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22/05/2012 | FRANCE | N°10MA02811

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 22 mai 2012, 10MA02811


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 21 juillet 2010 sous le n° 10MA02811, présentée par Me Boukheloua, avocat, pour Mme Véronique A, demeurant ... ;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0900984 du 17 décembre 2009, notifié par courrier du 22 décembre 2009, par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes tendant :

- à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 7 janvier 2009 du garde des sceaux, ministre de la justice, lui infligeant la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de ses fonctio

ns pour une durée de 24 mois,

- à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme ...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 21 juillet 2010 sous le n° 10MA02811, présentée par Me Boukheloua, avocat, pour Mme Véronique A, demeurant ... ;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0900984 du 17 décembre 2009, notifié par courrier du 22 décembre 2009, par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes tendant :

- à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 7 janvier 2009 du garde des sceaux, ministre de la justice, lui infligeant la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de 24 mois,

- à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) d'annuler ladite sanction du 7 janvier 2009 ;

3°) de condamner l'Etat à verser à Me Boukheloua, avocat, la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ce règlement portant renonciation à l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle ;

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Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 ;

Vu la loi modifiée n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi modifiée n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

Vu le décret n° 66-874 du 21 novembre 1966 portant règlement d'administration publique relatif au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire ;

Vu le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;

Vu le décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998 modifiant le code de procédure pénale ;

Vu le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;

Vu la loi n° 98-1099 du 8 décembre 1998 modifiant le code de procédure pénale ;

Vu le code civil ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 avril 2012 :

- le rapport de M. Brossier, rapporteur,

- et les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public ;

Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 susvisée: "Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire (....)" ; qu'aux termes de l'article 66 de la loi n° 84-16 susvisée : "Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme. Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; - le déplacement d'office. Troisième groupe : - la rétrogradation ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation. (...) " ; et qu'aux termes de l'article D. 221 du code de procédure pénale, issu du décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998 susvisé : " Les membres du personnel et les personnes remplissant une mission dans l'établissement pénitentiaire ne peuvent entretenir avec les personnes placées ou ayant été placées par décision de justice sous l'autorité ou le contrôle de l'établissement ou du service dont ils relèvent, ainsi qu'avec leurs parents ou amis, des relations qui ne sont pas justifiées par les nécessités de leurs fonctions" ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la sanction attaquée du 7 janvier 2009 a été infligée à Mme A, adjoint administratif principal, pour avoir méconnu les dispositions de l'article D. 221 précité, en entretenant à compter du mois de juillet 2008, alors qu'elle était encore affectée au service chargé de la comptabilité et de la régie de la maison d'arrêt de Nîmes, une relation amoureuse avec M. G, condamné à un an de prison pour escroquerie dans une affaire de négoce automobile, qui a séjourné dans cette maison d'arrêt jusqu'au 13 juin 2008 en bénéficiant d'un régime de semi-liberté à compter du

8 novembre 2007 ;

Considérant que Mme A invoque par voie d'exception l'illegalité de cet article D. 221 du code de procédure pénale au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux termes duquel : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." ;

Considérant que si la défense de l'ordre public et la prévention des infractions pénales justifient qu'un agent affecté dans un établissement pénitentiaire ne puisse entretenir avec un détenu placé dans le même établissement d'autres relations que celles justifiées par la seule nécessité de ses fonctions, toutefois, en interdisant de manière générale et absolue à un membre du personnel de l'établissement toute relation personnelle avec un détenu ayant purgé sa peine, ainsi qu'avec les parents et les amis de ce détenu, sans limitation de durée dans le temps, les dispositions précitées de l'article D. 221 méconnaissent les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en portant au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elles ont été prises ; qu'il s'ensuit que Mme A est fondée à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de l'article D. 221 du code de procédure pénale et, par suite, est fondée à soutenir que la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à demander à la Cour d'annuler le jugement attaqué, sans qu'il soit besoin de statuer sur sa régularité ; qu'elle est fondée à demander à la Cour saisie, par l'effet dévolutif de l'appel, d'annuler la décision attaquée du 7 janvier 2009 pour l'erreur de droit susmentionnée, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens dirigés contre cette décision ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;

Considérant que Mme A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale le 2 juin 2010 ; que son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2.000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, à verser à Me Boukheloua, avocat, qui déclare renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement attaqué susvisé du 17 décembre 2009 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.

Article 2 : La décision attaquée susvisée du 7 janvier 2009 du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, est annulée.

Article 3 : L'Etat (ministère de la justice et des libertés) versera, au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 2 000 euros (deux mille euros) à Me Boukheloua, avocat, qui a renoncé à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale dont bénéficie Mme A.

Article 4: Le présent arrêt sera notifié à Mme Véronique A et au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

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N° 10MA028112


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10MA02811
Date de la décision : 22/05/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - VIOLATION DIRECTE DE LA RÈGLE DE DROIT - TRAITÉS ET DROIT DÉRIVÉ - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME (VOIR DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS) - ARTICLE D - 221 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE - VIOLATION DIRECTE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES - EXISTENCE.

01-04-01-02 L'article D.221 du code de procédure pénale, issu du décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998, dispose que « Les membres du personnel pénitentiaire et les personnes remplissant une mission dans l'établissement pénitentiaire ne peuvent entretenir avec les personnels placés ou ayant été placés par décision de justice sous l'autorité ou le contrôle de l'établissement ou du service dont ils relèvent ainsi qu'avec leurs parents ou amis, des relations qui ne sont pas justifiées par les nécessités de leurs fonctions ».,,Si la défense de l'ordre public et la prévention des infractions pénales justifient qu'un agent affecté dans un établissement pénitentiaire ne puisse entretenir avec un détenu placé dans le même établissement d'autres relations que celles justifiées par la seule nécessité de ses fonctions, toutefois, en interdisant de manière générale et absolue à un membre du personnel de l'établissement toute relation personnelle avec un détenu ayant purgé sa peine, ainsi qu'avec les parents et les amis de ce détenu, sans limitation de durée dans le temps, les dispositions précitées de l'article D.221 méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en portant au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elles ont été prises.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE (ART - 8) - VIOLATION - ARTICLE D - 221 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE - VIOLATION DIRECTE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES - EXISTENCE.

26-055-01-08-02 L'article D.221 du code de procédure pénale, issu du décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998, dispose que « Les membres du personnel pénitentiaire et les personnes remplissant une mission dans l'établissement pénitentiaire ne peuvent entretenir avec les personnels placés ou ayant été placés par décision de justice sous l'autorité ou le contrôle de l'établissement ou du service dont ils relèvent ainsi qu'avec leurs parents ou amis, des relations qui ne sont pas justifiées par les nécessités de leurs fonctions ».,,Si la défense de l'ordre public et la prévention des infractions pénales justifient qu'un agent affecté dans un établissement pénitentiaire ne puisse entretenir avec un détenu placé dans le même établissement d'autres relations que celles justifiées par la seule nécessité de ses fonctions, toutefois, en interdisant de manière générale et absolue à un membre du personnel de l'établissement toute relation personnelle avec un détenu ayant purgé sa peine, ainsi qu'avec les parents et les amis de ce détenu, sans limitation de durée dans le temps, les dispositions précitées de l'article D.221 méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en portant au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elles ont été prises.


Composition du Tribunal
Président : M. REINHORN
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste BROSSIER
Rapporteur public ?: Mme VINCENT-DOMINGUEZ
Avocat(s) : BOUKHELOUA

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-05-22;10ma02811 ?
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