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22/12/2005 | FRANCE | N°02MA02496

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ère chambre - formation à 3, 22 décembre 2005, 02MA02496


Vu la requête, transmise par télécopie et enregistrée le 18 décembre 2002, présentée pour la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ, représentée par son maire en exercice à ce dûment habilité par délibération du conseil municipal en date du 2 avril 2001, par Me Capiaux, avocat ; La COMMUNE DE SAINT-TROPEZ demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 97-3783 du 17 octobre 2002 par lequel le Tribunal administratif de Nice l'a condamnée à verser la somme de 673 720 euros à Me Derick, agissant es qualité de curateur de la faillite de la SA Nopac ;

2°) subsidiairement, de

réformer le jugement en fixant à 515 001,75 euros le montant de l'indemnité due à...

Vu la requête, transmise par télécopie et enregistrée le 18 décembre 2002, présentée pour la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ, représentée par son maire en exercice à ce dûment habilité par délibération du conseil municipal en date du 2 avril 2001, par Me Capiaux, avocat ; La COMMUNE DE SAINT-TROPEZ demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 97-3783 du 17 octobre 2002 par lequel le Tribunal administratif de Nice l'a condamnée à verser la somme de 673 720 euros à Me Derick, agissant es qualité de curateur de la faillite de la SA Nopac ;

2°) subsidiairement, de réformer le jugement en fixant à 515 001,75 euros le montant de l'indemnité due à Me Derick et de condamner l'Etat à la garantir à hauteur de 50 % des sommes mises à sa charge ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 décembre 2005,

- le rapport de M. Attanasio, rapporteur ;

- les observations de Me Capiaux pour la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ et de Me Moschetti de la SCP Deplano-Moschetti Avocats Associés pour Me Derick agissant ès qualité de curateur à la faillite de la S.A. Nopac ;

- et les conclusions de M. Cherrier, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par jugement du 17 octobre 2002, le Tribunal administratif de Nice a condamné la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ à verser une indemnité de 673 720 euros à Me DERICK, agissant es qualité de curateur de la faillite de la SA Nopac ; que la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ relève appel de ce jugement ; que Me Derick, par la voie du recours incident, demande la réformation dudit jugement en ce qu'il aurait fait une évaluation insuffisante du préjudice subi par la SA Nopac ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

Considérant que la SA Nopac a présenté une réclamation préalable à la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ, le 23 septembre 1995, pour obtenir réparation des préjudices subis par elle, évalués à la somme de 15 069 591 F, et résultant des fautes qu'aurait commises la commune en déclarant à tort constructibles les parcelles que la société avait acquises en vue de l'édification d'une maison d'habitation ; que par jugement en date du 14 février 1997, le Tribunal de commerce de Bruxelles a déclaré ouverte la faillite de la SA Nopac et désigné Me Derick en qualité de curateur de la faillite, à l'effet de réaliser l'actif de la société ; qu'en l'absence même de toute procédure d'exequatur, Me Derick disposait, à ce titre, du pouvoir d'engager toute action en responsabilité à l'encontre de tiers dont la faute aurait eu pour effet d'aggraver le passif de la faillite ou d'en diminuer l'actif, et avait, par suite, qualité pour saisir le Tribunal administratif de Nice aux fins d'obtenir la condamnation de la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ au paiement d'une indemnité en réparation des préjudices subis par la SA Nopac ; qu'alors même que cette action ait été introduite par Me Derick dans l'intérêt de la masse des créanciers, elle n'avait pas à être précédée d'une nouvelle réclamation préalable, le contentieux étant lié par la demande préalable formée par la SA Nopac ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ doit être écartée ;

Sur la responsabilité :

Considérant que la première phrase du premier alinéa de l'article L.146-6 du code de l'urbanisme, issu de la loi du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, énonce que «les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques» ; que les catégories d'espaces et milieux à préserver à ce titre sont mentionnés de façon non limitative par la deuxième phrase du même alinéa de l'article L.146-6 ; que si l'article L.146-6 a prévu l'intervention d'un décret tant pour fixer la liste des espaces et milieux à préserver au titre de son premier alinéa que pour définir la nature et les modalités de réalisation des aménagements autorisés en vertu de son deuxième alinéa, l'intervention de ces dispositions réglementaires ne constituait pas une condition nécessaire à l'entrée en vigueur des dispositions de l'article L.146-6 pour ceux des espaces et milieux qui sont énumérés dans la deuxième phrase de son premier alinéa ; qu'au nombre de ces derniers, figurent les forêts et zones boisées côtières ;

Considérant qu'il est constant que les parcelles dont la SA Nopac a fait l'acquisition, les 12 juin 1989 et 31 janvier 1990, au lieudit «Saint Jaume» sur le territoire de la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ, présentent par leur localisation, leur aspect boisé et préservé au sein de la presqu'île de Saint-Tropez un caractère remarquable au sens des dispositions précitées de l'article L.146-6 du code de l'urbanisme ; que, par suite, en approuvant par sa délibération du 26 février 1987, puis par celles des 18 mars et 17 juin 1988 portant révision du plan d'occupation des sols de la commune, le maintien pour lesdites parcelles de fenêtres de constructibilité, le conseil municipal a méconnu les dispositions ci-dessus rappelées de la loi littoral, alors en vigueur ; que, par voie de conséquence, le maire de Saint-Tropez en délivrant à la SA Nopac pour les parcelles dont s'agit des certificats d'urbanisme positifs a également fait une fausse application de cette loi ; que cette illégalité, à supposer même qu'elle soit imputable à une simple erreur d'appréciation ou d'interprétation des dispositions de la loi nouvelle, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la collectivité publique ;

Considérant que, pour s'exonérer de sa responsabilité, la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ met en cause l'Etat en invoquant divers fautes qui lui seraient imputables ;

Considérant, en premier lieu, ainsi qu'il a été dit, que l'intervention d'un décret ne constituait pas une condition nécessaire à l'entrée en vigueur des dispositions précitées de l'article L.146-6 imposant la préservation par les documents d'urbanisme des forêts et zones boisées côtières présentant un caractère remarquable ; que, par suite, la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ ne saurait, en tout état de cause, utilement invoquer la responsabilité de l'Etat du fait du retard pris quant à l'édiction du décret d'application de l'article L.146-6 du code de l'urbanisme ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'en application des dispositions des articles L.123-3 et R.123-5 du code de l'urbanisme alors en vigueur, le représentant de l'Etat doit, au vu de la décision prescrivant l'élaboration d'un plan d'occupation des sols, porter à la connaissance de la commune, les informations relatives aux prescriptions nationales ou particulières fixées en application des lois d'aménagement et d'urbanisme, les servitudes d'utilité publique et les projets d'intérêt général ainsi que toute autre information qu'il juge utile ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le préfet du Var a porté à la connaissance de la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ dès le 26 mai 1986 les informations prescrites par le code de l'urbanisme concernant l'applicabilité à son territoire de la loi du 3 janvier 1986 reprise aux articles L.146-1 et suivants dudit code, et a rappelé les principales restrictions en matière de constructibilité qui en découlent ; qu'il a ainsi satisfait, dans le cadre de l'élaboration du plan d'occupation des sols arrêté par délibération du conseil municipal de Saint-Tropez en date du 23 janvier 1986, à l'obligation d'information instituée par les prescriptions susrappelées du code de l'urbanisme ; que, par suite, le préfet n'a pas commis dans l'accomplissement de cette obligation de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

Considérant, en troisième lieu, que les services de l'Etat mis à la disposition des communes pour l'élaboration des documents d'urbanisme et l'instruction des demandes d'occupation des sols agissent en concertation permanente avec le maire qui leur adresse toutes instructions nécessaires pour l'exécution des tâches qui leur sont confiées ; que la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée à ce titre envers les communes que lorsqu'un de ses agents commet une faute en refusant ou en négligeant d'exécuter un ordre ou une instruction du maire ; qu'il ne ressort pas de l'instruction qu'une faute de cette nature ait été commise en l'espèce ;

Considérant, enfin, que la circonstance que le préfet du Var s'est abstenu de déférer au tribunal administratif le plan d'occupation des sols de la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ et les certificats d'urbanisme positifs délivrés par le maire au nom de la commune à la SA Nopac sur le fondement dudit plan, ne revêt pas le caractère d'une faute lourde, seule de nature à engager en pareil cas la responsabilité de l'Etat envers la commune ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions tendant à ce que l'Etat la garantisse des condamnations prononcées à son encontre ;

Sur le préjudice :

Considérant que Me Derick est en droit d'obtenir réparation du préjudice direct et certain qui a pu résulter de la délivrance par le maire de Saint-Tropez à la SA Nopac de certificats d'urbanisme illégaux ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que la SA Nopac a acquis les parcelles au lieudit «Saint-Jaume» le 12 juin 1989 et le 31 janvier 1990, au vu et sur le fondement des certificats d'urbanisme positifs qui ont été délivrés par la commune respectivement le 7 décembre 1988 et le 17 janvier 1990 ; que, par suite, la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ n'est pas fondée à soutenir que ces décisions n'auraient pas causé de préjudice à la SA Nopac au motif que les parcelles auraient été acquises par elle antérieurement, eu égard au certificat d'urbanisme délivré le 19 juillet 1990 ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que les parcelles acquises par la SA Nopac le 31 janvier 1990, l'ont été par elle en vue d'aménager les accès au terrain d'assiette de la construction projetée ; que la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ ne saurait, dès lors et en tout état de cause, faire valoir qu'elle ne peuvent être prises en compte dans le calcul du préjudice indemnisable au motif que leur acquisition n'aurait pas été nécessaire à la réalisation du projet de la SA Nopac ;

Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier et notamment d'une attestation notariée du 3 février 2004, que la société Nopac a vendu les parcelles lui appartenant, correspondant à la superficie totale de 35 480 m² de sa propriété, au prix de 230 250 euros ; qu'il y a lieu, dès lors, de fixer le montant de l'indemnité destinée à compenser la moins value liée à l'inconstructibilité du terrain, à la différence entre le prix d'achat des parcelles, soit 717 928 euros, et le prix de 230 250 euros auquel elles ont été cédées, soit la somme de 487 678 euros ; que la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ est dès lors fondée à demander, dans cette mesure, la réformation du jugement attaqué ; qu'il y a lieu de ramener l'indemnité qu'elle a été condamnée à verser à Me Derick, en sa qualité de curateur de la SA Nopac, à la somme de 487 678 euros augmentée des intérêts dans les conditions prévues par le jugement attaqué ;

Sur le recours incident de Me Derick :

Considérant, en premier lieu, que l'ensemble des parcelles ont été acquises par la SA Nopac, en 1988 et 1990, pour un montant total de 4 709 300 F (soit 3 650 000 F + 1 059 300 F), soit 717 928 euros, selon les actes notariés ; que c'est, dès lors, à bon droit que les premiers juges ont calculé, par rapport à ce prix d'acquisition, le préjudice correspondant à la moins-value résultant de la perte de constructibilité du terrain en cause ; qu'ainsi, Me Derick ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir, pour cette évaluation, du prix estimé du terrain, au 1er décembre 1994, selon un rapport d'expertise établi à cette date, dans le cas où il aurait été constructible, alors qu'il ne l'était plus depuis l'intervention de la loi littoral ;

Considérant, en deuxième lieu, que Me Derick ne justifie pas du paiement d'honoraires d'architecte ;

Considérant, en troisième lieu, Me Derick n'apporte aucun élément de nature à établir l'existence d'un lien de causalité direct entre les fautes commises par la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ, et d'une part, la mise en faillite de la société Nopac, d'autre part, les frais financiers supplémentaires que celle-ci aurait eu à supporter à l'occasion du remboursement de ses emprunts et, enfin, le coût de l'immobilisation d'une caution bancaire personnelle, dont la réalité n'est au demeurant pas justifiée ; que si Me Derick fait, en outre, valoir que des sommes affectées à la construction envisagée sont restées improductives au compte bancaire de la société, il n'établit pas qu'il aurait été impossible de faire fructifier ces fonds ; que, par suite, il n'est pas fondé à demander une indemnité au titre de la non-productivité du capital investi ; qu'il y a lieu, dès lors, d'écarter les demandes faites à ces divers titres, sans qu'il soit besoin d'ordonner la mesure d'expertise sollicitée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Me Derick n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nice a rejeté le surplus des conclusions de sa demande correspondant aux chefs de préjudice ci-dessus invoqués ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'indemnité en principal de 673 720 euros (six cent soixante treize mille sept cent vingt euros) que la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ a été condamnée à verser à Me Derick agissant es qualité de curateur de la faillite de la SA Nopac par le jugement du Tribunal administratif de Nice du 17 octobre 2002 est ramenée à la somme de 487 678 euros (quatre cent quatre-vingt sept mille six cent soixante-dix huit euros).

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Nice du 17 octobre 2002 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ et l'appel incident de Me Derick sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ, à Me DERICK, agissant es qualité de curateur de la faillite de la SA Nopac et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.

N° 02MA02496 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 02MA02496
Date de la décision : 22/12/2005
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ROUSTAN
Rapporteur ?: M. Gilles HERMITTE
Rapporteur public ?: M. CHERRIER
Avocat(s) : CAPIAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2005-12-22;02ma02496 ?
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