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08/06/2006 | FRANCE | N°04MA01235

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3eme chambre - formation a 3, 08 juin 2006, 04MA01235


Vu la requête et les pièces, enregistrées les 9 juin et 2 septembre 2004, présentées pour l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG dont le siège est 100 avenue de Suffren à Paris (75015) par Me Champetier de Ribes ; L'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°0005140 en date du 11 mars 2004, par lequel le Tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser la somme de 30 000 euros à la succession de M. Fernand D, la somme de 5 000 euros à Mme Augusta D, la somme de 2 000 euros à Mme Z, à Mme Gladys A et à la succession de Mme CBX,

outre une somme de 800 euros au titre des frais d'instance ;

2°) à titr...

Vu la requête et les pièces, enregistrées les 9 juin et 2 septembre 2004, présentées pour l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG dont le siège est 100 avenue de Suffren à Paris (75015) par Me Champetier de Ribes ; L'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°0005140 en date du 11 mars 2004, par lequel le Tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser la somme de 30 000 euros à la succession de M. Fernand D, la somme de 5 000 euros à Mme Augusta D, la somme de 2 000 euros à Mme Z, à Mme Gladys A et à la succession de Mme CBX, outre une somme de 800 euros au titre des frais d'instance ;

2°) à titre principal, de prononcer la nullité du rapport d'expertise, de débouter les demandes des consorts D comme infondées et de les condamner à lui rembourser les sommes versées en exécution du jugement entrepris et à lui payer une somme de 3 500 euros hors taxes au titre des frais d'instance ainsi qu'aux entiers dépens ;

3°) à titre subsidiaire, de constater que ni la matérialité des transfusions ni le lien de causalité entre les transfusions alléguées et la contamination de M. D ne sont établies, de débouter les consorts D de leurs demandes et de les condamner à lui rembourser les sommes versées en exécution du jugement entrepris et à lui payer une somme de 3 500 euros hors taxes au titre des frais d'instance ainsi qu'aux entiers dépens ;

……………………………………………………………………………………………………..

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 mai 2006 :

- le rapport de Mme Massé-Degois, rapporteur ;

- les observations de Me Jacqueminet substituant Me Champetier de Ribes pour l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG ;

- et les conclusions de M. Trottier, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. D, à la suite de troubles prostatiques, a été admis à la clinique des Franciscaines de Nîmes en février 1986 en vue d'y subir une adénomectomie prostatique ; que l'Etablissement de transfusion sanguine du Languedoc-Roussillon a délivré, en vue de cette intervention chirurgicale, deux concentrés de globules rouges n°045V633 et 0007401 ; que le diagnostic de la contamination de M. D par le virus de l'hépatite C a été porté le 18 juillet 1997 ; qu'imputant l'origine de sa contamination à la transfusion réalisée lors de l'intervention qu'il a subie en février 1986, M. D, son épouse et ses trois filles ont sollicité devant le Tribunal administratif de Montpellier la condamnation de l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG, venant aux droit et obligations de l'Etablissement de transfusion sanguine du Languedoc-Roussillon à la réparation de leurs préjudices ; que le tribunal, par le jugement dont l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG relève appel, l'a condamné à réparer les conséquences dommageables de la contamination par voie transfusionnelle ;

Sur les conclusions relatives au rapport d'expertise :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'expert, commis par la décision du 27 février 2003 du Tribunal administratif de Montpellier tendant notamment à la détermination l'origine de la contamination par le virus de l'hépatite C de M. D, a procédé à l'analyse des pièces en sa possession sans examiner l'intéressé celui-ci étant décédé avant le début des opérations d'expertise ; qu'il résulte également de l'instruction que ces opérations se sont déroulées sans même que l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG ait été convoqué et ait eu la faculté de présenter des observations avant le dépôt du rapport de l'homme de l'art ; que l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG est fondé à soutenir que, dans ces conditions, les opérations d'expertise n'ont pas revêtu en l'espèce un caractère contradictoire et qu'elle sont, dès lors, et ainsi que l'a jugé le tribunal, entachées d'irrégularité ; que, toutefois, les constatations faites par l'expert et que l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG a eu la possibilité de discuter devant le Tribunal administratif de Montpellier peuvent être retenues à titre d'éléments d'information ; que, compte-tenu des indications fournies par l'ensemble des pièces du dossier il est possible, comme l'ont admis les premiers juges, sans avoir à recourir à une nouvelle mesure d'instruction, de statuer sur l'affaire ;

Sur la responsabilité de l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG :

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi susvisée du 4 mars 2002 : «En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable.» ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par ces parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'Etablissement de transfusion sanguine du Languedoc-Roussillon a retrouvé, dans ses listes de distribution, deux concentrés de globules rouges n°045V633 et 0007401 attribués à M. D en vue de l'intervention chirurgicale que ce dernier a subie en février 1986 ; que le dossier médical du patient a été perdu lors des inondations de la ville de Nîmes et l'enquête transfusionnelle réalisée n'a pas permis d'établir la le retour ou la destruction des lots sanguins ; que si l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG soutient que ces lots n'ont pas été transfusés à M. D, qu'ils ont été commandés à titre préventif et que l'acte chirurgical réalisé était exceptionnellement hémorragique, il n'apporte cependant aucun élément de nature à étayer ses dires ; que, par ailleurs, l'enquête transfusionnelle menée n'a pas permis de conclure à l'innocuité des deux produits sanguins distribués faute de connaître l'adresse du premier donneur et du caractère inexploitable du numéro du second donneur ; qu'il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que M. D présentait des risques de contamination eu égard à ses antécédents médicaux ou à son mode de vie ; qu'enfin, les pièces produites par l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG confirment les propos de l'expert selon lesquels l'hépatocarcinome, qui constitue une complication habituelle de l'hépatite et que présentait M. D, apparaît en général au terme d'un délai de dix ans d'évolution d'hépatite C ; que, dans ces conditions, en l'absence d'éléments apportant la preuve contraire lesquels ne peuvent être produits que par l'appelant, M. D doit être regardé comme ayant été transfusé lors de son opération en février 1986 ; que, quand bien même le risque découlant de cette circonstance est statistiquement faible, le doute doit, conformément aux dispositions législatives précitées, et en l'absence de tous facteurs de risques propres à la victime, profiter à M. D ; que, par suite, nonobstant le délai de onze ans qui s'est écoulé entre les transfusions en cause et la révélation de la contamination, le lien de causalité entre les transfusions lors de l'adénomectomie prostatique et la contamination par le virus de l'hépatite C doit être tenu pour établi ; qu'ainsi la responsabilité de l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG est engagée, comme l'a jugé le tribunal, à l'égard de M. D, depuis décédé ;

Sur les préjudices :

Considérant que par la voie de l'appel incident, la succession de M. D, Mme Augusta D, MM. Didier et Florent CBX, héritiers de Mme Geneviève D épouse CBX, Mme Guytte D épouse Z et Mme Gladys D épouse A demandent la réformation du jugement en ce que le tribunal a limité le montant de leur préjudice aux sommes respectives de 30 000 euros, 5 000 euros et 2 000 euros ;

Considérant que les premiers juges ont accordé à la succession de M. D la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices que M. Frés a personnellement subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C en 1986 à l'origine de la détérioration de son état de santé, des souffrances qu'il a endurées, puis de son décès en 2003 ; qu'ils ont accordé une somme de 5 000 euros à Mme Augusta D, son épouse, et une somme de 2 000 euros à chacune de ses trois filles au titre de leur préjudice moral ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices de tous ordres subis par M. D en tenant notamment compte des souffrances très importantes fixées au niveau maximal de 7 sur une échelle de 7 en accordant une indemnité de 60 000 euros, du préjudice subi par son épouse en lui allouant une somme de 10 000 euros et du préjudice subi par chacune de ses filles en leur octroyant un montant de 5 000 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la succession de M. D, Mme Augusta D, MM. Didier et Florent CBX, Mme Guytte D épouse Z et Mme Gladys D épouse A, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, soient condamnés à payer à l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions du même article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG à payer à la succession de M. D, Mme Augusta D, MM. Didier et Florent CBX, Mme Guytte D épouse Z et Mme Gladys D épouse A la somme de 1 500 euros titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1 : La requête de l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG est rejetée.

Article 2 : Les sommes de 30 000 euros, 5 000 euros et 2 000 euros auxquelles a été condamné l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG sont respectivement portées à 60 000 euros, 10 000 euros et 5 000 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la succession de M. D, Mme Augusta D, MM. Didier et Florent CBX venant aux droits de leur mère décédée, Mme Guytte D épouse Z et Mme Gladys D épouse A est rejeté.

Article 4 : Le jugement susvisé du 11 mars 2004 du Tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : L'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG versera à la succession de M. D, Mme Augusta D, MM. Didier et Florent CBX venant aux droits de leur mère décédée, Mme Guytte D épouse Z et Mme Gladys D épouse A la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG, à Mme Augusta D, à M. Didier CBX, à M. Florent CBX, à Mme Guytte D épouse Z, à Mme Gladys D épouse A ainsi qu'au ministre de la santé et des solidarités.

Copie à Me Champetier de Ribes, à Me Curtil et au préfet de l'Hérault.

N°0401235 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 04MA01235
Date de la décision : 08/06/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DARRIEUTORT
Rapporteur ?: Mme Christine MASSE-DEGOIS
Rapporteur public ?: M. TROTTIER
Avocat(s) : SCP CHAMPETIER DE RIBES SPITZER

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2006-06-08;04ma01235 ?
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