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08/12/2003 | FRANCE | N°99MA00394

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5eme chambre - formation a 3, 08 décembre 2003, 99MA00394


Vu la requête enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 8 mars 1999, sous le n° 99MA00394, présentée par Maître Tartanson, avocat à la Cour pour la SOCIETE SUD EST REALISATION, dont le siège est chez M. X...
..., représentée par son gérant en exercice ;

La société demande à la Cour :

1°/ de réformer le jugement n° 945460 en date du 23 juin 1998 par lequel le Tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 21.140,10 F au titre de la période s'étendant du 12 juin 1994 au 30 septembre 1997 et

, pour la période postérieure à cette dernière date, des mensualités de 3.250 F jusq...

Vu la requête enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 8 mars 1999, sous le n° 99MA00394, présentée par Maître Tartanson, avocat à la Cour pour la SOCIETE SUD EST REALISATION, dont le siège est chez M. X...
..., représentée par son gérant en exercice ;

La société demande à la Cour :

1°/ de réformer le jugement n° 945460 en date du 23 juin 1998 par lequel le Tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 21.140,10 F au titre de la période s'étendant du 12 juin 1994 au 30 septembre 1997 et, pour la période postérieure à cette dernière date, des mensualités de 3.250 F jusqu'à la libération des lieux si celle-ci est intervenue avant la date du présent jugement, jusqu'à cette date dans le cas contraire, qu'elle estime insuffisante, en réparation du préjudice qu'elle a subi ;

Classement CNIJ : 60-02-03-01-03

C

2°/ de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3.250 F par mois à compter du 12 juin 1994 et jusqu'à libération effective des lieux, la somme de 1.000 F par mois dans les mêmes conditions au titre de la détérioration des bâtiments, ces sommes portant intérêts et ces intérêts étant capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts, la somme de 70.922,85 F au titre des frais d'avocat, d'expertise officieuse et frais d'impôts, assurances et consommation d'eau, la somme de 100.000 F au titre des dommages et intérêts en raison du caractère anormal du refus par l'Etat d'octroyer le concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice, et la somme de 50.000 F au titre des frais irrépétibles ;

Elle soutient :

- que le jugement attaqué n'a pas répondu à l'ensemble des moyens soulevés en première instance et que certains de ses motifs ne sont ni fondés ni motivés ; que ses moyens dirigés contre le rapport d'expertise de M. B... n'ont pas été examinés par les premiers juges ; que le Tribunal administratif de Marseille a minoré les indemnités qui lui étaient dues sans expliquer le fondement de sa décision ;

- que M. B... s'est à tort inscrit dans le cadre contractuel d'un bail à ferme, un occupant sans titre ne bénéficiant pas du statut des baux ruraux et la propriété en cause ne pouvant être qualifiée d'exploitation agricole ;

- que M. B... ne pouvait davantage envisager l'hypothèse d'un contrat de bail d'habitation, l'expulsion ne concernant pas un ex-locataire ayant manqué à ses obligations ;

- que, ne proposant aucune valeur locative découlant du marché de l'offre et de la demande, les conclusions du rapport de M. B... ne peuvent être retenues ;

- que le préjudice doit être évalué à partir de la valeur vénale de l'immeuble tel qu'il est actuellement ; que M. A..., expert appelé par la requérante, a estimé par comparaison la valeur vénale du bien à 600.000 F, le préjudice de l'immobilisation du capital à 39.000 F par an, et la moins-value annuelle à 12.000 F par an ; que M. C..., expert près la Cour d'appel d'Aix en Provence, avait estimé la valeur vénale à 750.000 F ;

- que les préjudices subis résultent de l'immobilisation du capital de la requérante, de la détérioration des bâtiments et des divers frais engendrés par le refus de concours de la force publique ; que le coût de l'immobilisation du capital, dont la société, qui exerce l'activité de marchand de biens, est en droit d'être remboursée, doit être fixé à 3.250 F par mois ;

- que la moins-value due à la détérioration des bâtiments, l'occupant sans titre s'opposant à toute réparation par le propriétaire, doit être fixée à 2% par an, soit 1.000 F par mois ;

- que les frais divers se montent à 70.922,85 F ; que le refus de concours de la force publique par l'Etat depuis cinq ans constitue une faute qui justifie le versement de dommages et intérêts de 100.000 F, puis de 4.250 F par mois jusqu'à libération effective des lieux ;

- que c'est en revanche à bon droit que les premiers juges ont condamné l'Etat à rembourser les frais d'expertise judiciaire d'un montant de 18.547,07 F ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 1999, présenté par le ministre de l'intérieur ;

Le ministre demande à la Cour le rejet de la requête ;

Il soutient :

- que le refus de concours de la force publique ne constitue pas une faute si l'exécution de la décision de justice porte un trouble grave à l'ordre public ; qu'en l'espèce la situation sociale de l'occupant sans titre et sa personnalité rendent impossible toute expulsion ;

- que le rapport d'expertise effectué à la demande de la requérante est extérieur à la procédure contradictoire judiciaire ;

- que la valeur vénale doit être fixée à 37.500 F pour 5 hectares ou faire l'objet d'une expertise ; que l'indemnité n'est due qu'à compter du 30 septembre 1997, date à laquelle a été conclue la vente ultérieurement devenue caduque ; qu'entre le 12 juin 1994 et le 30 septembre 1997, le préjudice doit être évalué à 21.140,10 F conformément à l'expertise judiciaire ;

- que la détérioration des bâtiments alléguée n'est pas établie et le montant de l'indemnité sollicité à ce titre ne devrait pas au surplus dépasser 62,50 F par mois ;

- que les intérêts seront alloués à compter de la réception de la réclamation préalable pour les mensualités échues avant cette réception et au fur et à mesure des échéances successives pour les mensualités postérieures à cette réception en date du 22 juillet 1994 ; que la capitalisation des intérêts n'est due que pour les intérêts échus depuis plus d'un an à la date du 8 mars 1999 ;

- que les frais d'assurance et d'imposition foncière incombent en tout état de cause au propriétaire ;

- que la requérante n'établit pas que les factures d'eau relèvent de la période de responsabilité de l'Etat ; que la société appelante s'est sciemment exposée à cette situation, ce qui ne lui ouvre pas droit à réparation ; qu'elle fait appel alors qu'elle a encaissé les indemnités ordonnées par le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en réplique enregistré le 10 novembre 1999, présenté pour la SOCIETE SUD EST REALISATION par Maître Tartanson ;

La société persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ;

Elle soutient en outre que :

- la valeur vénale doit tenir compte de l'ensemble des bâtiments du corps de ferme ; que la consistance du bien est la même depuis le 12 juin 1994 ;

- que le préjudice financier n'est pas lié à la caducité de la vente mais à l'immobilisation du capital ;

- que la prétendue exception du risque accepté n'est en l'espèce pas établie ;

- que les jugements des tribunaux administratifs sont exécutoires même en cas d'appel ;

- que les indemnités dues à compter du 1er mars 1999 n'ont pas été versées ;

Vu le mémoire, enregistré le 3 novembre 2003, présenté pour la SOCIETE SUD EST REALISATIONS, par Maître Tartanson ;

La société persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens et demande en outre à la Cour la condamnation de l'Etat la somme de 495,50 euros par mois à compter du 12 juin 1994 et jusqu'à libération effective des lieux au titre de l'immobilisation du capital, la somme de 304,92 euros par mois à compter du 12 juin 1994 et jusqu'à libération effective des lieux au titre de la détérioration des bâtiments, ces sommes étant indexées trimestriellement sur l'indice INSEE du coût de la construction à compter du 12 juin 1994 (indice de référence 1016- 4ème trimestre 1993) et portant intérêts capitalisés en application de l'article 1154 du code civil, les somme de 7.859,43 euros pour les frais de procédures, 3.439,07 euros pour les assurances et taxes, 3.898,03 euros pour la consommation d'eau, la somme de 15.000 euros au titre des dommages et intérêts ; qu'il soit enjoint au préfet des Alpes de Haute Provence de prendre toutes les mesures nécessaires le 15 mars 2004 pour exécuter la réquisition de la force publique sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 1er avril 2004 ;

Elle soutient en outre que :

- la valeur vénale exposée par l'Etat est dénuée de fondement ; que la valeur vénale de la propriété s'élève désormais à 160.000 euros ;

- que l'indemnité d'occupation doit en conséquence être indexée à compter du 12 juin 1994 sur l'indice INSEE du coût de la construction ;

- que l'administration ne conteste pas le principe de la moins-value pour détérioration des bâtiments ; que cette dégradation est confirmée par un avis d'expert du 20 octobre 2003 ;

- que la réparation du préjudice tiré des détériorations doit être portée à 304,92 euros et indexée sur l'indice INSEE du coût de la construction ;

- que la carence fautive de l'Etat n'est pas motivée conformément aux exigences de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 et de l'article 50 du décret du 31 juillet 1992 ;

- que l'administration admet l'indemnisation des factures d'eau à hauteur de 3.898,03 euros ;

- que la société requérante attend en vain l'expulsion depuis plus de neuf ans ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 novembre 2003 :

- le rapport de M. Pocheron, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Louis, commissaire de gouvernement ;

Considérant que le 19 novembre 1992, la SOCIETE SUD EST REALISATION, qui exerce l'activité de marchand de biens, a acquis à Lurs (Alpes de Haute Provence), par adjudication, et pour la somme de 270.000 F, une propriété d'environ 5 hectares, comprenant une maison à usage d'habitation et plusieurs bâtiments et hangars destinés à l'exploitation agricole ; que les anciens propriétaires, M. et Mme Y..., ont refusé de quitter les lieux malgré le commandement qui leur en a été fait par le jugement d'adjudication ; que, par jugement du 22 mars 1993 du Tribunal de grande instance de Forcalquier, ils ont été condamnés à payer une indemnité d'occupation de 6.000 F/mois dont ils ne s'acquittent pas ; que l'huissier chargé par la propriétaire de procéder à l'expulsion des occupants sans titre a été contraint, suite à l'échec de son commandement de quitter les lieux du 22 avril 1993, de demander, le 12 avril 1994, que le préfet des Alpes de Haute Provence lui octroie le concours de la force publique ; que, devant le refus du représentant de l'Etat d'intervenir au motif du risque de trouble grave de l'ordre public, la SOCIETE SUD EST REALISATION a, le 22 juillet 1994, sollicité en vain la réparation de son préjudice ; que le Tribunal administratif de Marseille, saisi par cette même société, a, par jugement du 2 février 1996, déclaré l'Etat responsable du préjudice tiré de son refus d'accorder le concours de la force publique pour l'expulsion des époux Y... à compter du 12 juin 1994, rejeté les demandes d'indemnités aux titres de la détérioration du bien, et des frais de procédure liés à l'achat du bien et au litige d'ordre privé opposant la demanderesse et les époux Y..., et a ordonné avant dire droit une expertise aux fins de déterminer le montant du préjudice résultant de l'occupation indue de la propriété suite à la vente d'une partie des terrains par la SOCIETE SUD EST REALISATION ; que le rapport d'expertise, rédigé par M. B..., était remis au greffe du tribunal le 7 mars 1997 ; que, par jugement du 23 juin 1998, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Marseille fixait l'indemnité à 21.140,10 F pour la période allant du 12 juin 1994 au 30 septembre 1997, puis à 3.250 F par mois jusqu'à libération complète des lieux par les époux Y... et rejetait le surplus des prétentions de la société ; que la SOCIETE SUD EST REALISATION sollicite par la présente requête la réformation de ce jugement en ce qu'il lui a accordé une indemnité qu'elle juge insuffisante ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant en premier lieu que la requérante soutient que le jugement ne répond pas à ses critiques du rapport d'expertise de M. B... ;

Considérant que la SOCIETE SUD EST REALISATION, dans sa demande devant le Tribunal administratif de Marseille, a exposé que l'expert judiciaire, pour évaluer le préjudice, s'était à tort référé aux barèmes administratifs du statut de fermage, qui ne pouvaient être légalement applicables, alors qu'au surplus la propriété en cause n'avait plus de caractère agricole ; qu'en réponse à ce moyen, le magistrat délégué par le président de ce même tribunal a, pour la période du 12 juin 1994 au 30 septembre 1997, estimé qu'avant cette dernière date, la société n'établissait pas avoir été « …empêchée de céder la propriété… », et qu'il y avait ainsi « …lieu d'évaluer le préjudice subi en fonction des éléments fournis par l'expert judiciaire… » ; que la requérante n'est dés lors pas fondée à soutenir que le jugement est insuffisamment motivé sur ce point ;

Considérant en deuxième lieu que la SOCIETE SUD EST REALISATION soutient que le jugement contesté n'est pas suffisamment motivé quand au rejet du surplus de ses prétentions ;

Considérant qu'il ressort du dit jugement que si le magistrat délégué a écarté les demandes tirées des autres chefs de préjudice en se fondant sur des motifs de droit ou de fait, il n'a pas répondu à la demande de la société tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 100.000 F de dommages et intérêts en réparation de la faute que le préfet des Alpes de Haute Provence aurait commise en ne lui accordant pas le concours de la force publique ; qu'ainsi le jugement du Tribunal administratif de Marseille doit être annulé en tant qu'il a omis de statuer sur cette demande ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur cette demande présentée par la SOCIETE SUD EST REALISATION devant le Tribunal administratif de Marseille ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu du trouble à l'ordre public que risquait d'entraîner l'expulsion forcée de M. et Mme Y..., en raison du comportement violent de M.Combe et de la situation sociale extrêmement difficile du couple, qui sont établis par l'instruction, l'administration ne peut être regardée comme ayant commis une faute lourde de nature à engager, envers la société requérante, sa responsabilité ;

Considérant cependant qu'aux termes de l'article 16 de la loi sus-visée du 9 juillet 1991 : « L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation. » ; qu'il ressort de ces dispositions que les justiciables, ,nantis d'une décision de justice dûment revêtue de la formule exécutoire, sont en droit de compter sur l'appui de la force publique pour assurer l'exécution du titre qui leur a été ainsi délivré ; que si l'autorité administrative peut, dans certaines circonstances, refuser le concours de la force publique, le préjudice qui peut naître de ce refus entraîne pour le bénéficiaire de la décision de justice une charge anormale rompant l'égalité devant les charges publiques, si ce refus s'est prolongé au-delà du délai dont l'autorité administrative doit disposer pour l'accomplissement de la mission qui lui incombe ; qu'en l'espèce, il est constant que l'autorité de police, saisie le 12 avril 1994 d'une demande de concours de la force publique, n'a pris aucune mesure depuis pour assurer l'exécution de la décision de justice du 19 novembre 1992 ; que, par suite la société requérante a subi un préjudice de caractère anormal et spécial justifiant la mise à la charge de l'Etat, même en l'absence de faute, d'une indemnité correspondant au préjudice certain directement imputable à l'inaction des autorités de police ; que, toutefois, il ressort de l'examen de l'ensemble des conclusions de la demande de l'intéressée que les dommages allégués en l'espèce pour un montant évalué à 100.000 F ne sont pas distincts des chefs de préjudice dont elle sollicite par ailleurs réparation ; que, dés lors, cette demande doit être rejetée ;

Sur le surplus des conclusions de la requête :

Sur le préjudice :

Sur l'immobilisation du capital :

Considérant que la requérante soutient que le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Marseille a à tort estimé que pour la période allant du 12 juin 1994 au 30 septembre 1997, la réparation du préjudice subi du fait de l'occupation indue devait être calculée en fonction des éléments fournis par l'expert judiciaire, qui s'est fondé sur les barèmes administratifs du bail à ferme ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment d'un courrier du 20 avril 1997 de la Mutualité Sociale Agricole adressé au gérant de la SOCIETE SUD EST REALISATION, que la propriété en cause, réduite à environ cinq hectares, ne pouvait donner lieu à un assujettissement en qualité d'exploitation agricole ; que d'ailleurs, la requérante, qui exerce l'activité de marchand de biens, avait l'intention non pas de louer son bien à un autre exploitant agricole mais de le vendre comme résidence d'agrément ; que, par suite, elle est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat délégué a retenu, pour évaluer le préjudice, les propositions de l'expert concernant la période litigieuse ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SOCIETE SUD EST REALISATION devant le Tribunal administratif de Marseille ;

Considérant que la requérante soutient que le préjudice tiré de l'immobilisation de son capital doit être évalué pour la période litigieuse à 495,05 euros par mois, soit au même montant que celui retenu par le magistrat délégué à compter du 30 septembre 1997 ; qu'à l'appui de ses allégations, elle produit deux expertises privées ; que la première émanant de M. A... estime ainsi la valeur vénale du bien à 600.000 F et la seconde, celle de M. C... à 750.000 F puis 160.000 euros ; que, de par leurs différences d'appréciation, ces expertises, qui n'ont pas été soumises à une procédure contradictoire, et sont d'ailleurs contestées par le défendeur, ne peuvent être utilisées en l'état pour procéder à l'évaluation du préjudice en cause ; qu'il résulte en revanche de l'instruction que le 30 septembre 1997, la SOCIETE SUD EST REALISATION a vendu la propriété litigieuse à Mme Z... pour un prix de 600.000 F et que cette vente, conclue sans condition de prêt, mais sous clause suspensive de la libération des lieux de toute occupation avant le 15 novembre 1997 et par suite devenue caduque, suffit à établir le caractère certain de la cession projetée et, par conséquent, l'étendue du préjudice invoqué ; qu'il sera donc fait une exacte appréciation des conséquences de l'immobilisation du capital pendant la période considérée en portant la condamnation mise à la charge de l'Etat de ce chef à 19.000 euros, montant qui comprend la somme de 21.140,10 F, soit 3.224,26 euros, déjà versée par l'Etat en application du jugement attaqué ; que l'indemnisation d'un capital immobilisé ne correspondant pas à une indemnité d'occupation fondée sur la valeur locative d'un bien immobilier, il n'y a pas lieu de l'indexer sur l'indice du coût de la construction ;

Sur la détérioration des bâtiments :

Considérant que la requérante demande de ce chef, en se fondant sur le rapport d'expertise privée susmentionné de M. A..., une indemnité de 304,92 euros par mois à compter du 12 juin 1994 ; qu'il résulte en effet de l'instruction, que le local d'habitation, le bâtiment d'exploitation en partie Est et les hangars souffrent d'un défaut d'entretien ; que, cependant, et en tout état de cause, la requérante, à l'appui de sa réclamation, ne produit aucun devis ou document probant qui permettrait de chiffrer l'étendue de son préjudice ; qu'il lui appartiendra, après libération des lieux par les époux Y... et si elle s'y croit fondée, de demander réparation des dommages dûment établis ; qu'en l'état de l'instruction, le premier juge était fondé à écarter ses prétentions de ce chef ;

Sur les frais d'huissier :

Considérant que la requérante n'apporte aucun justificatif de frais de poursuites liés à la présente affaire et engagés pendant la période de responsabilité de l'Etat ; que, par suite, elle n'est pas fondée à se plaindre de ce que le premier juge a rejeté sa demande d'indemnisation de ce chef de préjudice ;

Sur les impositions foncières et les frais d'assurances :

Considérant que la requérante, ainsi que l'a jugé le magistrat délégué, ne saurait obtenir le remboursement des taxes foncières et des frais d'assurance, qui incombaient dans le cas de l'espèce au propriétaire jusqu'au 30 septembre 1997, date à laquelle, si la vente du bien en cause à Mme Z... n'avait pas été rendue caduque en raison de l'inaction de l'administration, l'immeuble aurait changé de propriétaire ; qu'en revanche, la SOCIETE SUD EST REALISATION est fondée à demander une indemnité au titre des taxes foncières à compter de l'année1998 pour un montant total de 1.225,29 euros, ainsi qu'une indemnité de 905,45 euros, au titre des primes d'assurances arrivée à échéance à compter de 1998, dont la justification est produite en appel ;

Sur les frais d'expertises commandées à titre privé par la SOCIETE SUD EST REALISATION :

Considérant qu'il y a lieu de laisser à la charge de la requérante le coût des expertises sus-mentionnées, qui n'ont pas été utiles à la solution du litige ;

Sur l'indemnisation des charges pour consommation d'eau :

Considérant que la demande présentée de ce chef au Tribunal administratif de Marseille a été rejetée par le jugement attaqué au motif que la société n'avait pas fourni les éléments nécessaires pour déterminer dans quelle mesure la facture de consommation d'eau mise à sa charge concernait la période de responsabilité de l'Etat ;

Considérant que ces justificatifs ayant été produits en appel, il résulte de l'instruction que, pour la période pendant laquelle est engagée la responsabilité de l'Etat, les factures de consommation d'eau à la charge de la requérante s'élèvent à 6.108,25 euros ; qu'il y a lieu de fixer à ce montant l'indemnité due par l'Etat en réparation de ce chef de préjudice ;

Sur le remboursement des frais d'avocat et de consultation juridique :

Considérant qu'il y a lieu de rejeter la demande susanalysée qui se confond avec celle que la requérante a par ailleurs présentée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, dans les circonstances de l'affaire, il sera fait une juste appréciation d'une part du préjudice tiré de l'immobilisation du capital entre le 12 juin 1994 et le 30 septembre 1997 en portant la somme de 21.140,10 F, soit 3.224,26 euros, que l'Etat a été condamné à verser à la requérante par le jugement attaqué, à 19.000 euros, et d'autre part des autres chefs de préjudice en les évaluant à la somme de 8.268,99 euros, y compris, s'agissant de cette dernière somme, tous intérêts échus au jour de la présente décision ;

Sur les intérêts :

Considérant que la SOCIETE SUD EST REALISATION a droit aux intérêts au taux légal afférents à l'indemnité de 15.775,74 euros, correspondant à la différence entre les sommes sus-mentionnées de 19.000 et 3.224, 26 euros, à compter du 22 juillet 1994, date de réception de sa demande par le préfet des Alpes de Haute Provence ;

Sur les intérêts des intérêts :

Considérant qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : « Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. » ; que pour l'application des dispositions précitées, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la société SUD EST REALISATION a demandé par un mémoire du 2 décembre 1997 la capitalisation des intérêts ; qu'à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu, dés lors, de faire droit à cette demande tant à cette date que, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que cette société n'a ensuite formulé que deux autres demandes de capitalisation, à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur la subrogation de l'Etat :

Considérant qu'il y a lieu de subordonner le paiement des indemnités correspondant à l'immobilisation du capital, aux impositions foncières, à la prime d'assurance et à la consommation d'eau par les occupants sans titre à la subrogation de l'Etat dans les droits de la propriétaire à l'encontre de M. et Mme Y... ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

Considérant que les décisions prises par le présent arrêt, relatives à l'indemnisation de préjudices au titre de la responsabilité sans faute de l'Etat, n'impliquent pas nécessairement, au sens des dispositions des articles L.911-1 et 911-2 du code de justice administrative, que le préfet des Alpes de Haute Provence prenne la mesure d'exécution sollicitée ; que, par suite, les conclusions sus-analysées doivent être rejetées ;

Sur l'application de l'article l.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner L'Etat à payer à la SOCIETE SUD EST REALISATION une somme de 2.600 euros au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 23 juin 1998 du Tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions de la SOCIETE SUD EST REALISATION tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 100.000 F au titre des dommages et intérêts en réparation de la faute résultant du refus de lui accorder le concours de la force publique et la demande formulée de ce chef devant le Tribunal administratif de Marseille est rejetée.

Article 2 : La somme de 21.140,10 F, soit 3.224,26 euros, que l'Etat a été condamné à verser à la SOCIETE SUD EST REALISATION au titre de la période s'étendant du 12 juin 1994 au 30 septembre 1997 par l'article 1° du jugement du Tribunal administratif de Marseille du 23 juin 1998 est portée à 19.000 euros. La somme de 15.775,74 euros, restant ainsi à verser par l'Etat, portera intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 1994. Les intérêts échus le 2 décembre 1997 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat est condamné à verser à la SOCIETE SUD EST REALISATION une indemnité de 8.268,99 euros.

Article 4 : Le surplus du jugement du Tribunal administratif de Marseille du 23 juin 1998 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera à la SOCIETE SUD EST REALISATION une somme de 2.600 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE SUD EST REALISATION est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au gérant de la SOCIETE SUD EST REALISATION, au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et au préfet des Alpes de Haute Provence.

Délibéré à l'issue de l'audience du 10 novembre 2003, où siégeaient :

Mme Bonmati, président de chambre,

M. Moussaron, président assesseur

M. Pocheron, premier conseiller,

assistés de Mlle Ranvier, greffier ;

Prononcé à Marseille, en audience publique le 8 décembre 2003.

Le président, Le rapporteur,

Signé Signé

Dominique Bonmati Michel Pocheron

Le greffier,

Signé

Patricia Ranvier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

2

N° 99MA00394


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 99MA00394
Date de la décision : 08/12/2003
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BONMATI
Rapporteur ?: M. POCHERON
Rapporteur public ?: M. LOUIS
Avocat(s) : TARTANSON

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2003-12-08;99ma00394 ?
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