Vu la requête, enregistrée le 8 novembre 2004, présentée pour l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, dont le siège est 100 avenue de Suffren à Paris (75015) représenté par son président en exercice, par Me Champetier de Ribes ; l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°0302939 en date du 30 juillet 2004 par lequel le Tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser à Mme X la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis en raison de sa contamination par le virus de l'hépatite C lors de son hospitalisation en 1985 au centre hospitalier de Nîmes, la somme de 800 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative et a mis à sa charge les frais d'expertise ;
2°) de condamner Mme X à lui rembourser les sommes versées en exécution du jugement outre intérêts ;
3°) de condamner Mme X à lui verser la somme de 3 500 euros hors taxes en applications des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
Vu la loi n°98-535 du 1er juillet 1998 ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 mars 2006 :
- le rapport de M. Bourrachot, rapporteur ;
- les observations de Me Pommarat de la SCP Goujon-Maury pour Mme X ;
- et les conclusions de M. Trottier, commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
Considérant que Mme X a demandé au Tribunal administratif de Montpellier de déclarer le centre hospitalier de Nîmes responsable des préjudices subis à la suite de sa contamination par le virus de l'hépatite C qui résulterait de la transfusion de plasma, le 6 mars 1985, lors d'une intervention chirurgicale, de le condamner solidairement avec l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, venant aux droits du centre hospitalier, à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de provision à valoir sur les préjudices subis et d'ordonner un complément d'expertise en vue de déterminer les préjudices subis à la suite de la contamination dont elle est victime ; qu'ainsi, de telles conclusions étaient chiffrées et n'avaient ni un caractère indéterminé, ni un caractère forfaitaire ; que, dès lors qu'ils estimaient que le montant total du préjudice devait être fixé à une somme inférieure au montant de la provision demandée, les premiers juges pouvaient régulièrement statuer en refusant le complément d'expertise sans inviter Mme X à procéder au chiffrage définitif de sa demande ;
Sur la responsabilité :
Considérant, d'une part, qu'en vertu de la loi du 21 janvier 1952, modifiée par la loi du 2 août 1961, les centres de transfusion sanguine ont le monopole des opérations de contrôle médical des prélèvements sanguins, du traitement, du conditionnement et de la fourniture aux utilisateurs des produits sanguins ; qu'eu égard tant à la mission qui leur est ainsi confiée par la loi qu'aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion sont responsables, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ; qu'ainsi le préjudice résultant pour un malade de sa contamination par des produits sanguins transfusés est imputable à la personne morale publique ou privée dont relève le centre de transfusion sanguine qui a élaboré les produits utilisés ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : «En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable» ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par ces parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée en première instance, qu'à la suite d'une intervention chirurgicale effectuée le 6 mars 1985, Mme X a reçu une transfusion de plasma sanguin et le lendemain, une transfusion de deux culots globulaires ; que si l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG conteste la matérialité de l'administration d'une dose de plasma, la matérialité de cet acte constatée par l'expert ressort du dossier médical de l'intéressée et est attestée par un courrier du 9 juillet 1999 du correspondant d'hémovigilance du centre hospitalier de Nîmes ; que si les résultats de l'enquête post-transfusionnelle établissent une absence d'imputabilité de la contamination aux deux culots globulaires, l'innocuité de la transfusion de plasma sanguin effectuée le 6 mars 1985 à Mme X, n'est pas établie alors qu'aucune enquête n'est possible pour connaître les dix donneurs dont le sang a été utilisé pour élaborer le produit ; que l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG n'établit pas que l'administration de plasma sanguin ne serait pas à l'origine de la contamination de Mme X en se bornant à faire valoir, sur la seule base de données statistiques, qu'elle pourrait avoir pour cause les actes chirurgicaux eux-mêmes ou des actes chirurgicaux, notamment du fait d'une infection nosocomiale ; que si l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG fait valoir que Mme X a également subi des séances d'acupuncture et de mésothérapie, sans que la date et les conditions en soient précisées, il ne résulte pas de l'instruction que ces soins auraient exposées Mme X à un risque personnel ; que, contrairement à ce que soutient l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, un long délai d'incubation, caractéristique de la contamination par un tel virus, n'est pas à lui seul de nature à écarter le lien de causalité ; que, par suite, et en l'absence de risque établi propre à la victime, le doute doit, conformément aux dispositions législatives précitées, profiter à la victime et le lien de causalité entre la transfusion dont la patiente a fait l'objet et sa contamination par le virus de l'hépatite C doit être considéré comme établi ;
Sur le préjudice :
Considérant que pour indemniser son préjudice résultant des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence n'a pas suffisamment tenu compte de la gravité des répercussions dans sa vie quotidienne de sa contamination par le virus de l'hépatite C, de l'importance de son état dépressif et de son âge à la date de l'apparition des symptômes de la maladie ; qu'il résulte de l'instruction que l'état hépatique de Mme X a nécessité un suivi médical, de nombreux bilans biologiques et des hospitalisations ; que si l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG fait valoir une stabilité et même une amélioration de l'état de santé de Mme X, il résulte de l'instruction que la cause en est l'administration d'un traitement par interféron dont la nécessité constitue elle-même une composante du préjudice de Mme X ; que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise complémentaire, compte tenu de l'âge de la victime à la date de sa contamination, de la nature et de la gravité des troubles dans les conditions d'existence que connaît Mme X du fait de cette pathologie et du retentissement dans sa vie personnelle, il y a lieu de porter à 30 000 euros l'indemnité qui lui a été accordée à ce titre par les premiers juges, cette indemnité réparant les troubles de toute nature au nombre desquels figurent les préjudices d'agrément et sexuel ainsi que les souffrances physiques endurées à l'exception du préjudice économique non justifié par la victim ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser à Mme X la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis en raison de sa contamination par le virus de l'hépatite C lors de son hospitalisation en 1985 au centre hospitalier de Nîmes, la somme de 800 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative et a mis à sa charge les frais d'expertise ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG à payer à Mme X la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme X, qui n'est, dans la présente instance, ni la partie tenue aux dépens, ni la partie perdante, soit condamnée à payer à l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG une somme quelconque au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1 : La requête de l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG est rejetée.
Article 2 : L'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG est condamné à payer à Mme X la somme de 1 500 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme X est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, à Mme Eliane Enjaric, épouse X, à la caisse primaire d'assurance maladie du Gard, au centre hospitalier universitaire de Nîmes et au ministre de la santé et des solidarités.
Copie en sera adressée à Me Champetier de Ribes, Me Goujon et au préfet du Gard.
N° 0402360 4