Vu la requête enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 21 mars 2000, sous le n° 00MA00565, présenté pour Mme Geneviève X, demeurant ..., par Me DEMAY, avocat à la Cour ;
Mme X demande à la Cour :
1°/ d'annuler le jugement n° 94 3671 et n° 94 2831 en date du 18 novembre 1999 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 19 février 1990 par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes l'a mise en demeure de cesser de louer des locaux insusceptibles d'être donnés en location aux fins d'habitation, rejeté ses demandes tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 161 822,95 F en réparation du préjudice qu'elle a subi et la somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Classement CNIJ : 61-01-01-03
C
2°/ d'annuler la décision du 19 février 1990 pour excès de pouvoir ;
3°/ de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 16 966,54 F, de 622 685,46 F, de 6 996,47 F par mois du 1er février 2000 jusqu'à la date du retrait de l'interdiction d'habiter les chambres dont elle est propriétaire à Antibes (Alpes-Maritimes) dans l'immeuble Le Clair Juan, et de 522 000 F ;
4°/ de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Elle soutient que la décision litigieuse se heurte à la prescription de trente ans prévue à l'article 2262 du code civil ; qu'elle est contraire à l'autorité de la chose jugée par un arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence rendu le 7 avril 1994 en faveur de M. Y, propriétaire de chambres situées dans le même immeuble et au même niveau ; que les trois chambres dont elle est propriétaire se situent en rez-de-jardin ainsi que l'indique le règlement de copropriété ; qu'elles disposent d'ouvertures sur l'extérieur et qu'elles ont fait l'objet d'un aménagement convenable pour l'habitation conformément à la jurisprudence en la matière du Conseil d'Etat ; que les conditions de mise en oeuvre de l'article L.43 du code de la santé publique alors en vigueur n'étaient en conséquence pas réunies ; qu'elle a dû, suite à cette mise en demeure, engager des frais de procédure d'expulsion ; qu'elle subit un manque à gagner du fait que les chambres ne peuvent être affectées à un autre usage que la location en meublé ; que les locaux en cause subissent une dépréciation de leur valeur vénale ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire enregistré le 15 mai 2000, présenté par le ministre de l'intérieur ;
Le ministre informe la Cour que seul le ministre de l'emploi et de la solidarité est compétent pour défendre les intérêts de l'Etat dans cette affaire qui relève du code de la santé publique ;
Vu la télécopie du mémoire en défense, enregistrée le 24 juillet 2000 et l'original de ce mémoire enregistré le 27 juillet 2000, présentés par le ministre de l'emploi et de la solidarité ;
Le ministre demande à la Cour le rejet de la requête ;
Il soutient que la législation mise en oeuvre en l'espèce étant totalement indépendante de celle qui fixe les règles de construction, la prescription prévue à l'article 2262 du code civil ne peut être opposée à l'Etat en l'espèce ; que l'arrêt de la cour d'appel invoqué n'est pas applicable à Mme X, a prononcé une relaxe au bénéfice du doute sans contenir aucune affirmation sur la matérialité des faits, et est entaché d'une erreur de droit manifeste ; qu'il n'est en conséquence pas revêtu de l'autorité de la chose jugée ; que les locaux litigieux ont le caractère de sous-sol malgré ce qui est indiqué au règlement de copropriété ; que les sous-sols, même convenablement aménagés, ne perdent pas leur caractère de sous-sol au sens de l'article L.43 du code de la santé publique alors en vigueur ;
Vu le mémoire en réplique enregistré le 24 novembre 2000, présenté pour Mme X par Me DEMAY ;
Mme X persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ;
Elle soutient en outre qu'en l'espèce, la légalité de la mise en demeure est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale et que dans ce cas l'autorité de la chose jugée s'étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal ; qu'en matière pénale, l'autorité de la chose jugée n'est pas limitée aux parties en cause mais a un caractère absolu ; que même les décisions de relaxe prononcées au motif que les faits ne sont pas établis s'imposent au juge administratif ; qu'une décision judiciaire rendue à tort est également revêtue de l'autorité de la chose jugée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 avril 2003 :
- le rapport de M. POCHERON, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. BEDIER, premier conseiller ;
Sur la légalité de la mise en demeure en date du 19 février 1990 du préfet des Alpes-Maritimes :
Considérant qu'aux termes de l'article L.43 du code de la santé publique alors en vigueur : Toute personne qui aura mis à disposition, à titre gratuit ou onéreux, aux fins d'habitation, des caves, sous-sols, combles, et pièces dépourvues d'ouverture sur l'extérieur et qui n'aura pas déféré dans le délai d'un mois à la mise en demeure du préfet de mettre fin à cette situation sera passible des peines édictées au dernier alinéa de l'article L.45. ;
Sur la prescription :
Considérant qu'aux termes de l'article 2262 du code civil : Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre, ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. ;
Considérant que la prescription ainsi définie ne saurait être utilement opposée à une mesure prise en application des dispositions précitées de l'article L.43 du code de la santé publique, qui sont des dispositions pénales du code de la santé publique ;
Sur l'autorité de la chose jugée au pénal :
Considérant que l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions ; que, toutefois, il en va autrement lorsque la légalité d'une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servant de fondement à cette décision constituent une infraction pénale ; que, dans cette hypothèse, l'autorité de la chose jugée s'étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal ;
Considérant que la mise en demeure du préfet des Alpes-Maritimes en date du 19 février 1990 enjoignant à l'intéressée de mettre fin aux locations de trois logements sis dans l'immeuble Le Clair Juan, boulevard Wilson à Antibes Juan les Pins dans un délai d'un mois à compter de sa notification sous peine d'amendes et d'emprisonnement est intervenue en application des dispositions précitées de l'article L.43 du code de la santé publique ; qu'il résulte de ces dispositions que la légalité de l'arrêté du préfet était subordonnée à la condition que la location des quatre chambres en cause ait été constitutive d'une infraction pénale ;
Considérant toutefois que si, par un arrêt du 7 avril 1994 la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a prononcé la relaxe des fins de poursuite dirigées contre M. Y, qui possède et exploite des logements dans le même immeuble et dans les mêmes conditions que Mme X, au motif que, contrairement à la citation du parquet, les dispositions de l'article L.43 du code de la santé publique alors en vigueur étaient ainsi rédigées : ...Des caves, sous-sols, combles et pièces dépourvus d'ouverture sur l'extérieur..., cette décision ne s'impose aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne la constatation des faits retenus par le juge répressif et à l'égard des personnes visées par ladite décision ; qu'elle ne fait pas obstacle à ce que le préfet ait mis en demeure Mme X, en application de l'article L.43 du code de la santé publique précité, de mettre fin dans un délai d'un mois à la mise à disposition aux fins d'habitation des trois chambres dont elle était propriétaire, quand bien même ces chambres étaient situées dans le même immeuble et au même niveau que les locaux appartenant à M. Y ; que Mme X ne se prévaut d'aucune décision de justice relative à ses propres biens et à ses propres agissements ; que le moyen qu'elle entend tirer de l'autorité de la chose jugée au pénal ne peut donc qu'être écarté ;
Sur la légalité de la décision au regard de l'article L.43 du code de la santé publique :
Considérant qu'il ressort du rapport du 2 octobre 1989 du service communal d'hygiène et de santé de la ville d'Antibes que les chambres dont Mme X était propriétaire au niveau du rez-de-jardin, comme indiqué dans le règlement de copropriété, de l'immeuble Le Clair Juan, à Antibes, disposaient d'appareils sanitaires vétustes, que leur état général était médiocre, qu'il existait de l'humidité par endroits et qu'elles n'étaient desservies que par un cabinet d'aisances commun à huit chambres occupées par vingt-cinq personnes ; qu'elles n'avaient pas fait en conséquence l'objet d'un aménagement convenable pour l'habitation ; que, bien que comportant une ouverture sur l'extérieur, et qu'une partie de leur hauteur se trouve au-dessus du niveau du sol comme le précise la lettre du 4 décembre 1989 du même service, les locaux en cause avaient le caractère de sous-sols au sens des dispositions précitées de l'article L.43 du code de la santé publique ;
Considérant que le préfet était légalement tenu en vertu de ces dispositions de déclarer ces locaux impropres à être mis à disposition aux fins d'habitation ; que, par suite, Mme X n'est fondée par aucun moyen à en invoquer l'illégalité ;
Sur les conclusions aux fins d'indemnité :
Considérant que la mise en demeure du 19 février 1990 du préfet des Alpes-Maritimes contestée étant légale, les conclusions de Mme X tendant à la condamnation de l'Etat du chef de cette décision ne peuvent qu'être rejetées ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes ;
Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à Mme X la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme Geneviève X est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Geneviève X et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
Délibéré à l'issue de l'audience du 8 avril 2003, où siégeaient :
M. BERNAULT, président de chambre,
M. DUCHON-DORIS, président assesseur,
M. POCHERON, premier conseiller,
assistés de Mme GIORDANO, greffier ;
Prononcé à Marseille, en audience publique le 6 mai 2003.
Le président, Le rapporteur,
Signé Signé
François BERNAULT Michel POCHERON
Le greffier,
Signé
Danièle GIORDANO
La République mande et ordonne au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
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N° 00MA00565