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27/03/2007 | FRANCE | N°01MA02260

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre-formation à 3, 27 mars 2007, 01MA02260


Vu, I, le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE enregistré le 26 septembre 2001, sous le n° 0102275 ;

Le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9500592 du 21 octobre 1997 par lequel le Tribunal administratif de Nice a déclaré l'Etat responsable de la totalité des conséquences dommageables dont la SARL International Distribution a été victime du fait du refus d'agrément opposé à la commercialisation de son matériel de téléphonie et a ordonné, avant dire droit, une expertise collégiale aux fins de déterminer l'éten

due du préjudice subi par ladite société ;

2°) de rejeter la requête de la SARL...

Vu, I, le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE enregistré le 26 septembre 2001, sous le n° 0102275 ;

Le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9500592 du 21 octobre 1997 par lequel le Tribunal administratif de Nice a déclaré l'Etat responsable de la totalité des conséquences dommageables dont la SARL International Distribution a été victime du fait du refus d'agrément opposé à la commercialisation de son matériel de téléphonie et a ordonné, avant dire droit, une expertise collégiale aux fins de déterminer l'étendue du préjudice subi par ladite société ;

2°) de rejeter la requête de la SARL International Distribution ;

Vu, II, le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE enregistré le 27 septembre 2001, sous le n° 0102260 ;

Le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9500592 du 28 juin 2001 par lequel le Tribunal administratif de Nice a condamné l'Etat, d'une part, à verser à la SARL International Distribution la somme de 35 972 430 francs avec intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 1994, capitalisés au 30 novembre 1999 et 11 décembre 2000, d'autre part, à supporter la charge des frais d'expertise fixés aux sommes de 222 819,96 et 267 780,24 francs ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande de la SARL International Distribution, subsidiairement, de réduire l'indemnité allouée par les premiers juges ;

………………………………………………………………………………………..

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la directive n° 86-361 CEE du Conseil du 24 juillet 1986 concernant la première étape de la reconnaissance mutuelle des agréments d'équipements terminaux de télécommunication ;

Vu la directive n° 88-301 CEE du 16 mai 1988 de la Commission des CE relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunication ;

Vu la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989, et notamment son article 8 ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications ;

Vu la loi n° 90-1170 du 29 décembre 1990 sur la réglementation des télécommunications ;

Vu le décret n° 85-712 du 11 juillet 1985 portant application de la loi du 1er août 1905 relatif aux matériels susceptibles d'être raccordés au réseau des télécommunications de l'Etat ;

Vu le décret n° 90-1121 du 18 décembre 1990 portant organisation de l'administration centrale du ministère des postes, des télécommunications et de l'espace ;

Vu le décret n° 90-1213 du 29 décembre 1990 relatif au cahier des charge de France Télécom et au code des postes et télécommunications, et notamment son annexe 18 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 Février 2007,

- le rapport de Mme Mariller, rapporteur ;

- les observations de Me Savi, pour la SARL International Distribution ;

- et les conclusions de M. Marcovici, commissaire du gouvernement ;

Considérant que la SARL International Distribution a demandé au Tribunal administratif de Nice la réparation du préjudice commercial qu'elle soutient avoir subi en raison de différentes fautes commises par l'administration des Postes et Télécommunication ; que par un premier jugement du 21 octobre 1997, le tribunal après avoir retenu la responsabilité de l'Etat, a ordonné une expertise en vue de déterminer l'existence et l'étendue du préjudice de la société demanderesse ; que par un second jugement rendu le 28 juin 2001 après dépôt du rapport d'expertise, le Tribunal administratif de Nice a condamné l'Etat à verser à la SARL International Distribution une indemnité de 35 972 430 francs, outre intérêts capitalisés ; que par les deux recours susvisés enregistrés sous les numéros 01MA02275 et 01MA02260, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE conteste ces deux jugements ; que, par la voie de l'appel incident, la société International Distribution demande à la Cour de majorer l'indemnité allouée par les premiers juges et de condamner l'Etat à lui verser la somme complémentaire de 22 526 000 € outre intérêt au taux légal à compter du 17 octobre 1994 ;

Considérant que les deux recours du MINISTRE sont relatifs à un même litige et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Sur la recevabilité de l'appel du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE dirigé contre le jugement du 21 octobre 1997 :

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article R. 811-6 du code de justice administrative : Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 811-2, le délai d'appel contre un jugement avant dire droit, qu'il tranche ou non une question au principal, court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige. ; que par le jugement attaqué du 21 octobre 1997, le Tribunal administratif de Nice a jugé que l'Etat était responsable de la totalité des conséquences dommageables dont la SARL International Distribution a été victime du fait du refus d'agrément opposé à la commercialisation de son matériel de télécommunication et a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'existence et l'étendue du préjudice subi par ladite société ; que le jugement définitif en date du 28 juin 2001 fixant le préjudice de la société International Distribution a été notifié au ministre le 2 août 2001 ; qu'en application des dispositions précitées de l'article R.811-6 différant le délai d'appel d'un jugement avant dire droit jusqu'au jour de l'expiration du délai d'appel relatif au jugement intervenant sur le fond, le ministre était recevable à faire appel, le 27 septembre 2001, du jugement avant dire droit en date du 21 octobre 2001 admettant le principe de la responsabilité de l'Etat ; que contrairement à ce que soutient la société International Distribution, la circonstance que le ministre n'a pas formé appel du jugement du 21 octobre 1997 dans les deux mois de sa notification ne constitue pas un acquiescement au principe de la responsabilité de l'Etat ;

Sur la régularité des jugements attaqués :

Considérant que le Tribunal administratif de Nice a déclaré l'Etat responsable de la totalité des conséquences dommageables dont la SARL International Distribution a été victime du fait du refus d'agrément opposé à la commercialisation de son matériel ; que pour ce faire, les premiers juges ont retenu que le refus d'agrément opposé à la société demanderesse « notamment dans la correspondance datée du 14 novembre 1991 », était illégal et constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que cependant, dans ses écritures devant le tribunal administratif, la société se prévalait seulement de l'incompatibilité des dispositions de l'article 6 du décret 85-712 du 11 juillet relatif à la procédure d'agrément des terminaux de télécommunication avec la directive de la Commission des Communautés européennes n° 88-301 CEE du 16 mai 1988, sans alléguer que le ou les refus d'agrément qui lui avaient été opposés étaient eux-mêmes illégaux ; que ce faisant, le tribunal administratif a soulevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public et a ainsi entaché son jugement d'irrégularité ; que ce jugement doit, par suite, être annulé ; que le second jugement en date du 28 juin 2001 qui s'appuie sur le rapport d'expertise ordonnée par le premier jugement, tant pour déterminer le fondement de la responsabilité de l'Etat que pour fixer le préjudice de la SARL International Distribution, procède ainsi du premier jugement et doit, par voie de conséquence, également être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SARL International Distribution devant le Tribunal administratif de Nice ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant que la société International Distribution a été créée le 1er août 1988 avec pour objet la vente de terminaux téléphoniques ; qu'elle a commercialisé dès sa création sur le marché français un téléphone sans fil référencé « AT 3000 » et un répondeur téléphonique référencé «RT 2005 » ; qu'elle a immédiatement réalisé un important chiffre d'affaires en vendant ces matériels, soit par correspondance à des particuliers par le biais d'un recours massif à la publicité, soit en assurant leur diffusion par l'intermédiaire de plusieurs grossistes ; qu'elle soutient néanmoins que l'Etat, agissant par le biais de l'administration des Postes et Télécommunication a, dès sa création, et par de multiples agissements, cherché à entraver son action, empêchant ainsi le développement économique prometteur qui était le sien et l'obligeant en définitive à cesser son activité ; qu'elle recherche la responsabilité de l'Etat à raison de ces différents agissements ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat à raison de l'incompatibilité des dispositions de l'article 6 du décret du 85-712 du 11 juillet 1985 relatif à la procédure d'agrément des terminaux de télécommunication avec la directive de la Commission des Communautés européennes n° 88-301 CEE du 16 mai 1988 :

Considérant que devant le tribunal administratif, la société International Distribution s'était seulement prévalue de l'incompatibilité des dispositions de l'article 6 du décret du 11 juillet 1985 avec la directive n ° 88-301 du 16 mai 1988 ; que cependant, si l'illégalité d'une réglementation est constitutive d'une faute, la constatation de cette faute n'est pas en elle-même susceptible de conduire à l'indemnisation d'un préjudice dont l'existence est alléguée en l'absence de démonstration d'un lien de causalité entre la faute ainsi commise et le préjudice ; qu'ainsi, la société International Distribution n'est pas fondée à demander réparation d'un préjudice au seul motif de l'incompatibilité de l'article 6 du décret du 11 juillet avec la directive du 16 mai 1988 ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat à raison du refus d'agrément opposé le 14 novembre 1991 à la commercialisation du téléphone-répondeur RT 2030 :

Considérant que la société International Distribution a déposé au mois de novembre 1990 une demande d'agrément pour un téléphone-répondeur référencé « RT 2030 » ; que par une décision du 14 novembre 1991, le sous-directeur de la direction de la réglementation générale (DRG) du ministère des postes et télécommunications a refusé l'agrément au motif que l'appareil n'était pas conforme aux spécifications techniques concernées sur sept points explicités en annexe à sa décision ; que la société soutient devant la Cour que le refus d'agrément qui lui a ainsi été opposé est illégal aux motifs qu'en contravention avec la législation européenne, il a été édicté, d'une part, par une autorité qui n'était pas indépendante, d'autre part sur la base de spécifications techniques qui n'ont elles-mêmes pas été adoptées par une autorité indépendante ;

Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la directive de 1988 : « Les états membres assurent qu'à partir du 1er juillet 1989, la formalisation des spécifications mentionnées à l'article 5 et le contrôle de leur application ainsi que l'agrément sont effectués par une entité indépendante des entreprises privées ou publiques offrant des biens et/ou des services dans le domaine des télécommunications » ; que les autorités nationales, seules compétentes pour décider de la forme à donner à l'exécution de ces directives et pour fixer les moyens propres à faire produire leurs effets en droit interne, ne peuvent cependant légalement après l'expiration des délais impartis laisser subsister ou édicter des dispositions réglementaires qui ne seraient plus compatibles avec les objectifs définis par les directives ;

Considérant que suite à l'adoption de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunication qui a créé à compter du 1er janvier 1991 France Télécom, personne morale de droit public placée sous la tutelle du ministre des postes et télécommunication, le décret n° 90-1121 du 19 décembre 1990 a affirmé en son article 3 la compétence de la direction de la réglementation générale du ministère pour délivrer les agréments et mettre en forme les spécifications techniques ; que si à la date de la décision attaquée, l'autorité chargée de la délivrance de l'agrément était structurellement distincte de la personne morale France Télécom chargée de l'exploitation du secteur commercial, le décret 90-1123 du 29 décembre 1990 relatif au cahier des charges de France Télécom prévoit expressément en son annexe 18 que France Télécom apporte au ministre son expertise technique lors de l'élaboration des spécifications d'agrément et des normes de connexion au réseau public des installations terminales et que dans le cadre de la procédure d'agrément, le ministre peut demander à France Télécom la réalisation d'essais en laboratoire ; que la société requérante est dès lors fondée à soutenir que la législation française sur la base de laquelle le refus d'agrément du 14 novembre 1991 lui a été opposé n'est pas compatible avec l'article 6 précité de la directive de 1988 et que ce refus pris en fonction d'essais techniques réalisés par le Laboratoire d'Essai et d'Agrément dépendant de France Télécom est, en conséquence, illégal ;

Considérant cependant que s'il est ainsi établi que le refus d'agrément opposé à la société International Distribution n'a pas été pris au terme d'une procédure conforme à la réglementation européenne, la société requérante ne peut obtenir réparation du préjudice qui découlerait de cette faute qu'à la condition que les motifs qui ont présidé à ce refus ne puissent être regardés comme fondés au regard de l'ensemble des normes européennes et nationales applicables à sa demande ;

Considérant qu'il résulte de l'examen de l'ensemble des dispositions des directives 86/361 CEE du 24 juillet 1986 et 88/301 CEE du 16 mai 1988 que la procédure d'agrément a pour objet de vérifier la conformité des terminaux de télécommunication avec les exigences essentielles définies à l'article 2-17) de la directive 86/361 ; qu'aux termes de ces dispositions : «Ces exigences essentielles sont actuellement les suivantes : - la sécurité de l'usager dans la mesure où elle n'est pas prévue par la directive 73/23/CEE, - la sécurité des employés des exploitants du réseau public de télécommunication dans la mesure où elle n'est pas prévue par la directive 73/23/CEE, - la protection des réseaux publics de télécommunication contre tout dommage, - l'interopérabilité des équipements terminaux lorsqu'elle est justifiée. » ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le refus d'agrément du 14 novembre 1991 a été opposé à la SARL International Distribution au motif que l'appareil RT 2030 ne répondait pas sur sept points aux spécifications techniques ST/1227, ST/1108, ST/1764 et ST/1766 ; qu'il est établi que seuls deux défauts qui concernent l'application de la norme technique ST/1764 qualifiés de majeurs par l'administration elle-même seraient susceptibles de fonder ce refus ; que si la société International Distribution peut être regardée comme établissant que la norme ST/1764 ne peut constituer la base légale du refus, au moins au motif qu'elle n'a pas été édictée par une autorité indépendante pour ce faire, les défauts constatés dans le fonctionnement de l'appareil RT2030 et dont la réalité n'est pas contestée par la société requérante, ne doivent pas être de nature à compromettre les exigences essentielles telles que définies par les dispositions précitées de l'article 2-17 de la directive du 24 juillet 1986 et notamment la protection du réseau public de télécommunication ; qu'il est en premier lieu établi que lors de l'écoute à distance des messages reçus, l'appareil RT 2030 ne coupe pas la communication au bout de trois minutes sans signal de l'utilisateur et que l'appareil ne dispose pas d'un autre système de libération de la ligne téléphonique ; qu'en second lieu, il est constant que l'appareil RT 2030 ne dispose pas d'un système interdisant l'occupation de la ligne lorsque la cassette sur laquelle devaient être enregistrés les messages était retirée ou détériorée après l'activation de la fonction répondeur ; qu'ainsi, il est démontré que l'appareil était susceptible de bloquer abusivement une ligne téléphonique, ce qui est de nature à perturber l'utilisation du réseau public de télécommunication protégé au titre des exigences essentielles ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'appareil RT 2030, qui ne respectait pas l'ensemble des exigences essentielles, n'était donc pas susceptible de bénéficier d'un agrément ; que, dès lors, et malgré l'illégalité du refus d'agrément qui lui a été opposé, la société International Distribution ne peut prétendre à l'indemnisation du préjudice commercial qu'elle a subi du fait de ce refus ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat à raison du préjudice commercial subi pour les appareils AT 3000 et RT 2005 :

Considérant qu'il est constant que la société International Distribution n'a pas déposé de demande tendant à faire agréer le téléphone « AT 3000 » et le répondeur « RT 2005 » ; qu'elle soutient néanmoins que l'absence de demande d'agrément ne peut être opposée à sa demande indemnitaire dès lors, d'une part, que la procédure d'agrément n'était pas pour les motifs ci-dessus analysés compatible avec la législation européenne et qu'en tout état de cause, c'est l'administration des Postes et Télécommunication qui l'a mise dans l'impossibilité de déposer de telles demandes ; qu'elle soutient enfin qu'elle a obtenu pour ces deux appareils des certificats de conformité édictés par le CNET qui doivent être regardés comme équivalents à un agrément ;

Considérant, en premier lieu, que si la procédure française de délivrance des agréments n'était pas conforme à la réglementation européenne en ce que l'agrément n'était pas délivré par une autorité indépendante sur la base d'une réglementation également édictée par une autorité indépendante, le principe de l'obtention d'un agrément préalable à la commercialisation des terminaux de télécommunication était lui-même conforme à la réglementation européenne en vigueur et notamment aux deux directives 86/361 et 88/301 déjà citées, qui prévoyaient cette autorisation préalable afin de permettre le respect des exigences essentielles ; qu'ainsi, l'obtention d'un agrément pour la commercialisation de matériel destiné à être raccordé au réseau public de télécommunication était un préalable légal et indispensable à sa diffusion sur le marché français ; que la société International Distribution n'est donc pas fondée à soutenir que du seul fait de l'absence de conformité de la procédure française d'agrément, elle peut prétendre à la réparation de son préjudice, même en l'absence de dépôt d'une demande d'agrément ;

Considérant en second lieu, que pour démontrer que l'administration l'a mise dans l'impossibilité de déposer des demandes d'agrément pour ses deux appareils, la société International Distribution indique qu'elle a adressé à l'administration des Postes et Télécommunication plusieurs courriers signalant son intention de soumettre à l'agrément l'AT 3000 et le RT 2005, sans pouvoir obtenir communication des normes techniques applicables aux demandes d'agrément et que l'administration aurait exigé avec la demande d'agrément le dépôt d'un dossier industriel avec production d'un circuit imprimé en France, ce qui était économiquement impossible ; qu'en ce qui concerne le premier obstacle invoqué, il résulte de l'instruction que si l'administration n'a pas répondu à la première demande de la société datée du 29 juillet 1988, au demeurant non expédiée par lettre recommandée, elle a répondu dès le 14 décembre 1988 à la lettre en recommandé qu'elle a reçue le 12 décembre demandant la communication des documents à présenter en vue de l'agrément ; que la réponse du 14 décembre précise « les matériels concernés par votre demande doivent répondre aux spécifications dont la liste est parue au JO du 1er novembre 1985 et a fait l'objet d'une actualisation, ainsi qu'à deux instructions (voir annexe) » ; qu'en annexe, à la demande était joint un dossier émanant du CNET intitulé « définition du dossier technique » dans lequel il était indiqué que les instructions pouvaient être obtenues à la DAAT, 33 route de Pauillac à Eysine ; que la société n'établit, ni même n'allègue, que la référence au journal officiel indiquée dans cette réponse était erronée et que les normes étaient introuvables ; qu'en outre il ne résulte d'aucune pièce du dossier qu'elle aurait cherché à prendre contact avec le service de la DAAT pour obtenir la communication des circulaires citées dans la réponse ; que, de plus, dans une lettre du 27 décembre 1988 adressée à la commission d'agrément postérieurement à la réception de ces informations, la société International Distribution ne demande aucun renseignement complémentaire sur les normes applicables, mais sollicite seulement des renseignements supplémentaires sur « la lettre du représentant d'un constructeur étranger » et sur « la fiche de renseignement de type 5 » ; qu'en ce qui concerne le second obstacle, l'obligation de déposer avec le dossier de demande d'agrément un dossier industriel avec production des circuits imprimés en France n'apparaît pas dans la réponse du 14 décembre 1988 ; que si la société soutient que cette demande lui aurait été faite par un représentant de l'administration par téléphone, cette exigence ne lui a, en tout état de cause, pas été confirmée alors qu'elle a expressément demandé la confirmation de cette obligation par lettre recommandée du 22 septembre 1989 ; qu'en réponse, il lui a été adressé un dossier de demande d'agrément, identique au courrier du 14 décembre ; qu'ainsi, en l'état du dossier soumis à la Cour, il n'est pas établi que la fourniture d'un tel dossier industriel était exigé comme condition de l'obtention d'une demande d'agrément ; qu'au contraire, la composition du dossier d'agrément notifié à deux reprises à la SARL International Distribution ne comporte pas cette obligation ; qu'ainsi, la société requérante ne peut être regardée comme établissant que c'est l'attitude fautive de l'administration des Postes et Télécommunication qui l'a empêchée de déposer des demandes d'agrément pour les deux appareils AT 3000 et RT 2005 ;

Considérant, en troisième lieu et enfin, qu'il résulte de l'instruction que la société International Distribution a elle-même saisi un laboratoire dépendant du CNET qui a reconnu entre le mois de mai et le mois d'août 1989 la compatibilité des deux appareils AT 3000 et RT 2005 à la norme NF 90.010 relative à la sécurité électrique et à la norme NF 90.020 relative à la compatibilité électro magnétique ; que si lors des dépôts de demande d'agrément, le CNET constituait l'autorité chargée par l'administration des Postes et Télécommunication de vérifier la sécurité électrique et la compatibilité électro magnétique des appareils, les certificats obtenus directement d'un laboratoire de cet organisme par la société en dehors de la procédure d'agrément ne peuvent être regardés comme équivalent à un agrément dont l'objet, qui est de vérifier la conformité de l'appareil à l'ensemble des exigences essentielles posées définies par la directive 86/361 du 24 juillet 1986, est en tout état de cause plus large que la seule vérification de la sécurité électrique et de la compatibilité électro magnétique ; qu'à cet égard, la société International Distribution ne peut utilement se prévaloir de deux directives de la direction des Douanes des 28 octobre et 4 novembre 1985 relatives aux formalités nécessaires à l'importation de matériel destiné à être raccordé au réseau public de télécommunication et qui permet à l'importateur de présenter soit un agrément, soit un rapport du CNET dès lors que l'assimilation des deux formalités par une directive nationale n'a aucune valeur réglementaire ; que, de même, la position défendue par l'Etat Français à l'occasion d'une instance juridictionnelle devant la Cour de Justice des communautés européennes visant à présenter un rapport du CNET comme équivalent en l'espèce à l'agrément ne saurait permettre à la société International Distribution de considérer que les certificats d'agrément qu'elle a obtenus doivent être regardés comme équivalents à l'agrément de ses appareils ;

Considérant qu'en l'absence de dépôt d'une demande d'agrément pour les appareils AT 3000 et RT 2005 nécessaire à la commercialisation de son matériel en vue de son raccordement au réseau public français de télécommunication et en l'absence de toute faute de l'Etat quant à l'absence de dépôt d'une telle demande, la société International Distribution n'est pas fondée à demander réparation du préjudice commercial né de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de commercialiser les deux appareils dont il s'agit ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat à raison de la rupture du principe d'égalité et des atteintes au principe de libre concurrence :

Considérant que la société International Distribution se prévaut en premier lieu de la rupture du principe d'égalité et de l'atteinte au principe de la libre concurrence résultant d'une circulaire du 23 août 1989 émanant de la Direction générale des Douanes ; que ce document, après avoir posé le principe du refoulement du matériel non agréé, admet néanmoins l'importation en vue de la mise à la consommation de quatre appareils non agréés le Canon Fax 230, le Nauder Fanafax UF 400 AD, Hoeschst O 6510 et le Siemens HF 2301, 2303, 2305 ; qu'en admettant que cette autorisation d'importation par un texte au demeurant sans valeur réglementaire, soit contraire à la législation alors applicable et édictée en violation des principes d'égalité et de libre concurrence, il résulte cependant de l'instruction que les quatre appareils en cause sont tous des télécopieurs dit de groupe III ; que la société International Distribution n'a elle-même pas distribué, ni formalisé un projet précis de distribution de télécopieurs ou de matériel équivalent en concurrence commerciale avec ce type de matériel ; qu'elle n'a donc subi aucun préjudice de nature commerciale du fait de l'autorisation de commercialiser des télécopieurs non agréés ;

Considérant que la société International Distribution soutient en second lieu que des téléphones ou répondeurs ont été agréés alors qu'ils n'étaient pas de meilleure qualité que les siens et qu'ils n'étaient pas plus conformes aux spécifications techniques applicables en France ; que cependant et d'une part, les conclusions du rapport d'expertise de M. Margaria ne peuvent être regardées comme apportant cette preuve dès lors que les appareils examinés par cet expert ont bénéficié d'un agrément cinq années après le refus opposé à la société International Distribution, alors que les spécifications techniques avaient évolué en raison de la modernisation du réseau public de télécommunication ; que, d'autre part, l'étude réalisée par les propres ingénieurs de la société requérante sur un appareil agréé d'une marque concurrente ne peut, notamment en l'absence de réponse de ce concurrent, être considérée comme suffisamment probante ; que, contrairement à ce qui est allégué, la seule exclusion de la société International Distribution d'une assignation délivrée par la société dont il s'agit ne peut être regardée comme établissant une reconnaissance par cette société de la non-conformité de son matériel ; qu'enfin, les différentes coupures de journaux produites aux dossiers faisant état de discrimination dans la délivrance des agréments ne reposent pas sur des études techniques précises dont l'impartialité est incontestable et ne permettent pas d'établir la méconnaissance par l'administration du principe d'égalité et l'atteinte portée au principe de libre concurrence ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat à raison des interventions des services des Douanes et de la répression des fraudes, ainsi que de l'engagement de poursuites pénales :

Considérant que la SARL International Distribution estime avoir été victime d'interventions abusives des services des Douanes et de la Répression des Fraudes qui auraient été exercées dans le but unique d'entraver la commercialisation de son matériel ; qu'il résulte de l'instruction que les interventions des services douaniers et de la répression des fraudes visant la SARL International Distribution s'inscrivent dans le cadre de la recherche et de la poursuite d'infractions à la législation douanières et à législation relative à la répression des fraudes ; que les actions visant à rechercher la responsabilité de l'Etat à raison de l'intervention de ces services et de l'engagement des poursuites pénales subséquentes relèvent de la compétence exclusive des juridictions de l'ordre judiciaire et échappent à la compétence des juridictions de l'ordre administratif ; que les conclusions de la société International Distribution tendant à la condamnation de l'Etat à raison de ces interventions estimées abusives doivent, en conséquence, être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat à raison des entraves à la commercialisation des terminaux de télécommunication non agréés ;

Considérant que la société International Distribution reproche à l'administration d'avoir orchestré des campagnes d'information dans la presse pour entraver la commercialisation des appareils non agréés et au législateur d'avoir fait interdire la publicité portant sur ce type de matériel par l'intervention de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que compte tenu des conditions de distribution de son matériel, la société requérante a commercialisé les appareils AT 3000 et RT 2005, non agréés, en vue de leur raccordement au réseau public français, ce qui était alors interdit par la réglementation en vigueur qui ne permettait la commercialisation de ce matériel en France que pour l'exportation ou en vue de son raccordement à un réseau privé ; que, dès lors, la société requérante, qui se trouvait donc dans une situation irrégulière, n'est pas fondée à demander réparation d'un dommage dont elle a été victime dans le cadre de cette situation ;

Considérant en outre que la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, d'une part, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés, d'autre part, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ;

Considérant que le législateur a, par l'article 8 de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989, interdit « toute publicité portant sur des matériels susceptibles d'être raccordés au réseau des télécommunication de l'Etat, dont la conformité aux dispositions réglementaires relatives à ces matériels ne peut être justifiée. » ; que la société International Distribution qui commercialisait les appareils AT 3000 et RT 2005 non agréés sur le marché français par un recours massif à la publicité demande réparation du préjudice commercial qu'elle a subi du fait de l'intervention de cette loi ; que, cependant, et d'une part, il n'est pas établi que les dispositions précitées de l'article 8 auraient été adoptées en méconnaissance d'un engagement international de la France ; qu'il n'est d'autre part pas plus établi, ni même allégué que le préjudice dont se prévaut la société International Distribution revêt un caractère spécial justifiant son indemnisation sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que LE MINISTRE DE L'ECONOMIE DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le Tribunal administratif de Nice a déclaré l'Etat responsable des préjudices de nature commerciale subis par la SARL International Distribution et l'a condamné à indemniser ladite société ;

Sur la charge des frais d'expertise :

Considérant que les frais d'expertise de Messieurs Dulac et Bottaccioli taxés et liquidés respectivement aux sommes de 222 819,96 et 267 780,24 francs sont mis à la charge définitive de la SARL International Distribution qui succombe à l'instance ;

Sur les conclusions de la SARL International Distribution tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à la SARL International Distribution la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les jugements n° 95592 du Tribunal administratif de Nice en date du 21 octobre 1997 et du 28 juin 2001 sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées par la SARL International Distribution devant le Tribunal administratif de Nice et les conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Les frais d'expertise taxés et liquidés aux sommes de 222 819,96 francs et 267 780,24 francs sont mis à la charge définitive de la SARL International Distribution.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la société International Distribution.

2

01MA02275 01MA02260


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre-formation à 3
Numéro d'arrêt : 01MA02260
Date de la décision : 27/03/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. RICHER
Rapporteur ?: M. Daniel RICHER
Rapporteur public ?: M. MARCOVICI
Avocat(s) : SCP ESCOFFIER-WENZINGER-DEUR

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2007-03-27;01ma02260 ?
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