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05/02/2004 | FRANCE | N°99MA01025

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3eme chambre - formation a 3, 05 février 2004, 99MA01025


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 3 juin1999 sous le n° 99MA01025, présentée pour GAZ DE FRANCE, établissement public dont le siège est 23, rue Philibert Delorme à Paris (75017), par Me Bussac, avocat ;

GAZ DE FRANCE demande à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement n° 95-4928 du Tribunal administratif de Marseille du 30 mai 1999 qui l'a condamné à verser 1.158.000 F à M. X, en réparation des pertes de récoltes subies par celui-ci ;

2°/ à titre principal, de se déclarer incompétente et dans la négative,

déclarer que M. X a commis des fautes atténuant sa responsabilité et limitant celle-c...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 3 juin1999 sous le n° 99MA01025, présentée pour GAZ DE FRANCE, établissement public dont le siège est 23, rue Philibert Delorme à Paris (75017), par Me Bussac, avocat ;

GAZ DE FRANCE demande à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement n° 95-4928 du Tribunal administratif de Marseille du 30 mai 1999 qui l'a condamné à verser 1.158.000 F à M. X, en réparation des pertes de récoltes subies par celui-ci ;

2°/ à titre principal, de se déclarer incompétente et dans la négative, déclarer que M. X a commis des fautes atténuant sa responsabilité et limitant celle-ci à la somme de 227.000 F ;

Classement CNIJ : 60-01-02-01-03

C

- de condamner M. X à verser 10.000 F au titre des frais irrépétibles ;

Il soutient :

- à titre principal, qu'en application de l'article 12 alinéa 3 de la loi du 15 juin 1906, les juridictions judiciaires sont seules compétentes pour connaître des dommages causés par les installations de distribution d'énergie ; que la pose du gazoduc Cabriès-Manosque entre dans le champ d'application de ce texte ;

- que la baisse du niveau de la nappe phréatique est la conséquence certaine, directe et immédiate de la servitude de passage dont bénéficie GAZ DE FRANCE ; que seul, le caractère accidentel du dommage de travaux publics peut justifier la compétence administrative ; que le tribunal administratif a considéré cependant que la baisse du niveau de la nappe était envisageable, ce qui exclut la notion d'accident ; que le protocole d'accord du 4 octobre 1991 conclu avec les chambres d'agriculture, prévoit expressément l'indemnisation des dommages causés par la pose du gazoduc ;

- qu'à titre subsidiaire, si la Cour devait se reconnaître compétente, il y a lieu de réduire l'indemnité allouée à la somme de 227.000 F pour l'ensemble des pertes de récolte ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire présenté le 22 juillet 1999 pour M. X, qui demande à la Cour de rejeter la requête et de condamner GAZ DE FRANCE à verser 25.000 F au titre des frais irrépétibles ; il soutient :

- que le Tribunal des conflits dans sa décision Audebert, a réaffirmé la compétence des juridictions administratives à titre principal, et celle des tribunaux judiciaires à titre exceptionnel, pour les seuls dommages découlant de l'exercice normal de la servitude ; que l'interprétation de GAZ DE FRANCE du terme accident aurait pour conséquence d'inverser la jurisprudence du Tribunal des conflits ; que GAZ DE FRANCE ne saurait déterminer à l'avance la juridiction compétente, en envisageant les accidents susceptibles d'intervenir, dans le cadre d'un protocole d'accord ; que seules les servitudes de passage, d'appui et débranchage sont susceptibles de fonder la compétence judiciaire, non la réalisation d'un ouvrage public ; que le protocole de 1991 n'a pu prévoir l'importance des dommages et les conditions de leur survenance ;

- que les travaux de GAZ DE FRANCE ont conduit à l'assèchement de toute la nappe phréatique de la région et non de la seule propriété X ; qu'ils n'ont pas pour origine la servitude de passage, mais le caractère vicié de la conception et de la réalisation de la pose d'un gazoduc dans un terrain imbibé d'eau qu'il a fallu pomper ; que le dommage accidentel est le fruit des servitudes légales exercées dans des conditions anormales ;

- que s'agissant du préjudice, M. X s'en rapporte à ses écritures de première instance ;

- que l'appel dilatoire de GAZ DE FRANCE, qui ne conteste pas sa responsabilité, doit être sanctionné ; qu'il y a lieu de condamner GAZ DE FRANCE à verser 25.000 F au titre des frais irrépétibles ;

Vu le mémoire présenté le 24 septembre 1999 pour GAZ DE FRANCE qui soutient :

- que la compétence judiciaire ne se limite pas aux dommages permanents, mais concerne également les dommages momentanés dès lors qu'ils ne sont pas accidentels ;

- que s'il y a bien eu baisse momentanée de la nappe phréatique, il n'y a pas eu assèchement ; que cette baisse a été envisagée dès la signature de la convention de 1991, notamment au paragraphe 4 de l'article II et au paragraphe 1 de l'article III ; que si le dommage avait été imprévisible, le protocole n'aurait pas fixé les conditions d'une indemnisation ; que ce type de difficultés se rencontre classiquement dans les chantiers et figure dans les protocoles nationaux ; qu'il n'est nullement établi que les travaux exécutés dans la propriété X aient été réalisés dans des conditions anormales ou abusives ;

- que la requête n'est pas dilatoire, GAZ DE FRANCE ayant réglé la condamnation de première instance ;

- à titre subsidiaire, que les propositions indemnitaires de GAZ DE FRANCE sont satisfactoires ; que compte tenu de la chronologie, c'est l'attitude peu coopérative de M. X qui explique principalement la perte de récolte, alors que GAZ DE FRANCE a rempli son obligation de fournir de l'eau à partir d'un autre puits ; que GAZ DE FRANCE n'a été informé par M. X que tardivement ;

Vu, enregistré le 21 octobre 1999 le mémoire en réponse présenté pour M. X qui soutient :

- que les dommages subis sont par nature accidentels, dès lors qu'ils ne sont pas liés au fonctionnement normal de l'ouvrage ;

- que, si les dommages avaient été prévus dès l'origine, on ne voit pas ce qui faisait obstacle à l'application de la partie du protocole imposant d'y mettre fin et d'indemniser les victimes ; que toutes les pièces produites par l'expert et les sociétés sous-traitantes font bien apparaître l'assèchement partiel de certains puits ; que les travaux qui devaient, au départ, se dérouler pendant trois semaines, ont duré neuf mois du fait de difficultés techniques imprévues ;

- que l'évaluation du préjudice de M. X résulte de l'expertise Crest, diligentée par GAZ DE FRANCE ; que le rapport Fischer établit bien les diligences faites par M. X partiellement en vain, alors même que l'irrigation devait commencer en février 1993 ; que les essais de pompage entrepris les 22 et 23 mai ont tourné court dès le début du pompage ;

Vu le mémoire présenté le 8 février 2000 pour GAZ DE FRANCE qui soutient :

- que la nappe phréatique n'a pas été asséchée, à fortiori pour tous les exploitants de la région ;

- que la circonstance que le chantier a duré plus longtemps que prévu ne pourrait conduire à avaliser l'argumentation de M. X ;

- que l'exploitant X est le seul dont les pertes de récolte ont été aussi importantes et que l'ampleur des dommages trouve son origine dans la négligence dont il a fait preuve ;

- que GAZ DE FRANCE a toujours rejeté sa responsabilité pour des cultures d'aulx et de pommes de terre ; que l'expertise Fischer n'est pas contradictoire ; que M. X s'est opposé aux solutions proposées par Sud aménagement agronomie ; qu'après la réponse négative de la société Alpes Agri-Services du 10 février 1993, M. X disposait d'un délai suffisant pour se rapprocher d'un autre fournisseur de tuyaux ;

Vu le mémoire présenté le 29 février 2000 pour M. X, qui soutient :

- que la compétence judiciaire se borne aux atteintes au droit de propriété causées par les servitudes, dont le juge de l'expropriation est le garant ordinaire ; que ces atteintes ne sauraient se confondre avec un dommage de travaux publics accidentel ;

- qu'un dommage général ne peut être la conséquence de l'existence d'une servitude limitée à la propriété du requérant ;

- que dans l'affaire Auquier, évoquée par GAZ DE FRANCE, l'établissement ne soulève pas l'incompétence de la juridiction administrative ; qu'en revanche, dans cette affaire, il nie toute participation dans le dommage, alors qu'il le reconnaît dans l'affaire présente ;

- que l'expertise Fischer a été acceptée par GAZ DE FRANCE et par Sud aménagement ; que le cas voisin Baret, établit que c'est bien la carence de GAZ DE FRANCE à remplir ses obligations qui est la cause du dommage ;

Vu le mémoire présenté le 10 mai 2000 pour GAZ DE FRANCE, qui soutient :

- que l'installation d'un ouvrage agricole cause nécessairement un trouble direct, certain et immédiat aux exploitants ;

- que le contentieux X n'est pas de même nature que le contentieux Auquier ;

- que l'expertise Fischer n'est pas contradictoire ;

Vu le mémoire présenté le 27 juin 2000 pour M. X, qui soutient :

- que le préjudice subi par le requérant ne touche pas directement son droit de propriété, mais son activité professionnelle et ses revenus et n'a donc pas de lien direct et immédiat avec la servitude de passage ;

Vu le mémoire présenté le 8 août 2000 pour GAZ DE FRANCE, qui soutient que l'article 682 du code civil ne peut être utilement invoqué ; qu'une perte de récolte peut constituer un dommage momentané ;

Vu les pièces versées au dossier le 7 décembre 2000 par GAZ DE FRANCE ;

Vu le mémoire présenté le 22 décembre 2000 pour M. X, qui indique que la jurisprudence produite au dossier ne correspond pas à l'indemnité due à raison de la servitude de gazoduc ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la loi du 15 juin 1906 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 janvier 2004 :

- le rapport de M. CHAVANT, premier conseiller ;

- les observations de Me BERGUET de la S.C.P LESAGE-BERGUET pour M. X ;

- et les conclusions de M. TROTTIER, premier conseiller ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

Considérant que les servitudes d'appui, de passage et d'ébranchage ont été instituées au profit des concessionnaires de distribution d'énergie par l'article 12, alinéa 3, de la loi du 15 juin 1906, et que le second alinéa du même article donne compétence aux tribunaux de l'ordre judiciaire pour régler les indemnités qui pourraient être dues à raison desdites servitudes ;

Considérant que les dommages causés par l'existence, la construction et l'entretien des lignes de distribution de gaz comprise dans une concession, ont le caractère de dommages de travaux publics et que, par suite, les litiges nés desdits dommages ressortissent à la compétence de la juridiction administrative ; que la dérogation apportée à ce principe par l'article 12 précité de la loi du 15 juin 1906, par son caractère exceptionnel, doit être interprétée strictement ;

Considérant qu'il ressort, tant des termes, que de l'esprit desdites dispositions, que celles-ci ne concernent que les dommages qui sont les conséquences certaines, directes et immédiates de charges imposées par la loi aux propriétés privées, à l'exclusion des dommages purement accidentels causés par les travaux de construction, de réparation ou d'entretien des ouvrages ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, que M. X est propriétaire, sur le territoire de la commune de Cabriès, de terrains en nature de cultures, qui ont été traversés au printemps 1993, par la pose d'un gazoduc Cabriès-Manosque appartenant à GAZ DE FRANCE ; que les dommages éventuels entraînés par la pose de ce gazoduc, sont des dommages de travaux publics relevant de la compétence administrative et ne peuvent en aucun cas apparaître comme liés au fonctionnement normal de l'ouvrage, ni à l'exercice ordinaire de la servitude de passage établie au profit de GAZ DE FRANCE ; qu'en particulier, la perte de récolte dont M. X demande réparation apparaît comme la conséquence directe et accidentelle desdits travaux ; que, par suite, contrairement à ce que soutient GAZ DE FRANCE, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Marseille s'est déclaré compétent ;

Sur le lien de causalité et le préjudice :

Considérant que GAZ DE FRANCE ne conteste pas que l'origine du dommage est directement imputable aux travaux de réalisation du gazoduc, lesquels, ayant provoqué une baisse temporaire du niveau de la nappe phréatique, ont perturbé ainsi l'irrigation des terres ; que l'implantatation de l'ouvrage, d'une durée bien supérieure à ce qui était prévu, a entraîné une baisse substantielle du niveau de la nappe phréatique, rendant difficile, sinon impossible, l'irrigation des terres de M. X ; que ce n'est que le 26 avril 1993, que cette irrigation a pu être effectivement mise en oeuvre à une date à laquelle les récoltes dont s'agit étaient totalement perdues ; que, par ailleurs, il n'est pas établi de faute ou négligence de la part de M. X ; que si GAZ DE FRANCE conteste l'évaluation des pertes de récoltes ainsi subies par M. X, il résulte de l'instruction, que la somme de 1.158.000 F, arrêtée par le tribunal administratif, correspond à l'intégralité du préjudice tel que déterminé par l'expert de GAZ DE France ; qu'il y a lieu de confirmer ce montant ; qu'il résulte de tout ce qui précède, que GAZ DE FRANCE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement attaqué, le Tribunal administratif de Marseille a retenu son entière responsabilité dans les dommages subis par M. X et l'a condamné à réparer le préjudice subi par ce dernier ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;

Considérant que ces dispositions font obstacle aux conclusions de GAZ DE FRANCE, partie perdante, tendant à la condamnation de M. X aux frais irrépétibles.

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner GAZ DE FRANCE à verser 2.000 euros à M. X, au titre des frais irrépétibles ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par GAZ DE FRANCE est rejetée.

Article 2 : GAZ DE FRANCE est condamné à verser 2.000 euros (deux mille euros) à M. X au titre des frais irrépétibles.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à GAZ DE FRANCE, à M. X et au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

Copie en sera adressée à Me BUSSAC et à la S.C.P d'avocats LESAGE-BERGUET.

Délibéré à l'issue de l'audience du 22 janvier 2004, où siégeaient :

M. DARRIEUTORT, président de chambre,

M. GUERRIVE, président assesseur,

M.CHAVANT, premier conseiller,

assistés de Melle MARTINOD, greffière ;

Prononcé à Marseille, en audience publique le 5 février 2004.

Le président, Le rapporteur,

Signé Signé

Jean-Pierre DARRIEUTORT Jacques CHAVANT

La greffière,

Signé

Isabelle MARTINOD

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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N°''''''''''

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N° MA


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 99MA01025
Date de la décision : 05/02/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DARRIEUTORT
Rapporteur ?: M. CHAVANT
Rapporteur public ?: M. TROTTIER
Avocat(s) : BUSSAC

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2004-02-05;99ma01025 ?
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