois le 15 juin 2007 lors de l'introduction de leur requête introductive d'appel ; qu'à cette date, les intérêts étaient dus au moins pour une année entière ; qu'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, de faire droit à cette demande à compter du 15 juin 2007 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de RFF les frais de l'expertise diligentée devant la cour de céans liquidés et taxés à la somme de 5 608,16 euros par une ordonnance du président de la cour du 10 janvier 2012 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de RFF le versement aux époux A de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que les dispositions de cet article font obstacle à ce que les époux A, qui ne sont pas la partie condamnée aux dépens, soient condamnés à verser quelque somme que ce soit à RFF et à la SNCF ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0424255 du 30 avril 2007 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 2 : RFF est condamné à verser aux époux A la somme de 80 960 euros portant intérêts à compter de la date d'enregistrement de leur requête au tribunal administratif, le 9 juin 2004. Les intérêts échus au 15 juin 2007 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.
Article 3 : RFF versera la somme de 1 500 euros aux époux A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 5 608,16 euros sont mis à la charge définitive de RFF.
Article 5 : Le surplus de la requête des époux A est rejeté.
Article 6 : Les conclusions présentées par RFF et la SNCF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié aux époux A, à RFF à la SNCF
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N° 07MA021832
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