Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 19 mai 2009 sous le n° 09MA01744, présentée par Me Collard, avocat, pour Mme Catherine A, demeurant ...), ensemble le mémoire complémentaire enregistré le 21 décembre 2009 et les pièces complémentaires enregistrées le 22 décembre 2009 ; Mme A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0801693 du 6 avril 2009 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 mars 2008 du président du conseil d'administration de La Poste la révoquant à titre disciplinaire, ensemble a rejeté sa demande tendant au remboursement de ses frais exposés et non compris les dépens ;
2°) d'annuler ladite révocation ;
3°) de mettre à la charge de La Poste la somme de 1 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires, notamment son article 19 ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, notamment son article 66 ;
Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée relative à l'organisation du service public de La Poste et de France Telecom ;
Vu le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;
Vu le décret n° 90-1111 du 12 décembre 1990 modifié portant statut de La Poste ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;
Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat en date du 27 janvier 2009 fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre exceptionnel, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 octobre 2011 :
- le rapport de M. Brossier, rapporteur,
- et les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public ;
Considérant que Mme DI MEDIO, agent technique et de gestion de second niveau à
La Poste, affectée sur le poste de guichetière au bureau de La Poste de Cucuron, réalisait notamment des opérations bancaires sur des livrets d'épargne ; qu'à la suite de la réclamation de deux clientes, Mmes B et C, qui estimaient que des retraits d'argent avaient été réalisés sans leur accord et sans trace comptable sur leur livret, et après avoir diligenté une enquête interne et parallèlement saisi le juge pénal, La Poste a décidé, par la décision attaquée du 21 mars 2008, de révoquer l'appelante aux motifs de détournement de fonds par retraits frauduleux sur le compte d'épargne de deux clientes et d'attitude mensongère et dilatoire en cours d'enquête ; que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté la demande de Mme A en annulation pour excès de pouvoir de cette révocation aux motifs qu'il était établi par les rapports d'enquête interne que l'intéressée avait prélevé, entre le 17 mai et le 9 décembre 2002, un montant global de 2 440 euros sur le compte d'une cliente, et les 14 et 15 novembre 2002 une somme globale de 1 200 euros sur le compte d'une autre cliente, sans l'accord de ces dernières et sans que leur livret en porte trace et que ces agissements, eu égard à la gravité de tels détournements de fonds, et même si l'agent était bien noté, justifiaient la sanction de la révocation sans erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant, en premier lieu, que si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement pénal en condamnation ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, cette dernière autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité, et qu'il appartient, dans ce cas, à cette autorité d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis ; que par suite, la circonstance que postérieurement à la décision attaquée et au jugement attaqué, le tribunal correctionnel d'Avignon a prononcé la relaxe de l'intéressée le 4 mai 2009 au bénéfice du doute ne lie pas la Cour quant à l'appréciation de la matérialité des faits reprochés et leur qualification juridique et qu'il est de même de l'arrêt de la Cour d'appel de Nîmes du 28 janvier 2011 confirmant ledit jugement correctionnel du 4 mai 2009 ; que toutefois, ce jugement et cet arrêt, rendus après une enquête de police judiciaire complémentaire à celle de l'enquête interne de
La Poste, constituent deux pièces du dossier que la Cour de céans, comme toute pièce du dossier soumise à procédure contradictoire, peut prendre en considération ; que leur contenu, dans la dialectique de la charge de la preuve, peut ainsi apporter des éléments supplémentaires au faisceau des indices apportés par les parties ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le conseil de discipline, réuni une première fois le 28 janvier 2004, a décidé de surseoir à statuer dans l'attente des résultats de l'enquête de gendarmerie et de la procédure pénale, en raison de nombreuses interrogations relevées tant par les représentants du personnel que par les représentants de l'employeur, ces derniers ayant pointé des zones d'ombre ; que le second conseil de discipline, réuni finalement le 20 février 2008, n'a émis aucun avis en l'absence de majorité ;
Considérant, en troisième lieu, et s'agissant des opérations dénoncées par Mme C comme ayant été effectuées à son insu, que sont reprochés deux retraits en date des 14 et 15 octobre 2002, non inscrits sur le livret de l'intéressée, mais sur un formulaire SF35 avec imitation de signature, pour deux montants de 400 et 800 euros ; qu'il ressort du
procès-verbal du conseil de discipline que Mme C avait déjà dénoncé un retrait à Cadenet de 762,25 euros, non justifié selon elle, qui s'avérera en réalité justifié après enquête ; que le grief du retrait de 800 euros a été abandonné devant le juge pénal au motif que l'analyse graphologique montre que Mme C avait retiré elle-même cette somme ; qu'en ce qui concerne le retrait de 400 euros, qui reste effectivement non justifié, aucune pièce du dossier ne permet d'établir que ce serait Mme A qui aurait effectué frauduleusement ce retrait par imitation de signature ; que, par ailleurs, qu'il ressort des pièces du dossier que Mme C avait donné des délégations de signature à des membres de sa famille et qu'aucun élément du dossier ne permet d'écarter l'hypothèse d'un retrait effectué par un délégataire à l'insu de la délégante ;
Considérant, en quatrième lieu, et s'agissant des opérations dénoncées par Mme B comme ayant été effectuées également à son insu, que sont reprochés sept retraits effectués entre les mois de mai à décembre 2002 pour un montant total de 2 440 euros, là encore non inscrits sur le livret de l'intéressée et avec imitation de signature ; qu'il ressort des pièces du dossier que l'appelante a effectivement opéré des opérations de retrait d'argent du compte d'épargne, sans marquer physiquement cette opération sur le livret, mais en le marquant sur une feuille appelée SF35 ; que si l'intéressée ne nie pas cette négligence fautive au regard des règles comptables de La Poste, elle la justifie au motif que la cliente oubliait souvent son livret d'épargne, et conteste l'imitation de signature incriminée sur la feuille SF35 ; qu'afin d'apporter dans son argumentation un indice supplémentaire à l'encontre de Mme A, dès lors que divers versements ont été effectués sur la même période au crédit du propre compte bancaire de l'intéressée pour un montant global similaire, La Poste lui reproche d'avoir versé l'argent liquide, retiré frauduleusement, sur son propre compte et par des versements découpés ; qu'aucune pièce du dossier ne permet toutefois de démontrer de façon suffisamment sérieuse cette dernière allégation censée étayer le motif principal de la décision attaquée, à savoir le détournement de fonds ; qu'en outre, il ressort du procès-verbal du conseil de discipline que Mme B connaissait des difficultés relationnelles avec certains membres de sa famille et qu'il n'est pas contesté que, malgré ce contexte familial, l'enquêteur de la Poste ayant interrogé Mme B a été aidé pour la traduction, compte tenu des difficultés d'élocution de celle-ci en langue française, par des membres de sa famille ;
Considérant, en cinquième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, notamment de l'enquête sociale diligentée en 2007, que Mme A travaille depuis l'année 1978 à Cucuron, où habite sa mère et où elle est un agent connu et apprécié, qu'elle s'est remariée en 1994 avec M. A, agent également de La Poste, avec qui elle a eu 2 enfants, en bas âge à l'époque des faits incriminés, et que le couple était alors en accession à la propriété à Cucuron ; que cette enquête sociale ne fait ressortir aucune difficulté financière particulière ou un mode de vie pouvant expliquer que l'intéressée se soit livrée à des détournements frauduleux ;
Considérant qu'il résulte tout de ce qui précède qu'il est établi que l'appelante a effectué des opérations sans respecter la procédure comptable obligatoire et qu'il reste possible que certaines de ces opérations aient pu être effectuées à l'insu des deux clientes qui ont présenté une réclamation ; que toutefois, face à cette hypothèse, ni élément suffisamment probant versé au dossier, ni faisceau d'indices, ne permettent toutefois à La Poste d'établir l'appropriation par l'appelante des fonds en litige, alors qu'incombe à l'employeur la charge d'établir la matérialité des faits incriminés retenus par la révocation en litige, à savoir des détournements de fonds par retraits frauduleux sur compte d'épargne ; qu'il s'ensuit que ce motif n'est pas matériellement établi, alors qu'il doit être regardé comme étant le motif principal de l'éviction attaquée ; qu'en effet, il ressort des pièces du dossier, notamment des termes du débat qui éclairent la motivation retenue de la révocation, que le motif reprochant par ailleurs à l'intéressée d'avoir eu pendant l'enquête interne une attitude mensongère et dilatoire doit être regardé comme accessoire au motif principal des détournements de fonds frauduleux incriminés et que La Poste aurait pris la même décision de révocation avec ce seul et principal motif ; que, par suite, Mme A est fondée à demander à la Cour d'annuler le jugement attaqué et, par l'effet dévolutif de l'appel, d'annuler la décision attaquée pour erreur de fait ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la partie intimée la somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par l'appelante ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement attaqué susvisé du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 2 : La décision attaquée susvisée de La Poste du 21 mars 2008 est annulée.
Article 3 : La Poste versera à Mme A la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Catherine A, à la société La Poste et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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N° 09MA01744 2