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03/07/2025 | FRANCE | N°24LY01936

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 03 juillet 2025, 24LY01936


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



Mme H... G... ..., agissant en qualité de représentante légale de son fils C... F... D... ... ainsi qu'en son nom propre, et M. A... B..., agissant en sa qualité de père de cet enfant, ont demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier d'Auxerre à verser une somme de 2 317 750 euros à Mme H... G... I... en réparation des préjudices de C... F... D... ... consécutifs à sa prise en charge hospitalière, ainsi qu'une somme de 10 000 euros

à Mme H... G... I... et une même somme de 10 000 euros à M. A... B..., en réparation du préju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... G... ..., agissant en qualité de représentante légale de son fils C... F... D... ... ainsi qu'en son nom propre, et M. A... B..., agissant en sa qualité de père de cet enfant, ont demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier d'Auxerre à verser une somme de 2 317 750 euros à Mme H... G... I... en réparation des préjudices de C... F... D... ... consécutifs à sa prise en charge hospitalière, ainsi qu'une somme de 10 000 euros à Mme H... G... I... et une même somme de 10 000 euros à M. A... B..., en réparation du préjudice moral de chacun d'eux, et de mettre à la charge du centre hospitalier les dépens constitués par les frais d'expertise.

Par un jugement n° 2201770 du 17 mai 2024, le tribunal administratif de Dijon a condamné le centre hospitalier d'Auxerre à verser une somme de 1 500 euros à Mme I... en sa qualité de représentante légale de C... ..., a mis à la charge du centre hospitalier les frais et honoraires de l'expertise taxés à la somme de 2 277,44 euros ainsi qu'une somme de 1 200 euros au titre des frais de procès et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 juillet 2024, Mme I..., agissant en qualité de représentante légale de son fils C... B... ainsi qu'en son nom propre, et M. A... B..., agissant en qualité de père de C... B..., représentés par Me Sando, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2201770 du 17 mai 2024 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Auxerre à verser une somme de 2 317 750 euros, outre intérêts, à Mme I..., en sa qualité de représentante légale de son fils C... B... ;

3°) de condamner le centre hospitalier d'Auxerre à verser, outre intérêts, une somme de 10 000 euros à Mme H... G... I... et une somme de 10 000 euros à M. A... B..., en réparation du préjudice moral de chacun d'entre eux ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier les dépens constitués par les frais d'expertise ainsi qu'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le centre hospitalier d'Auxerre a commis une faute dans la prise en charge de C... ... le 5 janvier 2021 car les douleurs intenses qu'il ressentait, apparues après 19 heures le même jour, étaient la manifestation, non de l'orchiépididymite alors diagnostiquée, mais d'une torsion du cordon spermatique, diagnostiquée tardivement le 9 janvier suivant, alors qu'elle avait causé la nécrose du testicule gauche, laquelle a entraîné l'ablation de cet organe ;

- les préjudices de C... ... s'élèvent aux montants suivants :

* perte de gains professionnels futurs : 2 160 000 euros ;

* souffrances endurées : 25 000 euros ;

* préjudice d'agrément : 20 000 euros ;

* préjudice esthétique : 8 000 euros ;

* préjudice d'établissement : 80 000 euros ;

* déficit fonctionnel permanent : 24 750 euros ;

- Mme I... et M. B... sont affectés par la situation de leur fils, exposé à un risque de stérilité, et inquiets à l'idée de ne pas avoir de petits-enfants, ce qui est constitutif d'un préjudice moral.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 février 2025, le centre hospitalier d'Auxerre, représenté par le cabinet d'avocats Le Prado - Gilbert, conclut au rejet de la requête.

Le centre hospitalier fait valoir que :

- l'erreur de diagnostic commise le 5 janvier 2021 n'est pas à l'origine de l'ablation du testicule gauche, encourue dès cette première consultation en raison du délai supérieur à six heures qui s'était alors écoulé depuis les premiers signes douloureux de la torsion du cordon spermatique, délai durant lequel cette torsion a généré la nécrose de cet organe devant conduire à son ablation, laquelle a dû être effectuée le 10 janvier suivant ;

- seuls les préjudices en lien avec le retard de traitement de la torsion du cordon spermatique gauche peuvent être indemnisés, à savoir la persistance de douleurs et de l'inflammation du testicule gauche ressenties par la victime entre le 5 et le 10 janvier 2021 ;

- s'agissant de la victime : le préjudice pour perte de gains professionnels futurs n'est pas imputable au retard fautif, alors au surplus qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que C... ... se destinait à une carrière de joueur de rugby professionnel ; il en est de même du préjudice esthétique permanent, du préjudice d'agrément, du préjudice d'établissement, au surplus incertain, et du déficit fonctionnel permanent, lequel, en tout état de cause, ne saurait être évalué au-delà de 4 000 euros ; le préjudice pour souffrances endurées et le préjudice esthétique temporaire ont été justement indemnisés par les premiers juges par l'allocation d'indemnités de montants respectifs de 1 000 euros et 500 euros ;

- le préjudice moral des parents, incertain, est également lié à l'ablation en cause.

Vu les autres pièces du dossier.

Par une ordonnance du 22 janvier 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 février 2025.

Vu

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 16 juin 2025 :

- le rapport de M. Gros, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Sando représentant les requérants.

Considérant ce qui suit :

1. Le 10 janvier 2021, C... ..., alors âgé de onze ans et cinq mois, a subi une orchidectomie unilatérale gauche au centre hospitalier d'Auxerre. Après qu'un expert, chirurgien urologue, désigné à la demande des parents par le président du tribunal administratif de Dijon, a rendu son rapport, ceux-ci, Mme H... G... I... et M. A... B..., ont recherché devant ce tribunal la responsabilité de l'établissement en raison des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale, tant au profit de leur fils, sollicitant le versement d'une indemnité d'un montant total de 2 317 750 euros, que pour eux-mêmes, sollicitant le versement à chacun d'une indemnité de 10 000 euros. Par le jugement attaqué du 17 mai 2024, le tribunal a seulement accordé une indemnité de 1 500 euros destinée à C... ... et a mis à la charge de cet établissement les frais et honoraires de l'expertise du 25 février 2022.

Sur le principe de la responsabilité du centre hospitalier d'Auxerre et l'étendue du préjudice indemnisable :

2. Aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

3. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que l'enfant C... ..., qui se plaignait de douleurs aux testicules, a été conduit par ses parents au service des urgences pédiatriques du centre hospitalier d'Auxerre dans la soirée du mardi 5 janvier 2021. Le médecin de garde, après avoir constaté une hypertrophie du testicule gauche, qui était douloureux, et une inflammation de l'épididyme et du cordon spermatique, a, évoquant une orchiépididymite, prescrit la prise du médicament Augmentin pendant quinze jours et délivré une ordonnance pour une échographie. Les douleurs persistant, l'enfant a de nouveau, dans la soirée du samedi 9 janvier 2021, été présenté à ce service, où une hospitalisation est décidée. Une échographie réalisée le lendemain relève un testicule et un épididyme gauches " avasculaires avec spire de torsion testiculaire " compatible avec une " torsion testiculaire gauche passée ", à la suite de quoi, le même jour, est pratiquée une orchidectomie de ce testicule, les conclusions de l'échographie étant alors confirmées par le constat d'un testicule gauche ischémique et noirâtre, cette ablation s'avérant nécessaire.

4. La torsion du cordon spermatique était, comme en l'espèce, un diagnostic devant être prioritairement posé, et pouvait l'être sans difficulté, chez un garçon de l'âge de C... ..., au vu d'un testicule gauche hypertrophié et très algique à la palpation et d'un épididyme inflammatoire. Le diagnostic d'orchiépididymite posé le 5 janvier 2021 était par conséquent erroné, ce qui n'est pas contesté par le centre hospitalier, et cette erreur constitue une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement.

5. Cependant, ouvre droit à réparation le dommage corporel résultant de manière directe et certaine de la faute commise par le service public hospitalier. Dans le cas où celle-ci a compromis les chances d'un patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de cette faute et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. Selon l'expert judiciaire, une torsion du cordon spermatique, inopinée et brutale, doit, sauf détorsion spontanée, conduire à une intervention chirurgicale pour détordre le cordon et fixer le testicule, et cette intervention doit être réalisée d'urgence dans les six heures suivant l'apparition des signes douloureux. Passé ce délai, la viabilité du testicule est compromise et l'évolution tend rapidement vers une nécrose complète et irréversible, imposant l'amputation de cet organe. Il résulte de l'instruction, en particulier du même rapport d'expertise, que l'enfant C... ..., accompagné de ses parents, a été pris en charge le mardi 5 janvier 2021, à 22 heures 51, par le service des urgences pédiatriques du centre hospitalier d'Auxerre. L'infirmière d'accueil a noté une douleur testiculaire, et un œdème testiculaire, ayant débuté le dimanche précédent, épisodique mais augmentée et persistante depuis ce même 5 janvier. Le médecin interne de garde, qui a vu l'enfant à 23 heures 14, rapporte une douleur brutale aux testicules dans la nuit du dimanche 3 janvier, ayant réveillé l'enfant, qui a pu se rendre à l'école le lendemain mais au prix d'une douleur à la marche, accentuée depuis l5 heures ce 5 janvier 2021. Cette date de début des douleurs le dimanche 3 janvier 2021 est encore mentionnée le 9 janvier suivant par le chirurgien urologue qui a réalisé l'orchidectomie en cause. Enfin, l'enfant a indiqué à l'expert judiciaire une apparition des douleurs vers 1 heure du matin dans la nuit du dimanche 3 au lundi 4 janvier 2021. Ces déclarations concordantes, recueillies par les professionnels de santé, témoignent d'une survenue des douleurs lors de cette nuit, vers 1 heure, douleurs qui se sont accrues les jours suivants. Ainsi, lorsque l'enfant a été accueilli au service des urgences pédiatriques du centre hospitalier, le 5 janvier 2021, à 22 heures 51, le délai écoulé depuis la survenue des douleurs ne permettait plus de préserver le testicule gauche, qui s'est révélé nécrosé le 10 janvier 2021. Il en aurait été de même en cas d'une survenue des douleurs vers 1 heure du matin dans la nuit du lundi 4 au mardi 5 janvier 2021, date alléguée par les parents de C... B..., et d'une prise en charge hospitalière le 5 janvier à 20 heures, qui serait le moment auquel sa mère l'aurait conduit au centre hospitalier. Par conséquent, l'erreur de diagnostic fautive commise le 5 janvier 2021 par les praticiens du centre hospitalier n'a pas eu d'effets sur l'évolution de l'état de santé de C... ..., lequel présentait déjà à ce moment une nécrose irréversible du testicule entraînant son ablation, autres qu'une poursuite des douleurs testiculaires jusqu'au 10 janvier suivant, quand cette ablation a été effectuée. Ainsi, la faute n'a pas occasionné à C... ... de perte de chance d'échapper à l'orchidectomie en cause.

Sur les préjudices :

7. Il résulte de ce qui vient d'être dit qu'il n'existe pas de lien de causalité entre les préjudices de C... ... nés de l'amputation de son testicule gauche et sa prise en charge par le centre hospitalier d'Auxerre le 5 janvier 2021. Par suite, le préjudice pour perte de gains professionnels futurs, le préjudice esthétique permanent, le préjudice d'agrément, le préjudice d'établissement et le préjudice pour déficit fonctionnel permanent, qui reposent sur les séquelles de cette amputation, ne peuvent qu'être écartés. Par ailleurs, C... ..., qui aurait dû être hospitalisé dès le 5 janvier 2021 pour que soit déjà pratiquée l'ablation en cause, ne subit pas de déficit fonctionnel temporaire en lien avec la faute retenue.

8. Les requérants sont en revanche fondés à demander l'indemnisation des souffrances subies par C... ... entre le 5 et le 10 janvier 2021 et de son préjudice esthétique temporaire durant cette période, préjudices qui résultent de manière directe et certaine de la faute commise par le centre hospitalier.

9. L'expert a évalué à 0,5 sur une échelle allant de 1 à 7 les souffrances endurées par l'enfant, lesquelles n'ont pas été insuffisamment indemnisées par les premiers juges qui ont fixé à 1 000 euros la somme due à ce titre par le centre hospitalier.

10. Le préjudice esthétique temporaire pendant cette période, où la bourse était très grosse et disgracieuse, également été évalué à 0,5 sur 7, a été justement indemnisé par l'octroi d'une indemnité de 500 euros.

11. Les parents de C... B..., qui redoutent, en raison de l'ablation en cause, de ne pas avoir de petits-enfants, ne subissent pas de préjudice moral généré par le retard de diagnostic fautif imputable au centre hospitalier.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander le rehaussement du montant total de l'indemnité, soit 1 500 euros, que le tribunal a condamné le centre hospitalier d'Auxerre à verser à Mme I... au profit de son fils C... B....

Sur les frais liés au litige :

13. En application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de maintenir à la charge définitive du centre hospitalier d'Auxerre les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Dijon, taxés et liquidés à la somme de 2 277,44 euros.

14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du centre hospitalier d'Auxerre une quelconque somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête présentée par Mme H... G... I... et par M. A... B... est rejetée.

Article 2 : Les dépens, constitués par les frais d'expertise, sont laissés à la charge définitive du centre hospitalier d'Auxerre.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... G... I... et à M. A... B..., au centre hospitalier d'Auxerre et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or. Copie en sera adressée au docteur E..., expert.

Délibéré après l'audience du 16 juin 2025, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2025.

Le rapporteur,

B. Gros

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY01936


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY01936
Date de la décision : 03/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Bernard GROS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SANDO JEAN-CHRYSOSTOME

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-03;24ly01936 ?
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