Vu la requête, enregistrée le 7 mai 2008, présentée pour Mme Espérance B épouse A élisant domicile ... par Me Nicolau, avocat ;
Mme B épouse A demande à la Cour :
1°) de confirmer le jugement n° 0501154 en date du 13 mars 2008 en tant que le tribunal administratif de Montpellier a retenu la responsabilité de l'Etablissement français du sang dans sa contamination par le virus de l'hépatite C et d'infirmer ledit jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation de son préjudice à la somme de 19 000 euros ;
2°) de lui allouer la somme de 112 600 euros en réparation de son préjudice ;
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Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;
Vu le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 relatif à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de contaminations par le virus d'immunodéficience humaine ou par le virus de l'hépatite C causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ainsi qu'à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de vaccinations obligatoires ;
Vu le décret n° 2010-252 du 11 mars 2010 relatif à la dotation couvrant les dépenses liées à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de contaminations par le virus de l'hépatite C causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;
Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat, en date du 27 janvier 2009, fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ayant été informées que le jugement paraissait susceptible d'être fondé sur un moyen soulevé d'office ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juillet 2011 :
- le rapport de Mme Massé-Degois, rapporteur,
- et les conclusions de Mme Fedi, rapporteur public ;
Considérant que, par le jugement susvisé n° 0501154 du 13 mars 2008, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etablissement français du sang, substitué dans les droits et obligations du centre de transfusion sanguine des Pyrénées-Orientales, fournisseur des produits sanguins incriminés, à réparer les préjudices nés de la contamination transfusionnelle de Mme B épouse A par le virus de l'hépatite C ; que Mme B épouse A relève appel de ce jugement en soutenant que la somme de 19 000 euros qui lui a été allouée répare de manière insuffisante les conséquences dommageables de cette contamination ; qu'elle demande la majoration des indemnités accordées par les premiers juges et sollicite la somme de 112 600 euros en réparation de son entier préjudice ; que l'Etablissement français du sang sollicite sa mise hors de cause et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales demande de le substituer à l'Etablissement français du sang pour ce qui concerne les seules demandes présentées par Mme B épouse A ; que la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées Orientales demande à la Cour de confirmer la condamnation de l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 4 272,43 euros au titre des frais exposés pour son assurée Mme B épouse A ;
Sur l'origine de la contamination :
Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable. ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une injection de médicaments dérivés du sang, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par les parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Perpignan que Mme B épouse A, alors âgée de trente-sept ans, a été admise à la clinique Pasteur à Perpignan du 16 au
27 mai 1985 en vue d'y subir une cystopexie rétro-pelvienne avec cure d'éventration
sous-ombilicale ; que son état a nécessité plusieurs transfusions sanguines les 17, 21 et 22 mai 1985 ; qu'un bilan sérologique effectué le 16 mai 1990 a révélé chez Mme B épouse A la présence du virus de l'hépatite C ; que l'enquête transfusionnelle menée n'a permis de retrouver ni les donneurs des trois plasmas transfusés à l'intéressée le 17 mai 1985, ni les donneurs des deux culots administrés le 21 mai 1985 ; que, s'agissant des deux culots transfusés le 22 mai 1985, si les deux donneurs ont été retrouvés et que l'un des deux a été contrôlé négatif, l'autre donneur n'a pu, en revanche, être contrôlé, celui-ci étant décédé ; que si les médecins de la clinique Pasteur ont, au cours de l'hospitalisation de Mme B épouse A en mai 1985, évoqué une contamination possible par hépatite virale contractée en 1982, aucun dosage hépatique n'a cependant été effectué et le bilan pré-opératoire effectué le
1er novembre 1982 avait montré des valeurs normales au niveau de la Numération Formule Sanguine ; que l'expert n'a pas trouvé de traces d'une quelconque transfusion sanguine dans le dossier médical de l'intéressée lors de l'intervention qu'elle a subie en novembre 1982 dans un autre établissement de soins que la clinique Pasteur ; que, par ailleurs, si l'expert n'a pas admis l'existence d'un lien de causalité certain entre la survenue de l'hépatite C et les transfusions en litige administrées à la clinique Pasteur, il n'a toutefois pas exclu ce lien de causalité, eu égard notamment au nombre important de donneurs des produits administrés et du risque, en conséquence, de contamination virale important ; qu'enfin, le mode de vie de la requérante n'est pas de nature à présenter de risques particuliers de contamination par un virus hépatique ; que, dans ces conditions, la preuve de l'innocuité des produits sanguins administrés n'ayant pas été rapportée, les premiers juges ont, à bon droit, regardé comme établi le lien de causalité entre les transfusions dont Mme B épouse A a fait l'objet en mai 1985 et sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
Sur la personne débitrice des indemnités :
En ce qui concerne le transfert de l'ONIAM des obligations de l'Etablissement français du sang :
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1142-22 du code de la santé publique dans sa rédaction issue du II de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, entré en vigueur à la même date que le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 pris pour son application, soit le 1er juin 2010, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est chargé de l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang en application de l'article L. 1221-14 ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1221-14 issu du I du même article 67 de la loi du 17 décembre 2008 que la responsabilité de l'ONIAM est engagée dans les conditions prévues par l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 ; qu'aux termes du IV du même article 67 : A compter de la date d'entrée en vigueur du présent article, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales se substitue à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, dans le contentieux qui opposait à la date du 1er juin 2010, d'une part, Mme B épouse A et la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales et, d'autre part, l'Etablissement français du sang, l'ONIAM, qui a produit postérieurement à cette date un mémoire par lequel il sollicite, à titre principal, le rejet des conclusions de l'appelante, est désormais substitué à ce dernier ;
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales soutient avoir exposé la somme non contestée de 4 272,43 euros au titre des frais d'hospitalisation, médicaux, pharmaceutiques et infirmiers de soins en lien avec le virus de l'hépatite C contracté par son assurée Mme B épouse A lors de l'intervention chirurgicale réalisée à la clinique Pasteur en mai 1985 ; que les éléments de l'expertise corroborent la liste des actes et des soins dispensés à Mme B épouse A dont le remboursement est demandé ; que, par suite, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en tant qu'il a alloué à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales la somme de 4 272,43 euros ; qu'il résulte de ce qui précède qu'il convient de mettre cette somme à la charge de l'ONIAM ;
Considérant que Mme B épouse A soutient être atteinte d'un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 35% ; que, toutefois, l'expert, compte tenu de l'absence de consolidation de l'état de santé de l'intéressée n'a pas été en mesure de déterminer un taux d'incapacité permanente partielle ; qu'il a cependant arrêté à 35 % le taux de l'incapacité temporaire partielle (ITP) dont Mme B épouse A était atteinte en 1999 ; que toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction que Mme B épouse A était sans activité professionnelle rémunérée à la date de sa contamination et, d'autre part, la requérante s'abstient d'apporter le moindre justificatif à l'appui de sa demande de nature à établir l'existence de ce poste de préjudice ; que, par suite, aucune somme ne saurait lui être allouée à ce titre ;
En ce qui concerne les préjudices personnels :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise, que Mme B épouse A a été contaminée à l'âge de 37 ans ; que le diagnostic a été porté en 1990 alors qu'elle souffrait d'une asthénie intense persistante associée à des douleurs abdominales et à des céphalées difficilement supportables ; qu'elle a subi, en 1993 et en 1995, deux traitements par Interféron mal tolérés et qu'elle a dû se soumettre à trois ponctions biopsies en 1993, 1994 et 1995 ainsi qu'à un suivi médical et biologique très régulier ; qu'elle a été hospitalisée plusieurs jours et qu'elle était atteinte, à la date de l'expertise en 1999, d'une hépatite chronique C cirrhogène à l'origine de nombreux troubles physiologiques tels une fatigue intense, des douleurs abdominales, des troubles digestifs et des épisodes de céphalées intenses ; que si les éléments médicaux versés au dossier postérieurement au dépôt du rapport d'expertise montrent une absence de détection d'ARN du virus de l'hépatite C pour le mois de septembre 2008, il résulte cependant des autres pièces du dossier que Mme B épouse A reste soumise à des bilans et contrôles réguliers, notamment des biopsies duodenales et examens gastroscopiques ; qu'elle a enduré des souffrances physiques évaluées par l'expert à 4 sur une échelle de 1 à 7 ; que, contrairement à ce que soutient Mme B épouse A, l'expert n'a pas estimé qu'elle était atteinte d'un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 35 % mais qu'elle était atteinte d'une incapacité temporaire partielle (ITP) de 35 %, son état de santé n'étant pas consolidé à la date du dépôt du rapport d'expertise ; que dans ces conditions, sans qu'il soit utile de recourir à la mesure d'expertise sollicitée par l'ONIAM, compte tenu de la nature et de la gravité des troubles dans les conditions d'existence qu'a connus et que connaît Mme B épouse A du fait de cette pathologie et du retentissement dans sa vie personnelle, nonobstant la stabilisation voire l'amélioration récente de son état, il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des préjudices de l'intéressée en portant à 50 000 euros l'indemnité à laquelle elle peut prétendre à ce titre, cette indemnité réparant l'ensemble des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence, en raison de la maladie et des traitements qu'elle a subis, des craintes légitimes qu'elle peut entretenir quant à l'évolution de son état de santé ainsi que des souffrances endurées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B épouse A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a limité l'indemnisation de son préjudice consécutif à sa contamination par le virus de l'hépatite C à la somme de 19 000 euros ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. L'Etat peut être condamné aux dépens ; qu'en l'absence de dépens exposés dans la présente affaire, les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales tendant à ce que la Cour statue sur les dépens sont sans objet et ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ; que, dans le dernier état de ses écritures, l'Etablissement français du sang, qui sollicite à bon droit sa mise hors de cause, ne demande aucune somme au titre des frais d'instance ; qu'il doit être regardé comme renonçant à ses précédentes conclusions tendant à ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de
4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a, dès lors, pas lieu de faire application de ces dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : L'Etablissement français du sang est mis hors de cause dans la présente instance.
Article 2: L'ONIAM, substitué à l'Etablissement français du sang, versera la somme de 50 000 euros (cinquante mille euros) à Mme B épouse A et la somme de
4 272,43 euros (quatre mille deux cent soixante-douze euros et quarante-trois centimes) à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées Orientales.
Article 3 : Le jugement n° 0501154 rendu le 13 mars 2008 par le tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B épouse A ainsi que celui des conclusions de l'ONIAM et de la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Espérance B épouse A, à l'Etablissement français du sang, à l'Office national d'indemnisation des accident médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales et au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
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N° 08MA023762