La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2012 | FRANCE | N°12MA00191

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre - formation à 3, 28 juin 2012, 12MA00191


Vu la décision n°336743 du 23 décembre 2011 par laquelle le Conseil d'Etat a, d'une part, annulé l'arrêt de la cour de céans n°08MA00626 du 16 décembre 2009 qui a rejeté la requête présentée par le DEPARTEMENT DE L'HERAULT tendant à l'annulation du jugement n°0404648 du 20 novembre 2007 par lequel le tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser aux époux A la somme de 105 000 euros avec intérêt au légal et capitalisation des intérêts et a porté la somme due à 120 000 euros et a, d'autre part, renvoyé l'affaire devant la même cour ;

Vu la requête

, enregistrée le 9 février 2008 au greffe de la cour administrative d'appel de M...

Vu la décision n°336743 du 23 décembre 2011 par laquelle le Conseil d'Etat a, d'une part, annulé l'arrêt de la cour de céans n°08MA00626 du 16 décembre 2009 qui a rejeté la requête présentée par le DEPARTEMENT DE L'HERAULT tendant à l'annulation du jugement n°0404648 du 20 novembre 2007 par lequel le tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser aux époux A la somme de 105 000 euros avec intérêt au légal et capitalisation des intérêts et a porté la somme due à 120 000 euros et a, d'autre part, renvoyé l'affaire devant la même cour ;

Vu la requête, enregistrée le 9 février 2008 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, sous le n° 08MA00626, présentée pour le DEPARTEMENT DE L'HERAULT, dont le siège est Hôtel du Département, 1000 rue d'Alco à Montpellier Cedex 04 (34087), par la société civile professionnelle (SCP) d'avocats Vinsonneau-Palies Noy Gauer et associés ;

Le DEPARTEMENT DE L'HERAULT demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°0404648 du 20 novembre 2007 par lequel le tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser à M. et Mme A la somme de 105 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable d'indemnisation et capitalisation des intérêts, en réparation de leur préjudice ;

2°) de rejeter la demande présentée par les époux A devant le tribunal administratif de Montpellier ;

3°) à titre subsidiaire, de minorer le montant de la réparation allouée par le tribunal aux époux A ;

4°) de condamner M. et Mme A à lui verser la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

--------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 juin 2012 :

- le rapport de M. Salvage, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Chenal-Peter, rapporteur public ;

- les observations de Me Lecard de la SCP d'avocats Vinsonneau-Palies Noy Gauer et Associés, avocat pour le DEPARTEMENT DE L'HERAULT ;

- et les observations de Me Maillot, avocat pour M. et Mme A ;

Considérant que le 6 octobre 1998 le président du conseil général de l'Hérault a suspendu pour une durée de trois mois l'agrément de Mme A comme assistante maternelle à la suite de la mise en examen de son époux du chef d'agressions sexuelles sur mineur de quinze ans ; que cet agrément lui a été retiré par décision du 9 février 1999 ; que le 27 avril 2000, le juge d'instruction chargé de l'affaire a rendu une ordonnance de non-lieu ; que Mme A a obtenu la restitution de son agrément le 30 juin 2000 ; que par jugement en date du 20 novembre 2007 le tribunal administratif de Montpellier a condamné le DEPARTEMENT DE L'HERAULT à verser à M. et Mme A la somme de 105 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable d'indemnisation et capitalisation des intérêts, en réparation de leurs préjudices matériel et moral sur le fondement de la responsabilité sans faute ; que le DEPARTEMENT DE L'HERAULT a relevé appel de ce jugement ;

que M. et Mme A ont demandé à la Cour, par la voie de l'appel incident, à porter à 163 065 euros la somme allouée au titre des préjudices subis ; que par une décision du 23 décembre 2011, le Conseil d'Etat a, d'une part, annulé l'arrêt de la cour de céans du 16 décembre 2009 rejetant l'appel du département et portant le montant de l'indemnité à 120 000 euros et, d'autre part, renvoyé l'affaire devant la même cour ;

Sur la responsabilité pour faute du département :

Considérant qu'aux termes de l'article 123-1 du code de la famille et de l'aide sociale alors en vigueur : " La personne qui accueille habituellement des mineurs à son domicile, moyennant rémunération, doit être préalablement agréée comme assistante maternelle par le président du conseil général du département où elle réside. L'agrément est accordé pour une durée fixée par voie réglementaire si les conditions d'accueil garantissent la santé, la sécurité et l'épanouissement des mineurs accueillis (...) " ; qu'aux termes de l'article 123-1-1 du même code alors en vigueur : " Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil général peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil général peut suspendre l'agrément (...)";

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il incombe au président du conseil général de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément si ces conditions ne sont plus remplies ; qu'à cette fin, dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant, notamment de suspicions d'agression sexuelle, de la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est victime des comportements en cause ou risque de l'être ; que, par ailleurs, si la légalité d'une décision doit être appréciée à la date à laquelle elle a été prise, il incombe cependant au juge de l'excès de pouvoir de tenir compte, le cas échéant, d'éléments objectifs antérieurs à cette date mais révélés postérieurement ;

Considérant qu'il ressort des écritures de M. et Mme A que ceux-ci doivent être regardés comme soulevant une faute du DEPARTEMENT DE L'HERAULT pour avoir illégalement retiré son agrément ; qu'il résulte de l'instruction que les accusations portées par le jeune Bryan contre M. A ont été seulement relayées en l'état par l'association pour la protection de l'enfance et de l'adolescence et la mère de l'enfant ; que le juge d'instruction a mis en examen ce dernier, que le procureur de la République a demandé au département le 5 octobre 1998 de retirer les enfants placés auprès de Mme A ; que M. A a pu avoir un comportement déplacé en prenant un bain avec les enfants dont il a la garde ou en se déplaçant parfois sans vêtement en leur présence au réveil ; que l'examen médical annal pratiqué sur Bryan a laissé apparaitre une fissure semi récente en cours de cicatrisation, d'origine traumatique ; que, toutefois, il n'y avait pas de trace d'un traumatisme sexuel et il existe des doutes sérieux quant à la date de survenance de ces fissures ; que les époux A, qui exerçaient depuis six années, n'avaient jamais été mis en cause d'une quelconque façon et donnaient pleine satisfaction à leur employeur, leur comportement étant exemplaire à l'égard des enfants ; que le deuxième enfant placé auprès des intimés n'a jamais confirmé les dires de Bryan ;

que celui-ci a une personnalité troublée et des tendances affabulatrices ; qu'en outre le département n'établit pas, ni même n'allègue, avoir accompli la moindre diligence de son côté pour établir la matérialité des faits ou tout au moins vérifier le bien fondé des accusations portées contre M. A, indépendamment de la procédure judiciaire en cours et n'évoque aucun autre fait de nature à justifier la mesure qu'il a prise ; que, d'ailleurs, par ordonnance du 27 avril 2000, le juge d'instruction a estimé qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre l'intéressé et a déclaré qu'il n'y avait pas lieu à suivre en l'état ; qu'il résulte de l'ensemble des circonstances précitées que le président du DEPARTEMENT DE L'HERAULT ne pouvait légalement procéder au retrait litigieux ; que cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité ; que, de même, le département ne pouvait refuser de placer des enfants auprès de Mme A alors qu'il lui avait restitué son agrément le 30 juin 2000, au seul motif de " l'historique de son dossier " sans commettre une autre faute ;

Sur l'indemnisation :

Considérant, en premier lieu, que Mme A peut prétendre à la réparation du préjudice financier résultant de la perte des rémunérations dont elle a été privée à compter du retrait de son agrément, soit le 09 février 1999 ; que comme il l'a été dit il résulte de l'instruction qu'à la date de la restitution de son agrément le DEPARTEMENT DE L'HERAULT a illégalement continué à refuser de lui confier des enfants ; qu'ainsi, nonobstant la circonstance que l'intéressée pouvait solliciter d'autres organismes pour se voir confier des enfants, elle est fondée à demander à être indemnisée de ses pertes de salaires jusqu'au terme dudit agrément en octobre 2002 ; que le montant mensuel moyen des salaires perçus par Mme A entre janvier et septembre 1998 s'élevait à 1 863,87 euros et que le montant des indemnités pour perte d'emploi qui lui ont été allouées à 19 814 euros ; qu'il sera ainsi fait une juste appréciation du préjudice financier subi par l'intéressée en en fixant le montant à 64 000 euros ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par l'intéressée en raison des agissements fautifs du DEPARTEMENT DE L'HERAULT en en fixant le montant à 10 000 euros ;

Considérant, en troisième lieu, que Mme A était titulaire d'un nouvel agrément à compter d'octobre 2002 ; que ce dernier ne signifiait pas nécessairement que des enfants lui seraient confiés ; qu'il résulte en outre de l'instruction que si le département a renoncé à travaillé avec elle pour les motifs sus invoqués, il lui a néanmoins indiqué les noms d'employeurs potentiels ; que Mme A n'établit pas avoir pris contact avec ces derniers, ou avec d'autres, et s'être vue opposer un refus ; qu'ainsi, si l'intéressée peut se prévaloir d'une perte suffisamment sérieuse de se voir confier de nouveaux enfants par le DEPARTEMENT DE L'HERAULT, celle-ci est nécessairement limitée par l'absence de diligence établie par l'intéressée pour trouver un autre employeur ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à la somme de 10 000 euros ;

Considérant, en quatrième et dernier lieu, que, comme l'a jugé le tribunal administratif, il n'y a pas un lien de causalité direct et certain entre les frais exposés par les époux A pour améliorer l'adaptation de leur habitation à l'accueil des enfants et les agissements fautifs du département ; que ce chef de préjudice ne saurait donc donner lieu à une quelconque indemnisation ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le DEPARTEMENT DE L'HERAULT doit être condamné à verser au requérants une indemnité d'un montant total de 84 000 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que la somme de 84 000 euros susvisée portera intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2004, date de réception par le DEPARTEMENT DE L'HERAULT de la réclamation préalable adressée par M. et Mme A ;

Considérant, en outre, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière " ; que pour l'application des dispositions précitées la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ;

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée par M. et Mme A dans leur mémoire complémentaire enregistré au greffe du tribunal le 2 octobre 2006 ; qu'à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a dès lors lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que M. et Mme A versent quelque somme que ce soit au DEPARTEMENT DE L'HERAULT au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens ;

Considérant, en revanche, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner LE DEPARTEMENT DE L'HERAULT à verser à M. et Mme A la somme de 3 000 euros à ce titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les conclusions présentées par le DEPARTEMENT DE L'HERAULT tendant à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Montpellier, au rejet des demandes de M. et Mme A et à la condamnation de ces derniers à leur verser des frais irrépétibles sont rejetées.

Article 2 : Le DEPARTEMENT DE L'HERAULT est condamné à verser à M. et Mme A une somme de 84 000 (quatre-vingt-quatre mille) euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2004. Les intérêts échus à la date du 2 octobre 2006 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le jugement n°0404648 du tribunal administratif de Montpellier du 20 novembre 2007 est réformé dans cette limite.

Article 4 : Les conclusions incidentes présentées par M. et Mme Ahmed A sont rejetées.

Article 5 : Le DEPARTEMENT DE L'HERAULT versera à M. et Mme Ahmed A une somme de 3 000 (trois mille) euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au DEPARTEMENT DE L'HERAULT et à M. et Mme Ahmed A.

''

''

''

''

N° 12MA00191 2

cd


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 12MA00191
Date de la décision : 28/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. FERULLA
Rapporteur ?: M. Frédéric SALVAGE
Rapporteur public ?: Mme CHENAL-PETER
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-06-28;12ma00191 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award