Vu la requête, enregistrée le 4 avril 2005, présentée pour la société en nom collectif (SNC) THORETIM, dont le siège est 111 avenue Victor Hugo à Paris (75116), par Me Cocrelle, avocate ;
La SNC THORETIM demande à la Cour :
1°/ d'annuler le jugement n° 03-03070 en date du 6 janvier 2005 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune du Rayol ;Canadel et de l'Etat à lui verser la somme de 1.158.648 euros en réparation du préjudice subi à la suite de l'inconstructibilité de la zone d'aménagement concerté dite de la «Tessonnière» ;
2°/ de condamner solidairement la commune du Rayol-Canadel et l'Etat à lui verser la somme de 1.156.442 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 1996, avec capitalisation des intérêts à la date du recours ;
3°/ d'ordonner en tant que de besoin une mesure d'expertise avant dire droit sur le préjudice qu'elle a subi ;
4°/ de condamner l'Etat et la commune du Rayol-Canadel à lui verser une somme de 3.000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 septembre 2006,
- le rapport de M. Laffet, rapporteur ;
- les observations de Me Barthélémy pour la commune du Rayol-Canadel et de Mme Taglioli pour le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;
- et les conclusions de M. Cherrier, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par jugement en date du 6 janvier 2005, le Tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de la SNC THORETIM tendant à la condamnation solidaire de la commune du Rayol-Canadel et de l'Etat à lui verser la somme de 1.158.648 euros, en réparation du préjudice subi à la suite de l'inconstructibilité de la zone d'aménagement concerté de la Tessonnière au Rayol-Canadel dans laquelle elle avait acquis des terrains, pour lesquels elle avait obtenu un permis de construire, délivré illégalement par le maire du Rayol-Canadel ; que la SNC THORETIM relève appel de ce jugement ;
Sur l'intervention de la SARL Empain-Graham, de la SNC société d'immeubles commerciaux locatifs (SICL) et de la société International Amalgamated Investors (IAI) :
Considérant que lesdites sociétés en tant que membres du groupe auquel a été confié l'aménagement de la ZAC de la Tessonnière ont intérêt au rejet des conclusions présentées par l'Etat tendant à être garanti à hauteur des 2/3 des condamnations qui pourraient éventuellement être prononcées à leur encontre ; que, dès lors, leur intervention est recevable ;
Sur le principe de la responsabilité :
Considérant que, par délibération en date du 26 mai 1987, le conseil municipal de la commune du Rayol-Canadel a approuvé le plan d'occupation des sols de la commune et a classé, notamment, en zone constructible NAb une partie du Haut-Rayol ; que, par délibération en date du 16 juin 1988, ce même conseil municipal a décidé de créer, dans cette zone, la zone d'aménagement concerté (ZAC) de la Tessonnière et en a approuvé le plan d'aménagement par délibération du 21 juillet 1988 ; que la SNC THORETIM a acquis du groupe Empain-Graham, qui s'était vu confier l'aménagement de cette ZAC, le 1er août 1990, les lots n°s 10 et 13 ; que, toutefois, par jugement du 14 mars 1991, confirmé par un arrêt du Conseil d'Etat en date du 19 janvier 1994, le Tribunal administratif de Nice a annulé le classement en zone NAb de la ZAC de la Tessonnière au motif qu'il méconnaissait les dispositions de l'article L.146-6 du code de l'urbanisme ; que, tirant les conséquences de cette annulation au regard de la compétence du conseil municipal du Rayol ;Canadel, le Conseil d'Etat a annulé les délibérations en date du 16 juin et du 21 juillet 1988 approuvant respectivement la ZAC de la Tessonnière et son plan d'aménagement, dans son arrêt du 3 novembre 1997 ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.146-6 du code de l'urbanisme : «Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques» ;
Considérant que, s'il est constant, comme l'a relevé le Tribunal administratif de Nice, que les parcelles acquises par la SNC THORETIM sont situées dans un espace remarquable au sens de l'article L.146-6 du code de l'urbanisme et que leur constructibilité ne pouvait en conséquence être admise, alors que les décisions de création d'une ZAC et d'approbation d'un PAZ n'emportent pas par elles-mêmes un droit acquis à construire, pour autant, comme le soutient la société requérante, la commune du Rayol-Canadel a commis une illégalité en classant ces terrains en zone NAb d'urbanisation future, alors qu'ils auraient dû faire l'objet d'une protection particulière en vertu des dispositions précitées de l'article L.146-6 du code de l'urbanisme ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.146-4.II du code de l'urbanisme en vigueur à la date de la délibération approuvant la ZAC de la Tessonnière : «L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage (…) doit être justifiée et motivée, dans le plan d'occupation des sols, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau. Toutefois, ces critères ne sont pas applicables lorsque l'urbanisation est conforme aux dispositions d'un schéma directeur ou d'un schéma d'aménagement régional ou compatible avec celles d'un schéma de mise en valeur de la mer. En l'absence de ces documents, l'urbanisation peut être réalisée avec l'accord du représentant de l'Etat dans le département. Cet accord est donné après que la commune a motivé sa demande et après avis de la commission départementale des sites appréciant l'impact de l'urbanisation sur la nature (…)» ;
Considérant que, compte tenu des compétences ainsi conférées au préfet dans la mise en oeuvre de dispositions issues de la loi relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral et dans le contrôle du respect de ces dispositions par les opérations d'urbanisme, la responsabilité de l'Etat peut être engagée pour toute faute commise dans l'exercice de ces compétences ;
Considérant que, par décision du 10 juin 1988, le préfet du Var a donné son accord à l'opération de création de la ZAC de la Tessonnière, envisagée par la commune du Rayol ;Canadel, en application des dispositions susmentionnées de l'article L.146-4.II du code de l'urbanisme, sur demande motivée de la commune et après avis de la commission des sites ; que, dès lors que la délivrance de cet accord impliquait selon les termes mêmes dudit article L.146 ;4.II, une appréciation de l'impact de l'urbanisation faisant l'objet de la demande sur la nature, le préfet du Var ne pouvait légalement le délivrer sans vérifier que le projet ne portait pas atteinte à un site naturel remarquable au sens de l'article L.146-6 précité du même code, lequel interdit toute construction dans un tel site ; qu'ainsi, en délivrant, dans ces conditions, cet accord le préfet du Var a commis une illégalité qui est de nature à engager la responsabilité de l'Etat sans que celui-ci puisse se prévaloir de ce que toutes les implications des dispositions issues de la loi «Littoral» n'étaient pas encore parfaitement connues au moment de la mise en place de cette opération d'aménagement ; qu'en revanche, la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée à raison du fonctionnement déficient de ses services dans le cadre du contrôle de légalité exercé sur les collectivités décentralisées, dès lors que cette responsabilité ne peut être retenue que dans l'hypothèse de faute lourde ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SNC THORETIM s'est portée acquéreur le 1er août 1990 de deux lots dans la ZAC de la Tessonnière auprès de l'aménageur constitué par trois sociétés du groupe Empain-Graham, en vue d'y réaliser des constructions ; qu'à cette date, aucun élément ne pouvait alerter la SNC THORETIM sur la fragilité juridique de l'opération au regard de la loi «Littoral», dès lors que les actes créateurs de la ZAC avaient été pris et que les opérations d'aménagement étaient largement avancées ; qu'ainsi, ladite société n'a commis aucune imprudence fautive qui serait de nature à exonérer la commune du Rayol-Canadel et l'Etat pour tout ou partie de leur responsabilité ; qu'enfin, la circonstance que la société requérante ait acquis ces biens sans condition suspensive de l'attribution d'un permis de construire ou de l'absence de contestation de cette opération d'aménagement est sans influence sur la responsabilité des autorités administratives ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune du Rayol-Canadel et l'Etat doivent être déclarés solidairement responsables des préjudices subis par la SNC THORETIM à la suite de l'acquisition des lots n°s 10 et 13 dans la ZAC de la Tessonnière, illégale au regard des dispositions de la loi «Littoral», tant pour ce qui concerne les frais engagés pour l'achat de ces terrains que pour ce qui concerne les frais subséquents et notamment ceux afférents au permis de construire délivré illégalement par arrêté en date du 17 novembre 1992 du maire du Rayol ;Canadel et annulé par jugement du 1er avril 1993, confirmé par un arrêt de la Cour administrative d'appel en date du 7 décembre 1994, dès lors que ces derniers frais n'auraient pas été engagés si les lots susmentionnés n'avaient pas été constructibles du fait de cette opération d'aménagement illégale ;
Sur la prescription quadriennale :
Considérant que la commune du Rayol-Canadel a opposé expressément devant les premiers juges, le 6 octobre 2003, sous la signature de son maire, la prescription quadriennale prévue par les dispositions de la loi du 31 décembre 1968 modifiée, au motif que la SNC THORETIM n'avait saisi le tribunal administratif que le 18 juin 2003, soit près de sept ans après avoir adressé sa réclamation gracieuse à la commune et au préfet du Var ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : «Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public.» ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : «La prescription est interrompue par : - Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement ; - Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; - Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance. Toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu'une partie de la créance ou si le créancier n'a pas été exactement désigné. Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée.» ; qu'en vertu des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 susmentionnée : «La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement» ;
Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit ci-dessus que le fait générateur de la créance que la SNC THORETIM prétend détenir sur la commune du Rayol-Canadel se rattache à l'illégalité du plan d'occupation des sols de la commune approuvé le 26 mai 1987 et de la ZAC de la Tessonnière approuvée le 16 juin 1988, qui ont permis l'ouverture à l'urbanisation du secteur du Haut-Rayol en méconnaissance de la loi Littoral, illégalité reconnue par le Conseil d'Etat dans ses arrêts de 1994 et de 1997 ;que plusieurs autres acquéreurs de lots ont recherché dès 1996 la responsabilité de la commune du Rayol-Canadel et de l'Etat devant le Tribunal administratif de Nice à raison du même fait générateur, alors que cette juridiction n'a rendu ses décisions qu'au mois d'avril 2004 ; qu'ainsi, la prescription quadriennale a été interrompue, même en ce qui concerne la SNC THORETIM ; qu'en conséquence, la créance éventuelle de cette société n'était pas prescrite lorsqu'elle a saisi le Tribunal administratif de Nice le 18 juin 2003 d'une demande tendant à la réparation de ses propres préjudices ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SNC THORETIM est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nice a estimé, après avoir retenu la faute commise par la commune du Rayol-Canadel, susceptible d'ouvrir droit à réparation, du fait de la délivrance d'un permis de construire illégal, que ni la responsabilité de la commune du Rayol-Canadel, ni celle de l'Etat n'étaient engagées à raison d'ouverture illégale à l'urbanisation de la ZAC de la Tessonnière ;
Sur les préjudices :
Considérant que, parmi les préjudices subis par la SNC THORETIM figurent les frais d'acquisitions foncières exposés par celle-ci, déduction faite éventuellement de la partie du prix d'achat qui aurait excédé la valeur normale des lots au prix moyen du marché à la date de leur acquisition et de leur valeur vénale résiduelle actuelle ; que, sur ce point, l'état du dossier ne permettant pas de déterminer cette valeur, il y a lieu, pour la Cour, d'ordonner une expertise, et de réserver tous droits et moyens des parties, y compris pour ce qui concerne les autres préjudices invoqués, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de la SARL Empain-Graham et autres est admise.
Article 2 : La commune du Rayol-Canadel et l'Etat sont déclarés solidairement responsables du préjudice de la SNC THORETIM, consécutif à l'illégalité du classement en zone constructible NAb d'une partie du Haut-Rayol au plan d'occupation des sols du Rayol-Canadel approuvé par délibération du conseil municipal de cette commune en date du 26 mai 1987, et de la création de la ZAC de la Tessonnière et de l'approbation de son PAZ par délibérations de ce même conseil municipal en date du 16 juin et du 21 juillet 1988.
Article 3 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions à fin d'indemnités de la SNC THORETIM, procédé à une expertise en vue de déterminer le préjudice résultant pour cette société du coût des terrains qu'elle a acquis dans le périmètre de la ZAC de la Tessonnière, déduction faite, d'une part, éventuellement, de la partie du prix d'achat qui aurait excédé la valeur normale des lots et, d'autre part, de leur valeur vénale résiduelle.
Article 4 : L'expert, qui devra remettre son rapport dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R.621-2 à R.621-14 du code de justice administrative.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SNC THORETIM, à la commune du Rayol-Canadel, à Me Ezavin, à la société International Amalgamated Investors, à la SARL Empain-Graham représentée par Me Belhassen, mandataire liquidateur, à la SNC d'immeubles commerciaux locatifs, représentée par Me Arnaud, mandataire liquidateur, et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
N° 05MA00828
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