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19/06/2025 | FRANCE | N°24LY00714

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 19 juin 2025, 24LY00714


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



La société EHPAD Flore a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 16 août 2022 par laquelle le directeur de l'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté et le président du conseil départemental de l'Yonne lui ont notifié des injonctions et prescriptions, la décision par laquelle ces mêmes autorités ont implicitement refusé d'abroger la décision du 17 mai 2022 suspendant l'activité de l'EHPAD Résidence Flore pour une pér

iode de six mois à compter du 18 mai 2022 ainsi que la décision du 18 novembre 2022 par laquelle ce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société EHPAD Flore a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 16 août 2022 par laquelle le directeur de l'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté et le président du conseil départemental de l'Yonne lui ont notifié des injonctions et prescriptions, la décision par laquelle ces mêmes autorités ont implicitement refusé d'abroger la décision du 17 mai 2022 suspendant l'activité de l'EHPAD Résidence Flore pour une période de six mois à compter du 18 mai 2022 ainsi que la décision du 18 novembre 2022 par laquelle ces mêmes autorités ont prononcé la cessation totale et définitive de l'activité de l'EHPAD Flore et abrogé l'autorisation de fonctionnement détenue par la société EHPAD Flore.

Par un jugement n° 2202678-2203086 du 11 janvier 2024, le tribunal administratif de Dijon a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation du refus implicite d'abrogation de la décision du 17 mai 2022, annulé la décision du 16 août 2022 en tant qu'elle notifie à la société EHPAD Flore les injonctions n° 3, 4, 6, 7, 16 et les prescriptions n° 3, 4, 5, 6, 7, 9 et 10 et annulé la décision du 18 novembre 2022.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 15 mars 2024, l'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté, représentée par la SARL ARCHYS Avocats, agissant par Me Francia et Me Pons, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 11 janvier 2024 du tribunal administratif de Dijon en ce que, par son article 2, il a partiellement annulé la décision conjointe du 16 août 2022 et, par son article 3, annulé la décision conjointe du 18 novembre 2022 ;

2°) de rejeter les conclusions en annulation de la société EHPAD Flore ;

3°) de mettre à la charge de la société EHPAD Flore une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'ARS soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- la requête collective enregistrée au greffe du tribunal sous le n° 2202678 était irrecevable car les décisions qu'elle visait ne présentaient pas entre elles de lien suffisant ;

- la mission d'inspection a constaté d'importants dysfonctionnements concernant la gouvernance de l'établissement, le circuit du médicament, la prise en charge des résidents, justifiant la prise de mesures d'urgence (suspension et désignation d'administrateurs provisoires) pour assurer la sécurité des résidents ;

- le délai de deux mois imparti à la société EHPAD Flore pour mettre fin aux dysfonctionnements en se conformant, par la mise en œuvre d'une démarche " proactive ", aux injonctions et prescriptions notifiées par la décision du 16 août 2022, en particulier les injonctions n° 3, 4, 16, était suffisant ;

- les manquements de la société EHPAD Flore sont établis : les faits relatifs à l'isolement d'un résident ont conduit à l'injonction n° 3 proscrivant tout acte de maltraitance portant atteinte à l'intimité, la dignité, la liberté d'aller et venir des résidents et au caractère confidentiel des informations les concernant ; le nombre de couverts ergonomiques était insuffisant au regard de la capacité d'accueil de l'établissement ; l'accès à la salle de repas n'était pas adapté aux résidents en fauteuil roulant ; le protocole de signalement d'évènements indésirables était insuffisant ; la commande de nouvelles tenues pour le personnel n'a pas été démontrée ; des éléments contenus dans le livret d'accueil étaient trompeurs ; le projet d'établissement était insuffisant ;

- la décision de cessation d'activité du 18 novembre 2022 n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation : elle est motivée par l'insuffisance des réponses apportées par la société gestionnaire en matière de prévention de pratiques de maltraitance et de lutte contre de telles pratiques, dont la réalité était niée, d'organisation du personnel de nuit, qui ne permettait pas d'assurer la continuité des soins, de formation obligatoire des personnels de soins, d'identification d'évènements indésirables graves, de sécurisation des locaux, de gestion hôtelière, d'organisation des soins, de projet d'accompagnement personnalisé et de projet d'animation, de projet d'établissement ; la santé, la sécurité et le bien-être des futurs résidents n'étaient ainsi pas garantis en cas de reprise ; en n'effectuant pas les diligences pour mettre un terme aux dysfonctionnements relevés, la société gestionnaire a perdu la confiance des autorités compétentes ;

- la décision implicite de refus d'abrogation de la décision de suspension du 17 mai 2022 n'est pas entachée d'erreurs de fait ni d'erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 novembre 2024, la société EHPAD Flore, représentée par la SARL Ariane Benchetrit, agissant par Me Benchetrit, conclut à la confirmation du jugement en tant qu'il annule, par son article 2, les injonctions n° 3, 4, 6, 7, 16 et les prescriptions n° 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10 contenues dans la décision du 16 août 2022 et en tant que, par son article 3, il annule la décision du 18 novembre 2022, et à la mise à la charge de l'ARS Bourgogne-Franche-Comté et du conseil départemental de l'Yonne d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société EHPAD Flore fait valoir que :

- le jugement du 11 janvier 2024 en litige est suffisamment motivé ;

- la décision portant injonctions et prescriptions du 16 août 2022 constituait la suite logique de la décision du 17 mai 2022 suspendant l'activité de l'établissement pendant six mois si bien que la contestation dans une même requête de cette décision du 16 août 2022 et de la décision rejetant implicitement la demande d'abrogation de la suspension, était recevable ;

- le délai de deux mois qui lui avait été imparti pour satisfaire aux injonctions et prescriptions contenues dans la décision du 16 août 2022, lesquelles impliquaient la présence de résidents, n'était pas, de ce fait, raisonnable et elle a répondu à ces injonctions et prescriptions ;

- la décision du 18 novembre 2022 est entachée d'erreurs de fait : le reproche tenant à l'enfermement et à l'isolement d'un résident est infondé ; bien que n'y étant pas tenue par les dispositions de l'article L. 311-3 du code de l'action sociale et des familles, elle a acquis des couverts ergonomiques pour 37 résidents ; ces mêmes dispositions ne contiennent aucune norme relative aux seuils de porte ; le nombre de tenues professionnelles était suffisant ; les erreurs relevées dans le livret d'accueil n'étaient pas davantage de nature à compromettre la sécurité ou le bien-être des résidents ; elle avait défini une méthodologie pour l'élaboration du projet d'établissement 2023/2027 et ne pouvait aller au-delà en l'absence des résidents et de leurs familles ;

- les autorités de contrôle ont commis une erreur d'appréciation : s'agissant des personnels, décrits à l'article D. 312-155-0 du code de l'action sociale et des familles, leur nombre dépendant du besoin, les recrutements complémentaires auraient été effectués selon la montée en charge de l'activité de l'établissement à partir de sa réouverture ; des formations étaient prévues pour les nouveaux salariés ; elle avait engagé une réflexion sur la démarche de bientraitance au sein de l'établissement ; l'escalier conduisant au sous-sol est équipé de bandes podotactiles pour les personnes déficientes visuelles, le bâtiment A n'est pas accessible aux résidents et accompagnants et la commission de sécurité et d'accessibilité a émis un avis favorable à la réouverture ; elle assure un suivi des protocoles ;

- les dysfonctionnements caractérisés pouvaient être régularisés à court terme et n'étaient ainsi pas susceptibles de justifier la fermeture totale et définitive prononcée par la décision du 18 novembre 2022 ;

- la décision implicite de rejet de sa demande d'abrogation de la mesure de suspension, née le 5 octobre 2022, est entachée d'une erreur de fait car, à cette date, il avait été procédé au recrutement d'un médecin coordonnateur, de trois infirmières, dont une coordinatrice, de trois aides-soignantes, d'une directrice à temps partiel et d'une stagiaire de direction à temps plein et des actions avaient été entreprises en matière d'installation, d'organisation et de fonctionnement de l'établissement, la situation étant radicalement différente de celle existant au 17 mai 2022 ; en particulier, des procédures de prévention de la maltraitance et de promotion de la bientraitance existent désormais, ; les résidents évacués n'étaient pas dénutris, hormis deux, en lien avec leur pathologie ; les accès ont été sécurisés ; ainsi, au 5 octobre 2022, et alors qu'elle n'a découvert les éléments motivant l'urgence qu'au 13 juillet 2022, date de notification du pré-rapport d'inspection, il ne persistait aucun dysfonctionnement grave dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes menaçant leur santé et leur bien-être ;

- la décision implicite du 5 octobre 2022 est illégale en raison de l'illégalité de la décision du 17 mai 2022, laquelle apparaît disproportionnée au regard des diligences qu'elle a depuis effectuées.

Vu les autres pièces du dossier.

Par une ordonnance du 12 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 12 décembre 2024.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gros, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- les observations de Me Francia, représentant l'ARS ;

- et les observations de Me Coiral, représentant la société EHPAD Flore.

Considérant ce qui suit :

1. La société EHPAD Flore avait été autorisée, par un arrêté pris conjointement le 28 décembre 2016 par le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne Franche-Comté et le président du conseil départemental de l'Yonne, à gérer un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Résidence Flore, situé sur le territoire de la commune de Saint-Agnan, d'une capacité de trente-trois places d'hébergement complet et quatre places d'hébergement temporaire pour les personnes souffrant de maladie d'Alzheimer ou apparentées. A la suite d'une visite d'inspection conduite les 11 et 12 mai 2022 sur le fondement de l'article L. 313-13 du code de l'action sociale et des familles, ces autorités ont décidé, le 17 mai 2022, de suspendre l'activité de cet établissement à compter du 18 mai 2022 pour une durée de six mois, sur le fondement du dernier alinéa du I de l'article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles, et de le placer sous administration provisoire pendant une période maximum d'un mois aux fins de procéder au transfert de l'ensemble des résidents vers d'autres établissements. Le 9 juin 2022, la société EHPAD Flore a demandé au directeur général de l'ARS de retirer la décision de suspension du 17 mai 2022 avant de lui demander, ainsi qu'au président du conseil départemental de l'Yonne, le 1er août 2022, d'abroger cette décision. Ces deux autorités ont, par un courrier du 16 août 2022, adressé à la société, en application de l'article L. 313-14 du code de l'action sociale et des familles, vingt-deux injonctions, dix prescriptions et une recommandation, issues du rapport de la mission d'inspection, à satisfaire dans un délai de deux mois. Estimant qu'il n'avait pas été remédié aux manquements constatés et que la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies et accompagnées restaient susceptibles, en cas de réadmission de résidents dans l'établissement, d'être menacés ou compromis, ces autorités ont, par une décision du 18 novembre 2022, prise sur le fondement du premier alinéa du I de l'article L. 313-16 et de l'article L. 313-18 du code de l'action sociale et des familles, prononcé la cessation totale et définitive de l'activité de l'établissement et abrogé l'autorisation qui avait été accordée à la société EHPAD Flore. L'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté relève appel du jugement du 11 janvier 2024 en tant que le tribunal a partiellement annulé la décision du 16 août 2022 et a annulé la décision du 18 novembre 2022. La société EHPAD Flore conclut quant à elle au maintien de ce dispositif du jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Pour écarter la fin de non-recevoir opposée par l'ARS Bourgogne Franche-Comté, les premiers juges, après avoir détaillé, au point 1 du jugement en litige, le déroulé des décisions et demandes qui ont suivi l'inspection des 11 et 12 mai 2022, parmi lesquelles la demande du 2 août 2022 d'abrogation de la décision de suspension du 17 mai 2022 formulée par la société EHPAD Flore et la décision attaquée du 16 août 2022 portant injonctions, prescriptions et recommandation, et après avoir rappelé, aux points 3 et 4, le cadre juridique applicable au litige, ont estimé, au point 8 du jugement, que la décision du 16 août 2022 et la décision implicite de refus d'abrogation de la suspension présentaient entre elles un lien suffisant, pour pouvoir être contestées dans une même requête. Le jugement attaqué se trouve ainsi suffisamment motivé.

Sur la recevabilité de la requête de première instance n° 2202678 :

4. Il résulte des dispositions du I de l'article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles qu'une décision de suspension des activités d'un EHPAD peut être prononcée lorsque le gestionnaire n'a pas satisfait aux injonctions qui lui ont été adressées en application de l'article L. 313-14 du même code mais peut aussi, en cas d'urgence, précéder le prononcé de telles injonctions, comme cela a été le cas en l'espèce. Il s'ensuit que la décision portant injonctions, prescriptions et recommandation du 16 août 2022 et la décision née le 5 octobre 2022 du refus implicite opposé à la demande d'abrogation de la décision de suspension du 17 mai 2022, présentaient entre elles un lien suffisant pour pouvoir être contestées dans la même requête enregistrée au greffe du tribunal sous le n° 2202678. Cette requête était, dès lors, recevable.

Sur la décision portant injonctions et prescriptions du 16 août 2022 :

5. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'action sociale et des familles : " I. - Lorsque les conditions d'installation, d'organisation ou de fonctionnement de l'établissement (...) méconnaissent les dispositions du présent code ou présentent des risques susceptibles d'affecter la prise en charge des personnes accueillies ou accompagnées ou le respect de leurs droits, l'autorité compétente (...) peut enjoindre au gestionnaire d'y remédier, dans un délai qu'elle fixe. Ce délai doit être raisonnable et adapté à l'objectif recherché (...) ".

6. La décision en litige du 16 août 2022 notifiait à la société EHPAD Flore vingt-deux injonctions non levées, numérotées 1, 3 à 7, 10 à 25, dix prescriptions numérotées 1 à 10 et une recommandation, en lui impartissant un délai de deux mois pour y satisfaire. A la date de cette décision l'établissement n'accueillait plus de personnes âgées, les résidents présents au moment de l'inspection des 11 et 12 mai 2022 ayant, dans les suites de la décision de suspension du 17 mai 2022, rejoint d'autres établissements. Or, certaines injonctions et mesures qu'elles contiennent et certaines prescriptions pouvaient paraître nécessiter, pour qu'il y soit satisfait, la présence de résidents, lesquels ne pouvant de nouveau être accueillis qu'à compter du 18 novembre 2022, terme de la période de suspension de six mois, le délai de deux mois prescrit par la décision du 16 août 2022 n'aurait en conséquence pas été raisonnable ni adapté à l'objectif poursuivi par ces injonctions, mesures et prescriptions. Ainsi en est-il de la mesure intitulée " Disposer des prescriptions de contention pour chaque résident, discutées et actualisées en équipe pluri-professionnelle ", contenue dans l'injonction n° 3, des mesures intitulées " Procéder à un contrôle par un dentiste de l'état dentaire des résidents ainsi qu'au remplacement des dentiers qui ne sont plus à la taille ", " Mise à disposition d'une collation la nuit pour chaque résident " et " Peser les résidents une fois par mois et plus sur prescription ou état aigu ", contenues dans l'injonction n° 4, de l'injonction n° 6 intitulée " Tenir à jour le registre des entrées et sorties des personnes accueillies ", de l'injonction n° 7 imposant de revoir, et d'afficher, le règlement de fonctionnement de l'établissement, document établi après consultation du conseil de la vie sociale, lequel comprend, en application de l'article D. 311-5 du code de l'action sociale et des familles, deux représentants des résidents, des mesures contenues dans l'injonction n° 16 imposant la communication des évènements indésirables graves à l'administration et au conseil de la vie sociale, de la prescription n° 3, portant sur le fonctionnement du conseil de la vie sociale, de la prescription n° 4 portant sur l'élaboration du projet d'établissement, laquelle nécessite, en application de l'article L. 311-8 du code de l'action sociale et des familles, la consultation du conseil de la vie sociale, de la prescription n° 5, relative au double contrôle des piluliers, de la prescription n° 6, portant sur le respect des rythmes d'administration des traitements, de la prescription n° 7, relative au contrôle et à la traçabilité des administrations des médicaments et des refus de prise, de la prescription n° 9, relative à l'obligation d'un avis médical pour qu'un patient puisse seul gérer son traitement et de la prescription n° 10, relatif au respect de la forme galénique des médicaments. Toutefois, cet ensemble d'injonctions et de prescriptions n'avaient pas tant pour objet la mise en œuvre immédiate des mesures correspondantes, que la définition d'un plan d'action permettant cette mise en œuvre dès la réouverture de l'établissement, à la fin de la période de suspension. Dans ces conditions, le délai de deux mois imparti à la société EHPAD pour satisfaire à ces injonctions et prescriptions était suffisant. Par suite, l'ARS est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a annulé les injonctions n° 3, 4, 6, 7, 16 et les prescriptions n° 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10 contenues dans la décision du 16 août 2022 au motif qu'en l'absence de résidents, ce délai de deux mois ne permettait pas de satisfaire à ces injonctions et prescriptions.

7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par la société EHPAD Flore devant le tribunal et la cour, à l'encontre de cette décision du 16 août 2022.

8. Comme il a été exposé au point 6, le délai de deux mois imparti à la société EHPAD Flore pour se conformer aux injonctions n° 3, 4, 6, 7, 16 et aux prescriptions n° 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10 était suffisant. Le délai de deux mois s'appliquait également à la société EHPAD Flore pour satisfaire aux injonctions n° 1 (production de documents demandés), n° 5 (proscription de la maltraitance dans la prise en charge des résidents incontinents par la formation d'un personnel référent et la constitution d'un stock de changes), n° 8 et 9 (mise en place d'une direction qualifiée), n° 10 (constituer une équipe pluridisciplinaire qualifiée pour assurer la continuité des soins), n° 11 (recrutement d'un médecin coordonnateur), n° 12 (disposer d'un dossier de soins infirmiers complet et actualisé), n° 13 (soins et nursing réalisés par un personnel infirmier), n° 14 (définition d'une organisation permettant un accompagnement individualisé des résidents), n° 15 (plan de formation des personnels), n° 17 (définition d'une politique de lutte contre la maltraitance), n° 18 (fourniture de tenues aux personnels), n° 19 (aménagement des locaux adaptés à la prise en charge de la personne dépendante), n° 20 (définition d'une procédure d'admission du résident), n° 21 (définition d'une prise en charge d'urgence), n° 22 (convention avec une pharmacie à compléter), n° 23 et 24 (administration de certains traitements par un personnel infirmier), n° 25 (stockage sécurisé des médicaments), de la prescription n° 1 (élaboration du livret d'accueil), n° 2 (recueil du consentement éclairé du futur résident) et n° 8 (protocoles médicaux destinés au personnel infirmier). Ce délai de deux mois prévu pour l'exécution de ces injonctions et prescriptions apparaissait également raisonnable et adapté à l'objectif poursuivi et n'était donc pas insuffisant.

9. La circonstance que, postérieurement à la décision du 16 août 2022, la société EHPAD Flore a satisfait à des injonctions et prescriptions qui lui avaient alors été adressées et que certaines injonctions et prescriptions ont été levées, est sans effet sur la légalité de la décision du 16 août 2022 qui s'apprécie à la date de son édiction.

Sur la décision du 18 novembre 2022 portant cessation d'activité de l'établissement :

10. Aux termes de l'article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles : " I. -Lorsque la santé, la sécurité, ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies ou accompagnées sont menacés ou compromis, et s'il n'y a pas été remédié dans le délai fixé par l'injonction prévue à l'article L. 313-14 (...), l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation peut décider la suspension ou la cessation de tout ou partie des activités de l'établissement (...) ".

11. La décision du 18 novembre 2022 attaquée repose sur le motif général que la société EHPAD Flore n'a pas " satisfait aux injonctions " ni " remédié aux manquements en cause " et n'a pas " fait la preuve de sa capacité à se saisir de la situation et que par voie de conséquence, la santé, la sécurité, le bien-être physique et moral des personnes accueillies et accompagnées sont susceptibles d'être menacés ou compromis par lesdits dysfonctionnements et compromettent toute reprise d'activité et de réadmission de résidents ". A la date de cette décision l'ARS avait maintenu 16 injonctions sur les 22 notifiées le 16 août 2022, ayant levé les injonctions n° 13, 20, 22, 23, 24, 25 et avait maintenu 5 prescriptions sur les 10 notifiées le 16 août 2022, ayant levé les prescriptions n° 5, 6, 7, 9, 10.

12. Pour annuler la décision du 18 novembre 2022, les premiers juges, après avoir relevé un nombre insuffisant de personnel qualifié, un manque de tables pouvant être réglées à la hauteur des résidents, un défaut de sécurisation d'un escalier, des erreurs matérielles dans certains protocoles et un règlement de fonctionnement non signé, ont estimé que, s'agissant du personnel, tenant compte de l'absence de résidents et de l'incertitude pesant sur la reprise de l'activité, et au vu d'un calendrier de reprise progressive d'activité élaboré par la société EHPAD Flore et des diligences effectuées par cette dernière pour remédier aux nombreux dysfonctionnements relevés par la mission d'inspection, ces manquements étaient régularisables, sans compromettre ou menacer la santé, la sécurité, ou le bien-être physique ou moral des futurs résidents. Ils ont estimé que les autres manquements étaient aisément ou à court terme régularisables.

13. Or, concernant le recrutement et la formation de personnels, objets des injonctions n° 10, 15 et, pour partie, 21, il ressort des pièces du dossier qu'au 28 octobre 2022, le personnel de l'établissement, suite à des recrutements effectués durant la période de suspension, comprenait une directrice à mi-temps, un médecin coordonnateur à quart de temps, une infirmière coordinatrice, un infirmier et une infirmière devant prendre leurs fonctions à la réouverture de l'établissement, dix personnels chargés de fonctions d'aide aux soins et quatre aides-soignants en milieu hospitalier/agent de service hôtelier (ASH) chargés de l'hygiène et du confort des résidents. Parmi les dix personnels chargés de l'aide aux soins, seuls cinq étaient diplômés aides-soignantes et aide-soignant (AS), le reste de l'effectif étant constitué par une aide médico-psychologique (AMP) et quatre auxiliaires de vie sociale (AVS). Aucune formation n'avait été engagée ou programmée aux fins de faire acquérir à ces personnels la qualification d'aide-soignant requise pour l'exercice de leurs fonctions, l'une de ces AVS n'ayant été admise en institut de formation ad hoc que le 22 novembre 2022, postérieurement à la décision attaquée. Ces mêmes dix agents chargés de l'aide aux soins ont été tardivement inscrits, le 3 août 2022, à une formation aux gestes et soins d'urgence, devant se dérouler du 19 au 21 décembre 2022. Enfin, à la date de la décision, aucun psychologue n'avait été recruté, l'offre d'emploi ayant été publiée le 22 novembre 2022, alors que ce membre de l'équipe pluridisciplinaire, cosignataire du projet d'accompagnement personnalisé de chaque résident et pouvant dans ce cadre être désigné référent d'un résident devait, dans le cadre du projet d'animation 2022/2027, développer les activités thérapeutiques et en établir le planning, pour le troisième trimestre 2023, mettre en place des activités visant à favoriser l'autonomie du résident, pour le quatrième trimestre 2023, et, au surplus, établir, avec les aides-soignants, un planning des moments festifs, pour le troisième trimestre 2023 et créer un café mensuel pour les familles, pour le 1er trimestre 2023. Cette équipe, qui, ainsi, n'était pas constituée de manière pluridisciplinaire, tel que décrit au II de l'article D. 312-155-0 du code de l'action sociale et des familles, ne permettait pas de reprendre l'activité au 18 novembre 2022, fin de la suspension, et d'assurer la continuité de soins, la sécurité et le bien-être des résidents, même dans le cadre d'une admission progressive de nouveaux résidents, au nombre de trois la première semaine de réouverture pour atteindre le chiffre de trente-sept, maximum autorisé par l'autorisation, la seizième semaine suivant la réouverture, selon le calendrier projeté par la société EHPAD Flore.

14. S'agissant de la sécurité des locaux, les travaux effectués, consistant à revêtir les paliers d'escalier de bandes podotactiles, à différencier par des couleurs des marches de certains escaliers et à installer une barrière de sécurité à usage pédiatrique, étaient insuffisantes pour répondre à la situation des résidents âgés ayant des difficultés motrices et visuelles.

15. Par suite, l'ARS est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a, pour les motifs qu'il a retenus exposés au point 12, annulé la décision du 18 novembre 2022.

16. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par la société EHPAD Flore devant le tribunal et la cour, à l'encontre des autres manquements reprochés dans cette décision du 18 novembre 2022.

17. Les manquements exposés au point 13, qui révèlent que la société EHPAD Flore, laquelle bénéficiait d'un agrément pour l'accueil de 37 personnes âgées dépendantes, n'avait pas été en capacité de constituer une équipe pluridisciplinaire en vue de la réouverture de l'établissement, quel qu'aurait pu être le nombre de personnes accueillies à cette réouverture, et n'avait ainsi pas satisfait aux injonctions n° 10 et 15 et, pour partie, 21, justifiaient à eux seuls la décision de cessation totale et définitive d'activité prononcée le 18 novembre 2022.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement du 11 janvier 2024 du tribunal administratif de Dijon doit être annulé en ce qu'il a, par son article 2, annulé les injonctions n° 3, 4, 6, 7, 16 et les prescriptions n° 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10 contenues dans la décision du 16 août 2022 et en ce qu'il a, par son article 3, annulé la décision du 18 novembre 2022.

Sur les frais de l'instance :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes des parties tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2202678 - 2203086 du 11 janvier 2024 du tribunal administratif de Dijon sont annulés.

Article 2 : La demande de la société EHPAD Flore présentée devant le tribunal administratif de Dijon tendant à l'annulation des décisions du 16 août 2022 et du 18 novembre 2022 est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'agence régionale de santé Bourgogne-Franche-Comté, à la société EHPAD Flore et au département de l'Yonne.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2025, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président-assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2025.

Le rapporteur,

B. Gros

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N° 24LY00714 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY00714
Date de la décision : 19/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

04-03-01-05 Aide sociale. - Institutions sociales et médico-sociales. - Établissements - Questions communes. - Établissements d'hébergement des personnes âgées, des adultes handicapés.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Bernard GROS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : MUSSET & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-19;24ly00714 ?
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