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05/06/2012 | FRANCE | N°10MA01820

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 05 juin 2012, 10MA01820


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 11 mai 2010, présentée pour M. Denis A, demeurant ..., par Me Zeller, avocat ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0703305 en date du 2 mars 2010 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 175.669,98 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation des différents préjudices que lui a causé l'illégalité de la décision du 17 mars 2004 par laquelle il a été mis fin à son

affectation, avant terme, en qualité d'officier de liaison, à Rabat ;

2°) de c...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 11 mai 2010, présentée pour M. Denis A, demeurant ..., par Me Zeller, avocat ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0703305 en date du 2 mars 2010 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 175.669,98 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation des différents préjudices que lui a causé l'illégalité de la décision du 17 mars 2004 par laquelle il a été mis fin à son affectation, avant terme, en qualité d'officier de liaison, à Rabat ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 115.669, 98 euros, en réparation de ses préjudices consécutifs à l'illégalité de la décision du 17 mars 2004, la somme de 35.000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 25.000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence, avec intérêts de droit et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6.000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu le jugement attaqué ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 72-659 du 13 juillet 1972 relative à l'expertise technique internationale, notamment ses articles 2 et 3 ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 relative à la fonction publique de l'Etat ;

Vu le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985, relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat et à certaines modalités de cessation définitive de fonctions, notamment son article 24 ;

Vu le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale, notamment son article 25 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 mai 2012 :

- le rapport de Mme Hogedez, rapporteur,

- les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public ;

Considérant que M. A, promu au grade de commandant de la police nationale le 1er février 2002, a été nommé officier de liaison en Roumanie, de 1999 à 2002, puis au Maroc, à Rabat, à compter du 1er septembre 2002 ; que, toutefois, par un arrêté du 17 mars 2004, le chef du service de la coopération technique internationale de police a mis un terme à cette mission de façon anticipée, à compter du 29 mars 2004 ; qu'à son retour en France, M. A a été affecté, par un arrêté du 6 avril 2004 au service régional de police judiciaire (S.R.P.J.) de Montpellier, où il a pris ses fonction au centre de coopération policière et douanière de Perthus à compter du 20 avril suivant ; que le 1er août 2006, après une période de congé de maladie pour dépression, il a présenté au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales une demande indemnitaire, implicitement rejetée, en vue d'obtenir réparation des différents préjudices qu'il impute à l'illégalité de la décision du 17 mars 2004 précitée ; que par le jugement attaqué n° 0703305, en date du 2 mars 2010, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête au motif que la décision mettant fin à ses fonctions à Rabat était justifiée sur le fond ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 711-2 du code de justice administrative, dans sa version alors applicable : "Toute partie est avertie, par une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par la voie administrative mentionnée à l'article R. 611-4, du jour où l'affaire sera appelée à l'audience (...)" ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier de première instance que des avis d'audience aient été adressés aux parties concernées, notamment au ministre, en vue de leur convocation à l'audience ; que le jugement du tribunal administratif de Montpellier, en date du 2 mars 2010, est, par suite, irrégulier et doit être annulé ;

Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. A devant le tribunal administratif de Montpellier ;

Sur les conclusions indemnitaires :

Sur la responsabilité :

Considérant que M. A expose que la responsabilité de l'Etat est engagée à son encontre, pour avoir interrompu, avant son terme et de façon irrégulière, la mission qui lui avait été confiée en qualité d'officier de liaison, à Rabat, au Maroc, puis l'avoir ensuite affecté, à son retour en France, à un poste qui ne correspondait ni à son grade, ni à ses compétences ;

En ce qui concerne la décision du 17 mars 2004, mettant fin aux fonctions de M. A en qualité d'officier de liaison :

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 susvisée : "Sous réserve des règles propres à l'exercice des fonctions judiciaires, les personnels visés par la présente loi servent, pendant l'accomplissement de leurs missions, sous l'autorité du Gouvernement de l'Etat étranger ou de l'organisme auprès duquel ils sont placés, dans les conditions arrêtées entre le Gouvernement français et ces derniers. Ils sont tenus aux obligations de convenance et de réserve résultant de l'exercice de fonctions sur le territoire d'un Etat étranger et inhérentes au caractère de service public des missions qu'ils accomplissent au titre de l'article 1er de la présente loi. Il leur est interdit de se livrer à tout acte et à toute manifestation susceptible de nuire à l'Etat français, à l'ordre public local ou aux rapports que l'Etat français entretient avec les Etats étrangers. En cas de manquement aux obligations visées aux deux alinéas précédents, il peut, sans formalités préalables, être mis fin immédiatement à leur mission sans préjudice des procédures administratives susceptibles d'être engagées lors de leur retour en France" ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 25 du décret du 9 mai 1995 susvisé : "Les dispositions de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée sont applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale. Toutefois, lorsque l'intérêt du service l'exige, le fonctionnaire actif des services de la police nationale peut être exceptionnellement déplacé ou changé d'emploi. Dans ce cas, les dispositions mentionnées au premier alinéa du présent article ne sont pas applicables aux fonctionnaires actifs de la police nationale. Le fonctionnaire est préalablement informé de l'intention de l'administration de prononcer sa mutation pour être à même de demander communication de son dossier. La mutation est opérée sur un poste de niveau comparable" ; et qu'aux termes de l'article 60 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 : "L'autorité compétente procède aux mouvements des fonctionnaires après avis des commissions administratives paritaires (...)" ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à l'occasion de l'exercice de ses fonctions au Maroc, M. A n'a répondu qu'imparfaitement aux attentes de sa hiérarchie, en se montrant réticent à respecter la voie hiérarchique normale, ne rendant notamment pas compte de son activité à l'attaché de sécurité intérieure, auquel il ne transmettait pas ses comptes-rendus d'activité et ses notes d'information ; qu'il a rapidement entretenu avec ce dernier des relations conflictuelles, en ce qui concerne, notamment, le partage des compétences opérationnelles et budgétaires ; qu'il n'est par ailleurs pas parvenu, en dépit de ses compétences et de son expérience, à établir le contact avec ses partenaires locaux ; que ces faits, établis par les diverses notes internes produites par l'administration, justifiaient que dans l'intérêt du service, il soit mis un terme, de façon anticipée, à sa mission au Maroc ; qu'eu égard aux perturbations qu'ont causé ces difficultés relationnelles dans le service local de coopération technique de Rabat et aux incidences sur l'efficacité de la mission de ce service sur place, la décision de muter M. A dans l'intérêt du service n'était pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Considérant, par ailleurs, que compte tenu des faits précités, la circonstance qu'il ait également été reproché à M. A d'avoir utilisé abusivement sa ligne téléphonique professionnelle à des fins personnelles, qui a revêtu au cas d'espèce un caractère accessoire, n'est pas de nature à conférer à la décision du 17 mars 2004 le caractère d'une sanction disciplinaire ; que, par suite, aucune disposition législative ou réglementaire, non plus qu'aucun principe général du droit, n'exigeait que cette décision soit motivée ; que dès lors que M. A a fait l'objet d'une mutation dans l'intérêt du service, les dispositions combinées des articles 25 du décret du 9 mai 1995 et de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 n'imposaient pas que l'administration saisisse pour avis préalable la commission administrative paritaire ; qu'elle était en revanche tenue de mettre M. A en mesure d'accéder à son dossier administratif, en application de l'article 25 précité du décret du 9 mai 1995 ; que s'il résulte de l'instruction que l'intéressé a pu consulter son dossier le 22 mars 2004, l'attestation qu'il a signée à l'issue de cette consultation révèle que ne figuraient pas, parmi les documents mis à sa disposition, plusieurs documents en lien avec le contexte ayant justifié sa mutation dans l'intérêt du service, notamment sa notation de l'année 2003, rédigée par l'attaché de sécurité intérieure, en baisse au regard des notations antérieures et les diverses notes internes rédigées à l'occasion du conflit l'opposant à son supérieur hiérarchique ; que le caractère incomplet du dossier administratif a donc revêtu, dans les circonstances de l'espèce, un caractère substantiel ; que M. A est donc fondé à soutenir que cette irrégularité est fautive et de nature à engager à son endroit la responsabilité de l'administration ;

En ce qui concerne la décision du 6 avril 2004, affectant M. A au S.R.P.J de Montpellier :

Considérant qu'à son retour en France, M. A a été réintégré au centre de coopération policière et douanière du Perthus, en qualité de représentant de police judiciaire ; que si l'administration expose que cette réintégration a été opérée dans un poste de commandement que le grade de l'intéressé lui donnait vocation à occuper, dans des fonctions qu'il avait déjà exercées par le passé et où il avait excellé, il résulte de l'instruction qu'en pratique, le poste confié n'était accompagné, ni des responsabilités, ni des moyens que son grade de commandant de police et ses compétences lui donnaient vocation à détenir ; que ce poste avait précédemment été occupé par un capitaine de police, qui avait, en janvier 2004, demandé sa mutation compte tenu de l'absence de responsabilités et de moyens censés être attribués à un officier de police judiciaire ; que, pour ces mêmes raisons, le supérieur de M. A avait renoncé à le noter au titre de l'année 2006, en relevant que le poste occupé ne correspondait ni à son grade, ni à ses compétences ; que s'il ne résulte pas de l'instruction que cette affectation traduisait la volonté de l'administration de sanctionner l'intéressé de façon détournée, le déclassement dont M. A a fait objectivement l'objet constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration ;

Sur la réparation :

Considérant que dès lors que la décision par laquelle le ministre a mis un terme, de façon anticipée, aux fonctions qu'exerçait M. A au Maroc en qualité d'officier de liaison n'était pas entachée d'illégalité, l'intéressé n'est pas fondé à demander réparation du préjudice financier, notamment de la perte des avantages statutaires liés à cette affectation, que lui aurait causé son retour prématuré en France ; qu'il n'allègue pas, au surplus, que son affectation au S.R.P.J. de Montpellier se serait traduite par une perte de rémunérations ou de primes que son grade lui donnait vocation à percevoir ;

Considérant, en revanche, que M. A est fondé à demander réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence résultant des conditions dans lesquelles il a pu avoir accès à son dossier administratif et de l'affectation qu'il a reçue à Montpellier, à l'origine de troubles dépressifs et d'un arrêt de maladie ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en les évaluant à la somme de 8.000 euros ;

Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de condamner l'Etat à verser à M. A la somme de 8.000 euros en réparation des préjudices que lui ont causé l'irrégularité de la procédure de consultation de son dossier administratif à l'occasion de sa mutation dans l'intérêt du service décidée le 17 mars 2004 et le déclassement donc il a fait l'objet lors de son affectation au S.R.P.J. de Montpellier à son retour en France ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;

Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2.000 euros au titre des frais exposés par M. A, et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 0703305 en date du 2 mars 2010 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : L'Etat (ministre de l'intérieur) est condamné à payer à M. A la somme de 8.000 euros (huit mille euros) en réparation du préjudice consécutif aux fautes qu'il a commises à l'occasion de la mutation de ce dernier dans l'intérêt du service et de son affectation au service régional de police judiciaire de Montpellier.

Article 3 : Il est mis à la charge de l'Etat (ministre de l'intérieur) la somme de 2.000 euros

(deux mille euros) sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Denis A et au ministre de l'intérieur.

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N° 10MA018203


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10MA01820
Date de la décision : 05/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-05-01-02 Fonctionnaires et agents publics. Positions. Affectation et mutation. Mutation.


Composition du Tribunal
Président : M. REINHORN
Rapporteur ?: Mme Isabelle HOGEDEZ
Rapporteur public ?: Mme VINCENT-DOMINGUEZ
Avocat(s) : ZELLER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-06-05;10ma01820 ?
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