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17/11/2005 | FRANCE | N°05MA00855

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, Juge des reconduites, 17 novembre 2005, 05MA00855


Vu la requête, enregistrée le 11 avril 2005, présentée pour M.Elaziz X en rétention administrative au commissariat de police boulevard du Général de Gaulle à Narbonne (11100), par Me Girard ;

M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°0501256 en date du 14 mars 2005 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 8 mars 2005 par lequel le préfet de l'Aude a décidé sa reconduite à la frontière ;

2°) d'annuler ledit arrêté ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code...

Vu la requête, enregistrée le 11 avril 2005, présentée pour M.Elaziz X en rétention administrative au commissariat de police boulevard du Général de Gaulle à Narbonne (11100), par Me Girard ;

M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°0501256 en date du 14 mars 2005 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 8 mars 2005 par lequel le préfet de l'Aude a décidé sa reconduite à la frontière ;

2°) d'annuler ledit arrêté ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales n'a pas motivé sa décision du 21 janvier 2003 rejetant sa demande d'asile territorial, ce qui entraîne son illégalité et, par voie de conséquence, l'illégalité du refus de titre de séjour du préfet des Bouches-du-Rhône du 22 avril 2003 et de l'arrêté de reconduite à la frontière en date du 8 mars 2005 du préfet de l'Aude ; que la décision du ministre n'est pas motivée ; que le premier juge s'est estimé, à tort, incompétent pour se prononcer sur la décision susvisée du 22 avril 2003 du préfet des Bouches-du-Rhône sans procéder au renvoi devant la juridiction administrative compétente et a ainsi méconnu les dispositions de l'article R. 351-1 du code de justice administrative ; que le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas mentionné dans sa décision l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors qu'il a subi des menaces en Algérie et qu'il rencontre des risques de persécution dans son pays ; qu'il y a, dès lors, une erreur manifeste d'appréciation de sa situation par ledit préfet pour lui refuser son titre de séjour ; que le jugement querellé ne vise pas l'article adéquat de la convention européenne des droits de l'homme puisqu'il ressort de l'article 3 et non de l'article 8 de ladite convention que nul ne peut être soumis à la torture ou traitement inhumains ou dégradants ; qu'il est parfaitement intégré à la société occidentale et bénéficie d'une promesse d'embauche sous réserve de la régularisation de sa situation ;

Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 26 avril 2004 accordant une aide juridictionnelle totale à M. X ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu, enregistré au greffe de la Cour le 28 juillet 2005, le mémoire en défense présenté par le préfet des Bouches-du-Rhône ; le préfet des Bouches-du Rhône fait remarquer que le Tribunal administratif de Marseille n'ayant pas encore jugé cette affaire, le requérant n'a pas la possibilité de contester en appel sa décision de refus de séjour du 22 avril 2003, tant que le juge de première instance n'a pas statué ;

Vu, enregistré au greffe de la Cour le 17 août 2005, le mémoire en défense présenté par le préfet de l'Aude ; le préfet conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué ;

Le préfet de l'Aude fait valoir que la décision ministérielle lui refusant l'asile territoriale et celle du préfet des Bouches-du-Rhône de lui octroyer un titre de séjour sont suffisamment motivées ; que le requérant n'apporte aucun élément de preuve tangible pouvant attester qu'il remplit une seule condition relevant du code de séjour des étrangers et du droit d'asile pour pouvoir prétendre à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour ; que l'arrêté de reconduite à la frontière a été pris après un examen attentif de sa situation ; que M. X n'apporte aucune preuve des menaces qu'il encourt dans son pays d'origine ; enfin qu'une promesse d'embauche est sans effet sur la décision attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

Vu l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu le code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision en date du 27 décembre 2004 par laquelle le président de la Cour a notamment délégué M. François Bourrachot, président, pour statuer sur l'appel des jugements rendus en matière de reconduite à la frontière ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 octobre 2005 ;

- le rapport de M. Bourrachot, Président rapporteur ;

- et les conclusions de M.Trottier, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 351-3 du code de justice administrative : Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence d'une juridiction administrative autre que le Conseil d'Etat, son président, ou le magistrat qu'il délègue, transmet sans délai le dossier à la juridiction qu'il estime compétente. Toutefois, en cas de difficultés particulières, il peut transmettre sans délai le dossier au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat qui règle la question de compétence et attribue le jugement de tout ou partie de l'affaire à la juridiction qu'il déclare compétente. ; qu'aux termes de l'article R. 776-3 du même code régissant le contentieux des arrêtés de reconduite à la frontière : Le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a son siège le préfet qui a pris la décision. Toutefois, lorsque le recours est formé par un étranger placé dans un centre de rétention administrative, le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel est situé le centre où se trouve le requérant lors de l'introduction de sa requête. Lorsque le président d'un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime ressortir à la compétence du président d'un autre tribunal administratif, il lui transmet le dossier sans délai et par tous moyens. ;

Considérant qu'il résulte nécessairement de ces dispositions que, depuis le 1er avril 1972, date de leur entrée en vigueur, un tribunal administratif ne peut jamais se déclarer incompétent sur des conclusions qui ressortissent a la compétence d'un autre tribunal administratif, le président du tribunal qui estime sa juridiction incompétemment saisie étant tenu de transmettre le dossier selon le cas à la juridiction qu'il estime compétente ou au président de la section du contentieux de ce conseil pour jugement ou pour règlement de la question de compétence ; qu'ainsi, le requérant est fondé à soutenir que le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Montpellier ne pouvait sans irrégularité, rejeter pour incompétence du tribunal ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 22 avril 2003 et à demander l'annulation du jugement du 14 mars 2005 sur ce point ;

Considérant qu'il résulte de l'examen de la demande de première instance que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Montpellier n'était pas saisi de conclusions aux fin d'annulation de la décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 22 avril 2003 mais seulement d'une exception d'illégalité de cette décision au soutien de la demande d'annulation de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et, par voie de conséquence, de la demande d'annulation de la décision fixant le pays de renvoi ; que le premier juge n'a pas examiné l'exception d'illégalité dont il était saisi et a ainsi entaché son jugement d'irrégularité ; que, dès lors, le requérant est également fondé à demander l'annulation du jugement du 14 mars 2005 sur ce second point ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X devant le tribunal administratif de Montpellier ;

Sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière :

Considérant, tout d'abord, qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire français au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait ; ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X, de nationalité algérienne, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 8 mars 2005, de la décision en date du même jour du préfet de l'Aude l'invitant à quitter le territoire ; qu'il était ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant, en premier lieu, que si à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté prononçant sa reconduite à la frontière, M. X invoque l'illégalité de la décision du 21 janvier 2003 du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales lui refusant le bénéfice de l'asile territorial, il excipe également de l'illégalité de la décision préfectorale lui refusant un titre de séjour fondée notamment sur le refus d'asile territorial ;

Considérant qu'en vertu de l'article 13 de la loi du 25 juillet 1952 : Dans les conditions compatibles avec les intérêts du pays, l'asile territorial peut être accordé par le ministre de l'intérieur après consultation du ministre des affaires étrangères à un étranger si celui-ci établit que sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il est spécifié que Les décisions du ministre n'ont pas à être motivées. ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions de l'article 13 de la loi du 25 juillet 1952 que la décision par laquelle le ministre de l'intérieur se prononce sur une demande d'asile territorial n'a pas à être motivée ;

Considérant, d'autre part, que si M. X soutient avoir reçu des menaces dans son pays d'origine, il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur ait commis une erreur manifeste d'appréciation en lui refusant l'asile territorial ; que, dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le refus de titre de séjour qui lui a été opposé serait illégal en raison de l'illégalité de la décision du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales refusant de lui accorder l'asile territorial ;

Considérant, en second lieu que si M. X fait valoir qu'il est parfaitement intégré à la société occidentale et bénéficie d'une promesse d'embauche sous réserve de la régularisation de sa situation, ces circonstances ne sont pas de nature à faire regarder le rejet de sa demande d'asile, le rejet de sa demande de titre de séjour et la décision de le reconduire à la frontière comme entachés d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de l'intéressé ;

Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou qui doit être reconduit à la frontière est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Commission des recours des réfugiés lui a reconnu le statut de réfugié ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ; qu'aux termes de l'article 27 ter de la même ordonnance : La décision fixant le pays de renvoi constitue une décision distincte de la mesure d'éloignement elle-même (…) ; qu'aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;

Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales modifiée est inopérant à l'égard d'une décision portant reconduite à la frontière dès lors qu'une telle décision ne fixe en elle-même aucun pays de destination ; que, par suite, le moyen doit être écarté en tant qu'il est dirigé contre l'article 1er de l'arrêté attaqué ;

Considérant, en second lieu, que si M. X fait valoir que le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas mentionné dans sa décision l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cette circonstance est à elle seule sans effet sur la légalité de la décision attaquée dès lors qu'il ressort des termes de l'arrêté attaqué que le préfet a procédé à l'examen de la situation de M. X au regard de ce texte ;

Considérant, enfin , que si l'article 2 de l'arrêté attaqué décide que le requérant sera reconduit à destination du pays dont il a la nationalité, ses allégations relatives à des menaces reçues dans son pays d'origine, ne suffisent pas à le faire regarder comme exposé à un risque sérieux et personnel pour sa liberté ou son intégrité physique ; que dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'article 2 de l'arrêté querellé méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

Sur les conclusions de M. X tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. X une somme quelconque au titre des frais exposés par celui-ci en première instance et en appel, et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1 : Le jugement du 14 mars 2005 du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : La demande M. X devant le Tribunal administratif de Montpellier et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Elaziz X, au préfet de l'Aude, au préfet des Bouches-du-Rhône et au ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

Copie en sera adressée à Me Girard.

Lu en audience publique le 17 novembre 2005

Le président rapporteur, Le greffier,

Signé Signé

F. BOURRACHOT A. BOISSON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : Juge des reconduites
Numéro d'arrêt : 05MA00855
Date de la décision : 17/11/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François BOURRACHOT
Rapporteur public ?: M. TROTTIER
Avocat(s) : SCP BLANQUER GIRARD BASILE JAUVIN CROIZIER

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2005-11-17;05ma00855 ?
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