Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 28 juin 2010 sous le n° 10MA02421, présentée par Me Amourette, avocat, pour M. Robert A, demeurant ..., ensemble le mémoire enregistré au greffe de la Cour le 20 mai 2011 ; M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0704936 du 28 avril 2010 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes tendant :
- à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 1er octobre 2007 du directeur du commissariat de l'armée de terre de Lyon refusant de lever la prescription quadriennale opposée à sa demande de versement d'une prime de volontariat pour 1953,
- à la condamnation, par voie de conséquence, de l'Etat à l'indemniser du préjudice subi du fait du non-versement de cette prime ;
2°) de "requalifier" le contrat de rengagement du 28 août 1953 en contrat de volontariat ;
3°) "d'enjoindre à l'administration de procéder à toutes les rectifications qui s'imposent" ;
4°) de condamner l'Etat, "en conséquence" de ces requalifications, à lui verser la somme de 800.000 anciens francs, augmentée des intérêts au taux légal, au titre de la prime de volontariat consécutive à son service en Indochine en 1953, montant de 800.000 anciens francs dont la valorisation en euros est rectifiée à la somme de 16.520 euros par le mémoire susvisé du 20 mai 2011 ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
6°) de condamner en outre l'Etat, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son avocat, Me Amourette, la somme de 1.794 euros TTC, dès lors que le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été acquis en cours d'instance et que son avocat déclare renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat ;
------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 29 janvier 1831, ensemble les décrets des 25 juin 1934 et 30 octobre 1935 et l'article 148 de la loi du 31 décembre 1945;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 27 septembre 2010 admettant M. A au bénéficie de l'aide juridictionnelle totale ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 mars 2012 :
- le rapport de M. Brossier, rapporteur,
- et les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 9 de la loi susvisée du 29 janvier 1831, modifié par l'article 148 de la loi du 31 décembre 1945 applicable à l'espèce : "Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat, des départements, des communes et des établissements publics, sans préjudice des déchéances prononcées par des lois antérieures ou consenties par des marchés et conventions, toutes créances qui, n'ayant pas été acquittées avant la clôture de l'exercice auquel elles appartiennent, n'auraient pu être liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de quatre années à partir de l'ouverture de l'exercice pour les créanciers domiciliés en Europe (...)" ; qu'en application de l'article 10 de la même loi du 29 janvier 1831, dans sa rédaction issue du décret du 30 octobre 1935, la déchéance n'est pas applicable "aux créances dont l'ordonnancement et le paiement n'auraient pu être effectués dans les délais déterminés par le fait de l'administration ou par suite de recours devant une juridiction" ;
Considérant d'autre part, qu'aux termes de l'article 6 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 : "Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi. Toutefois, par décision des autorités administratives compétentes, les créanciers de l'Etat peuvent être relevés en tout ou en partie de la prescription, à raison de circonstances particulières et notamment de la situation du créancier." ; et qu'aux termes de l'article 9 de la même loi : "Les dispositions de la présente loi sont applicables aux créances nées antérieurement à la date de son entrée en vigueur et non encore atteintes de déchéance à cette même date. / Les causes d'interruption et de suspension prévues aux articles 2 et 3, survenues avant cette date, produisent effet à l'égard de ces mêmes créances" ;
Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que M. Robert A, né le 25 mai 1931 en Algérie, s'est engagé volontairement en 1951 dans le 7° régiment des tirailleurs algériens et a signé le 28 août 1953 un contrat à fin de servir, à compter du 10 octobre 1953 pour une durée de deux ans, en Indochine au sein du même régiment ; qu'après avoir sollicité à plusieurs reprises les 11 août 1999, 4 août 2003, 29 avril 2005 le versement d'une prime d'engagé volontaire revalorisée au titre de son service en Indochine, qu'il évalue à un montant de 800.000 anciens francs, demandes auxquelles le ministre de la défense a opposé la prescription quadriennale respectivement les 20 août 1999, 17 octobre 2003, le 18 août 2005, et après s'être à nouveau vu opposer cette exception de prescription quadriennale le 21 décembre 2006, M. A a sollicité le 29 janvier 2007, sur le fondement de l'article 6 précité de la loi du 31 décembre 1968, la levée de la prescription quadriennale à raison de sa situation particulière ; que par la décision attaquée du 1er octobre 2007, le directeur du commissariat de l'armée de terre de Lyon a refusé de relever la créance en litige de ladite prescription en faisant état de l'absence en l'espèce de cause d'interruption ou de suspension de prescription ;
Sur l'étendue du litige en appel :
Considérant que devant le tribunal, M. Robert A avait demandé l'annulation de son contrat de 1953 au motif qu'il serait entaché d'un vice du consentement et de la nullité de sa base légale, le décret n° 1904 du 5 mai 1941 ; qu'il doit être regardé comme abandonnant en appel cette demande dès lors qu'il demande à la Cour de "requalifier" ledit contrat du 28 août 1953 en contrat de volontariat, "d'enjoindre à l'administration de procéder à toutes les rectifications qui s'imposent" et de condamner l'Etat à l'indemniser en conséquence de cette "requalification" ; qu'il doit donc être regardé comme demandant l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant, d'une part, à l'annulation de la décision susvisée du 1er octobre 2007, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice financier qu'il estime avoir subi ;
Sur les conclusions à fin d'annulation pour excès de pouvoir de la décision attaquée du 1er octobre 2007 portant refus de relever la créance de la prescription quadriennale :
S'agissant de la prescription quadriennale :
Considérant que, hors les cas d'éviction du service, le fait générateur de la créance née, pour un agent public, de la non-perception d'une prime, est normalement constitué par la période de service effectif des fonctions ouvrant droit au bénéfice de cette prime ; qu'en l'espèce, le fait générateur du préjudice financier invoqué par M. A est né à la date du dernier paiement du montant de la prime effectivement versée au titre du service effectué en Indochine, que l'intéressé estime insuffisant du fait d'une confusion selon lui entre, d'une part, la prime versée de rengagement, d'autre part, la prime d'engagement volontaire qu'il estime lui être due à la place de la prime versée ; qu'il résulte des pièces versées au dossier, notamment des états de service de l'intéressé produits par l'administration militaire, que l'intéressé, qui est parti le 2 octobre 1953 servir en Indochine, a bénéficié à ce titre, d'une part en septembre 1953, de trois versements au titre de la "prime de départ colonial et assimilé" de 15.000, 5.400 et 36.000 anciens francs, d'autre part en décembre 1954, d'un versement de 5.400 anciens francs au titre d'un supplément de prime "TOE" ; que son contrat du 10 octobre 1953 ayant été signé pour une période de deux ans, et aucun élément versé au dossier ne permettant d'affirmer qu'il n'y a pas eu de service effectif en Indochine avant le 10 octobre 1955, la date de prescription de la créance de M. A expirait au 31 décembre 1959 ; que la première demande de l'intéressé relative au versement de la prime d'engagé volontaire revalorisée ne date que du 11 août 1999 ; qu'aucune pièce versée au dossier n'est susceptible d'avoir interrompu ou suspendu la déchéance quadriennale avant le 31 décembre 1959 ; qu'il résulte de ce qui précède que la première demande de M. A du 11 août 1999 était prescrite, en application des dispositions précitées de la loi modifiée du 29 janvier 1831 ;
S'agissant de la levée de la prescription quadriennale :
Considérant toutefois qu'en application de l'article 6 précité de la loi du 31 décembre 1968, même si sa créance est prescrite, le créancier de l'Etat peut être relevé en tout ou en partie de la prescription, à raison de circonstances particulières et notamment de sa situation ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, en premier lieu, a accompli au cours de sa carrière militaire des faits de bravoure et d'honneur ayant été récompensés par les plus hautes décorations, en deuxième lieu, a obtenu pour sa participation aux opérations en Indochine de 1953 à 1955 la croix du combattant "volontaire" avec barrette Indochine, en dernier lieu, se trouvait à la date de sa demande du 29 janvier 2007 dans une situation financière difficile avec un état de santé dégradé ; que dans ces conditions particulières, le refus attaqué de relever la créance en litige de prescription quadriennale est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande à fin d'annulation pour excès de pouvoir de ladite décision du 1er octobre 2007, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'irrégularité soulevée à ce titre tirée de ce que le tribunal aurait opéré une substitution dans les motifs de cette décision en méconnaissant le principe du contradictoire ; qu'il y a lieu par voie de conséquence pour la Cour d'annuler cette décision du 1er octobre 2007 pour erreur manifeste d'appréciation ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
Considérant que M. A a tout d'abord réclamé le versement d'une prime d'engagé volontaire en Indochine d'un montant de 800.000 anciens francs, qu'il a valorisé en euros à la somme de 16.520 euros selon le barème INSEE ; que dans le dernier état de ses écritures devant la Cour, il demande la condamnation de l'Etat à lui verser la différence entre ce montant de 800.000 anciens francs qu'il estime lui être dû et le montant de 61.800 anciens francs de primes qu'il a effectivement perçues du fait de son service en Indochine et qu'il valorise en euros à la somme de 1.276,17 euros selon le barème INSEE ; que le tribunal a rejeté la demande indemnitaire de M. A aux motifs, d'une part, qu'il ne pouvait prétendre à la requalification de son contrat signé le 28 août 1953 lui ouvrant droit à une telle prime, d'autre part, qu'il n'avait fourni aucun élément de nature à permettre au tribunal d'apprécier le caractère justifié du quantum demandé ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que, bien que le contrat en litige signé le 28 août 1953 soit intitulé "contrat de rengagement", M. A doit toutefois être regardé comme s'étant engagé volontairement en Indochine en 1953, nonobstant la circonstance qu'il était déjà engagé volontaire dans le 7° régiment des tirailleurs algériens, dès lors que son premier contrat d'engagé volontaire signé le 10 avril 1951 avait été renouvelé le 10 avril 1953 pour une durée de 6 mois afin de servir au sein du régiment des sapeur-pompiers de Paris et que le 28 août 1953, il ne s'est finalement pas "rengagé" pour servir dans les mêmes conditions, mais s'est engagé volontairement et de façon nouvelle pour servir dans le théâtre des opérations extérieures de l'Indochine ; qu'au demeurant, et bien que cette circonstance n'emporte aucun droit de nature pécuniaire, la croix du combattant "volontaire" avec barrette Indochine lui a été décernée ;
Considérant, en second lieu, que M. A réclame une prime d'un montant de 800.000 anciens francs au titre de son service en Indochine en la qualité d'engagé volontaire qui doit lui être reconnue ; que le juge qui reconnaît la responsabilité de l'administration et qui, comme c'est le cas en l'espèce, ne met pas en doute l'existence d'un préjudice ne peut, sans méconnaître son office ni commettre une erreur de droit, rejeter les conclusions indemnitaires dont il est saisi en se bornant à relever que les modalités d'évaluation du préjudice proposées par la victime ne permettent pas d'en établir l'importance et de fixer le montant de l'indemnisation ; qu'il lui appartient d'apprécier lui-même le montant de ce préjudice, en faisant usage, le cas échéant, de ses pouvoirs d'instruction ; qu'il y a lieu pour la Cour, et compte tenu des éléments versés au dossier, de procéder à un supplément d'instruction aux fins d'inviter les parties à faire état de tout élément permettant d'apprécier le montant de la prime en litige que M. A évalue à 800.000 anciens francs ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement attaqué susvisé du tribunal administratif de Montpellier est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. A tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision attaquée susvisée du 1er octobre 2007.
Article 2 : La décision attaquée susvisée du 1er octobre 2007 est annulée.
Article 3 : Avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de M. A, il est procédé au supplément d'instruction aux fins susmentionnées.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Robert A et au ministre de la défense et des anciens combattants.
''
''
''
''
N° 10MA024212