Vu la requête, enregistrée le 4 août 2009, au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille, sous le n° 09MA02959, présentée pour M. Hassen A, Mme Eliane A, Mme Sonia A et M. Walid A demeurant ensemble ..., Mme Martine C demeurant ..., M. Philippe C demeurant à ... et Mme Nathalie C demeurant ..., par Me Eyrignoux, avocat ;
M. A et autres demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0506201, 0601079 et 0601714 du 19 mai 2009 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à verser à M. et Mme A, une somme de 50 000 euros chacun, à leurs fils et fille Walid et Sonia A, une somme de 30 000 euros chacun, à Mmes Martine et Nathalie C, une somme de 20 000 euros chacune et à M. Philippe C, une somme de 20 000 euros, en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi à la suite du décès de M. Ralph D, survenu le 28 juillet 2001 à la maison d'arrêt de Grasse ;
2°) de condamner l'Etat à verser à M. et Mme A, une somme de 50 000 euros chacun, à leurs fils et fille Walid et Sonia A, une somme de 30 000 euros chacun, à Mmes Martine et Sonia C, une somme de 20 000 euros chacune et à M. Philippe C, une somme de 20 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu l'article 1er de l'arrêté du 27 janvier 2009 qui autorise la Cour administrative d'appel de Marseille à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret du 7 janvier 2009, situant l'intervention du rapporteur public avant les observations des parties ou de leurs mandataires ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 juin 2011 :
- le rapport de Mme Lopa Dufrénot, premier conseiller ;
- et les conclusions de Mme Chenal-Peter, rapporteur public ;
Considérant que M. et Mme A et les autres requérants relèvent appel du jugement en date du 19 mai 2009 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser une somme globale de 220 000 euros, en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi à la suite du décès, par intoxication au monoxyde de carbone, de leur fils et frère M. Ralph D, survenu le 28 juillet 2001 à la maison d'arrêt de Grasse où il était incarcéré ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice :
Considérant que la requête d'appel des requérants ne se borne pas à reproduire la demande présentée devant le Tribunal administratif mais comporte l'énoncé de moyens et conclusions qui ne sont pas strictement identiques à ceux formulés en première instance ; que dès lors, la fin de non-recevoir sus-analysée doit être écartée ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'écroué depuis le 7 mai 2001, pour chef de vol en réunion, le jeune Ralph D, né le 25 février 1984, qui avait dégradé du matériel et menacé le personnel a, en raison de ce comportement violent, consécutif à l'intervention au parloir d'un surveillant pour mettre fin à une dispute survenue avec son amie, lors d'une visite, fait l'objet, le 27 juillet 2001, d'une mise en prévention consistant dans son placement en cellule disciplinaire ; que, le 28 juillet 2001, les deux surveillants effectuant leur ronde de fermeture, arrivés dans le couloir de l'aile du bâtiment B où se situait la cellule de la victime, à 19 heures, 42 minutes et 53 secondes ont, constatant la présence de fumée, alerté à 19 heures 43 minutes, le poste central d'information auquel sont reliées, par interphone, toutes les cellules ; que dès le déclenchement de l'alerte, le premier surveillant, seul détenteur des clés des cellules, effectuant au rez-de-chaussée du bâtiment C, le placement d'un nouvel arrivant, arrivé sur les lieux, a procédé, à 19 heures, 48 minutes et 52 secondes, à l'ouverture des portes de la cellule où était étendu inanimé le corps de la victime ; que les surveillants, titulaires du brevet national de secourisme, ont, dès l'extraction du corps, procédé aux premiers gestes nécessaires à la réanimation ; que les pompiers, recevant l'appel à 19 heures 55 minutes, sont arrivés sur les lieux à 20 heures 05, pour l'officier de permanence et 20 heures 24, pour le reste de l'équipe ; qu'il résulte de l'instruction que le jeune Ralph D est décédé vers 21 heures d'une intoxication par inhalation de monoxyde de carbone consécutive à un incendie survenu dans la cellule où il était placé seul ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que ni les antécédents, ni l'attitude du jeune Ralph D, lors de sa détention, n'ont révélé de tendance suicidaire ou de signe particulier de l'imminence d'un passage à l'acte ; que si, à la suite du comportement de l'intéressé qui, dans sa cellule, informé par ses co-détenus de la progression du surveillant, debout sur les toilettes et accroché à un lacet suspendu à la porte, s'est, le 3 juillet 2001, laissé tomber à son arrivée, souhaitant voir changer ses conditions de détention et avoir la visite de son amie, dépourvue de permis, le médecin psychiatre a conseillé, dans le cadre d'une surveillance particulière, le doublement du placement en cellule pendant une durée de quinze jours, il n'en a, cependant, pas recommandé le renouvellement à l'issue de son terme ; que, de même, lors de son placement en cellule disciplinaire le 27 juillet 2001, en raison de dégradation de matériel et menaces envers le personnel, le médecin consulté n'a émis aucune recommandation particulière ; que, dans ces circonstances, il ne résulte pas de l'instruction que la survenance de l'incendie trouve sa cause dans le comportement volontaire du jeune D, ni que toute origine accidentelle soit exclue ;
Considérant que, d'une part, alors même qu'en l'absence de signe particulier de tendance suicidaire, le placement en cellule disciplinaire à titre de sanction ne peut être regardé comme inadapté, il appartenait à l'administration pénitentiaire, compte tenu de l'impulsivité du comportement du jeune D manifestée à deux reprises les 3 et 27 juillet 2001 et du déclenchement d'incendies volontaires au sein de la maison d'arrêt de Grasse, de faire preuve d'une surveillance accrue à l'égard de l'intéressé, dont le défaut a été aggravé par l'insuffisance de la pratique de rondes qui, en 2001, inexistantes durant la journée, étaient au nombre de deux voire trois à partir de 19 heures jusqu'à 5 heures ; que, d'autre part, tant le dispositif de vidéo-surveillance qui n'a détecté la présence de la fumée dans le couloir où était située la cellule qu'une à deux minutes postérieurement à l'alerte déclenchée par les surveillants, que le fonctionnement du poste central d'information qui n'a réceptionné à l'exclusion de tout autre appel qui aurait émané de la victime elle-même ou d'autres détenus, que l'alerte émanant des surveillants rondiers, à 19 heures, 42 minutes et 53 secondes, se sont avérés insuffisants ; qu'outre le nombre de tentatives d'incendies déclenchés à la maison d'arrêt et le dispositif des rondes mises en place, l'exiguïté de la cellule dotée d'un unique vasistas, son système de fermeture, ainsi que la nature et les caractéristiques du monoxyde de carbone imposaient de prévoir un système adapté de détection et de dégagement des fumées ; qu'enfin, tant l'impossibilité pour les surveillants de nuit de mettre en oeuvre rapidement les moyens propres à permettre l'ouverture de la cellule totalement enfumée alors que le premier surveillant détenteur des clés, était appelé à d'autres fonctions dans un bâtiment distinct, que l'intervention tardive des pompiers alertés à 19 heures et 55 minutes, ont retardé d'au moins 5 minutes et 52 secondes l'extraction de M. D afin de pratiquer les manoeuvres de réanimation ; que de telles circonstances ont prolongé l'exposition de la victime à l'émanation de gaz toxique compromettant ses chances de survie ; que, par suite, le défaut de vigilance et les défaillances dans le fonctionnement du service de l'administration pénitentiaire constituent une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de M. et Mme D et des autres requérants ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de la réparation due à M. et Mme A, parents de la victime, au titre du préjudice moral subi, en leur allouant à chacun la somme de 7 000 euros ; que le montant de la réparation du préjudice moral subi par Mme Sonia A et M. Walid A, ses soeur et frère, doit être évalué à la somme de 3 000 euros, pour chacun d'eux ; qu'enfin, il y a lieu d'apprécier le montant de l'indemnité due au titre de la réparation du même chef de préjudice supporté par Mmes Martine et Nathalie C et M. Philippe C, ses autres soeurs et frère, chacun à une somme de 2 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A et les autres requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ; que l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 dispose que (...) l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner, dans les conditions prévues à l'article 75, la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à une somme au titre des frais que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Il peut, en cas de condamnation, renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre le recouvrement à son profit de la somme allouée par le juge. ;
Considérant que Mme Eliane A n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée par une décision du 2 juin 2010 ; que l'avocat de Mme A n'a pas demandé la condamnation de l'Etat à lui verser directement sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamés à son client si ce dernier n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale ; que dans ces conditions, les conclusions de la requête de Mme A tendant à la condamnation de l'Etat sur le fondement de l'article L.761-1 ne peuvent être accueillies ;
Considérant, en revanche, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. Hassen A, Mme Sonia A, M. Walid A, Mmes C et M. C et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nice du 19 mai 2009 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. Hassen A et à Mme Eliane A, chacun, la somme de 7 000 (sept mille) euros, à Mme Sonia A et à M.Walid A, chacun, la somme de 3 000 (trois mille) euros et à Mme Martine C, à M. Philippe C et à Mme Nathalie C, chacun, une somme de 2 000 (deux mille) euros.
Article 3 : L'Etat versera à M. Hassen A, Mme Sonia A, M.Walid A, Mmes Martine et Nathalie C et M. C une somme globale de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Hassen A, à Mme Eliane A, à Mme Sonia A, à M.Walid A, à Mme Martine C, à M. Philippe C, à Mme Nathalie C et au Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés.
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N° 09MA02959 2
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