Vu la requête, enregistrée le 22 juillet 2004, présentée pour M. et Mme Jacques X, élisant domicile ..., par Me Geneviève Dehan ;
M. et Mme X demandent à la Cour :
1°/ d'annuler le jugement n° 98-02134 en date du 22 avril 2004 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire de la commune du Rayol ;Canadel et de l'Etat à leur verser la somme de 3.157.392 francs avec intérêts capitalisés ;
2°/ de condamner conjointement et solidairement l'Etat et la commune du Rayol ;Canadel à leur verser la somme de 428.619,49 euros augmentée des intérêts de droit et capitalisés à compter du 22 décembre 1997 ;
3°/ de condamner l'Etat et la commune du Rayol-Canadel à leur payer les dépens, comprenant les frais d'expertise qui s'élèvent à la somme de 5.560,12 euros ;
4°/ de condamner l'Etat et la commune du Rayol-Canadel à leur verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 septembre 2006,
- le rapport de M. Laffet, rapporteur ;
- les observations de Me Barthélémy pour la commune du Rayol-Canadel et de Mme Taglioli pour le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;
- et les conclusions de M. Cherrier, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par jugement en date du 22 avril 2004, le Tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de M. et Mme X tendant à la condamnation de la commune du Rayol-Canadel et de l'Etat à leur verser la somme de 3.157.392 francs (481.341,31 euros), en réparation du préjudice subi à la suite de l'inconstructibilité de la zone d'aménagement concerté de la Tessonnière au Rayol-Canadel, dans laquelle ils avaient acquis deux lots sur lesquels ils projetaient de construire ; que M. et Mme X relèvent appel de ce jugement ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune du Rayol-Canadel :
Considérant que M. et Mme X ont présenté des conclusions contre le jugement attaqué en critiquant les appréciations portées par les premiers juges ; qu'ainsi, la circonstance que les appelants aient demandé la réformation du jugement et non son annulation ne saurait rendre la requête irrecevable ;
Sur le principe de la responsabilité :
Considérant que, par délibération en date du 26 mai 1987, le conseil municipal de la commune du Rayol-Canadel a approuvé le plan d'occupation des sols de la commune et a classé, notamment, en zone constructible NAb une partie du Haut-Rayol ; que, par délibération en date du 16 juin 1988, ce même conseil municipal a décidé de créer, dans cette zone, la zone d'aménagement concerté (ZAC) de la Tessonnière et en a approuvé le plan d'aménagement par délibération du 21 juillet 1988 ; que M. et Mme X ont acquis du groupe Empain-Graham, qui s'était vu confier l'aménagement de cette ZAC, le 8 novembre 1990, les lots n°s 30 et 32 ; que, toutefois, par jugement du 14 mars 1991, confirmé par un arrêt du Conseil d'Etat en date du 19 janvier 1994, le Tribunal administratif de Nice a annulé le classement en zone NAb de la ZAC de la Tessonnière au motif qu'il méconnaissait les dispositions de l'article L.146-6 du code de l'urbanisme ; que, tirant les conséquences de cette annulation au regard de la compétence du conseil municipal du Rayol ;Canadel, le Conseil d'Etat a annulé les délibérations en date du 16 juin et du 21 juillet 1988 approuvant respectivement la ZAC de la Tessonnière et son plan d'aménagement, dans son arrêt du 3 novembre 1997 ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.146-6 du code de l'urbanisme : «Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques» ;
Considérant que, s'il est constant, comme l'a relevé le Tribunal administratif de Nice, que les parcelles acquises par M. et Mme X sont situées dans un espace remarquable au sens de l'article L.146-6 du code de l'urbanisme et que leur constructibilité ne pouvait en conséquence être admise, alors que les décisions de création d'une ZAC et d'approbation d'un PAZ n'emportent pas par elles-mêmes un droit acquis à construire, pour autant, comme le soutient la société requérante, la commune du Rayol-Canadel a commis une illégalité en classant ces terrains en zone NAb d'urbanisation future, alors qu'ils auraient dû faire l'objet d'une protection particulière en vertu des dispositions précitées de l'article L.146-6 du code de l'urbanisme ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.146-4.II du code de l'urbanisme en vigueur à la date de la délibération approuvant la ZAC de la Tessonnière : «L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage (…) doit être justifiée et motivée, dans le plan d'occupation des sols, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau. Toutefois, ces critères ne sont pas applicables lorsque l'urbanisation est conforme aux dispositions d'un schéma directeur ou d'un schéma d'aménagement régional ou compatible avec celles d'un schéma de mise en valeur de la mer. En l'absence de ces documents, l'urbanisation peut être réalisée avec l'accord du représentant de l'Etat dans le département. Cet accord est donné après que la commune a motivé sa demande et après avis de la commission départementale des sites appréciant l'impact de l'urbanisation sur la nature (…)» ;
Considérant que compte tenu des compétences ainsi conférées au préfet dans la mise en oeuvre de dispositions issues de la loi relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral et dans le contrôle du respect de ces dispositions par les opérations d'urbanisme, la responsabilité de l'Etat peut être engagée pour toute faute commise dans l'exercice de ces compétences ;
Considérant que, par décision du 10 juin 1988, le préfet du Var a donné son accord à l'opération de création de la ZAC de la Tessonnière, envisagée par la commune du Rayol ;Canadel, en application des dispositions susmentionnées de l'article L.146-4.II du code de l'urbanisme, sur demande motivée de la commune et après avis de la commission des sites ; que, dès lors que la délivrance de cet accord impliquait selon les termes mêmes dudit article L.146 ;4.II, une appréciation de l'impact de l'urbanisation faisant l'objet de la demande sur la nature, le préfet du Var ne pouvait légalement le délivrer sans vérifier que le projet ne portait pas atteinte à un site naturel remarquable au sens de l'article L.146-6 précité du même code, lequel interdit toute construction dans un tel site ; qu'ainsi, en délivrant, dans ces conditions, cet accord, le préfet du Var a commis une illégalité qui est de nature à engager la responsabilité de l'Etat sans que celui-ci puisse se prévaloir de ce que toutes les implications des dispositions issues de la loi «Littoral» n'étaient pas encore parfaitement connues au moment de la mise en place de cette opération d'aménagement ; qu'en revanche, la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée à raison du fonctionnement déficient de ses services dans le cadre du contrôle de légalité exercé sur les collectivités décentralisées, dès lors que cette responsabilité ne peut être retenue que dans l'hypothèse de faute lourde ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme X se sont portés acquéreurs le 8 novembre 1990 de deux lots dans la ZAC de la Tessonnière auprès de l'aménageur constitué par trois sociétés du groupe Empain-Graham, en vue d'y réaliser des constructions ; qu'à ces dates, aucun élément ne pouvait alerter M. et Mme X sur la fragilité juridique de l'opération au regard de la loi «Littoral», dès lors que les actes créateurs de la ZAC avaient été pris et que les opérations d'aménagement étaient largement avancées ; qu'ainsi, ladite société n'a commis aucune imprudence fautive qui serait de nature à exonérer la commune du Rayol-Canadel et l'Etat pour tout ou partie de leur responsabilité ; qu'enfin, la circonstance que M. et Mme X aient acquis ces biens sans condition suspensive de l'attribution d'un permis de construire ou de l'absence de contestation de cette opération d'aménagement est sans influence sur la responsabilité des autorités administratives ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune du Rayol-Canadel et l'Etat doivent être déclarés solidairement responsables des préjudices subis par M. et Mme X à la suite de l'acquisition des lots n°s 30 et 32 dans la ZAC de la Tessonnière, illégale au regard des dispositions de la loi «Littoral», tant pour ce qui concerne les frais engagés pour l'achat de ces terrains que pour ce qui concerne les frais subséquents et notamment ceux afférents au permis de construire délivré illégalement par arrêté en date du 11 décembre 1992 du maire du Rayol ;Canadel et annulé par jugement du 1er avril 1993, confirmé par un arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon en date du 7 décembre 1994, dès lors que ces derniers frais n'auraient pas été engagés si les lots susmentionnés n'avaient pas été constructibles du fait de cette opération d'aménagement illégale ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme X sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nice, tout en relevant qu'une faute, susceptible d'ouvrir droit à réparation, avait été commise par la commune du Rayol-Canadel en délivrant un permis de construire illégal, a estimé que ni la responsabilité de cette collectivité, ni celle de l'Etat n'étaient engagées à raison de l'ouverture illégale à l'urbanisation de la ZAC de la Tessonnière ;
Sur les préjudices :
Considérant que, parmi les préjudices subis par M. et Mme X, figurent les frais d'acquisitions foncières exposés par celle-ci, déduction faite éventuellement de la partie du prix d'achat qui aurait excédé la valeur normale des lots au prix moyen du marché à la date de leur acquisition et de leur valeur vénale résiduelle actuelle ; que, sur ce point, l'état du dossier ne permettant pas de déterminer cette valeur, il y a lieu, pour la Cour, d'ordonner une expertise, et de réserver tous droits et moyens des parties, y compris pour ce qui concerne les autres préjudices invoqués, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt ;
DÉCIDE :
Article 1er : La commune du Rayol-Canadel et l'Etat sont déclarés solidairement responsables du préjudice de M. et Mme X, consécutif à l'illégalité du classement en zone constructible NAb d'une partie du Haut-Rayol au plan d'occupation des sols du Rayol-Canadel approuvé par délibération du conseil municipal de cette commune en date du 26 mai 1987, et de la création de la ZAC de la Tessonnière et de l'approbation de son PAZ par délibérations de ce même conseil municipal en date du 16 juin et du 21 juillet 1988.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions à fin d'indemnités de M. et Mme X procédé à une expertise en vue de déterminer le préjudice résultant pour eux du coût des terrains qu'ils ont acquis dans le périmètre de la ZAC de la Tessonnière, déduction faite, d'une part, éventuellement, de la partie du prix d'achat qui aurait excédé la valeur normale des lots et, d'autre part, de leur valeur vénale résiduelle.
Article 3 : L'expert, qui devra remettre son rapport dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R.621-2 à R.621-14 du code de justice administrative.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme X, à la commune du Rayol-Canadel, à Me Ezavin, à la société International Amalgamated Investors, à la SARL Empain-Graham représentée par Me Belhassen, mandataire liquidateur, à la SNC d'immeubles commerciaux locatifs, représentée par Me Arnaud, mandataire liquidateur, et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
N° 04MA01586
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