Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A..., agissant en son nom propre et en qualité d'ayant droit de sa sœur décédée Mme C... B..., a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner, d'une part, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon à lui verser la somme de 50 205,85 euros et, d'autre part, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 12 551,46 euros, en réparation des préjudices liés à la prise en charge hospitalière de sa sœur.
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme a présenté des conclusions tendant à ce que le CHU de Dijon soit condamné à lui verser la somme de 58 678,20 euros, outre intérêts au taux légal, au titre de ses débours, ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n° 2100209 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Dijon a condamné, d'une part, le CHU de Dijon à verser à Mme A... la somme de 15 687,76 euros en qualité d'ayant droit de sa sœur et la somme de 8 334,08 euros au titre de ses préjudices propres, d'autre part, l'ONIAM à verser à Mme A... la somme de 3 921,94 euros en qualité d'ayant droit de sa sœur et la somme de 2 083,52 euros au titre de ses préjudices propres, et, enfin, le CHU de Dijon à verser à la CPAM du Puy-de-Dôme la somme de 46 942,56 euros, outre intérêts au taux légal et l'indemnité forfaitaire de gestion.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire enregistrée le 29 août 2023, ensemble un mémoire ampliatif enregistré le 6 octobre 2023, le CHU de Dijon, représenté par le Cabinet Le Prado - Gilbert, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2100209 du 29 juin 2023 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de rejeter les conclusions indemnitaires formées à son encontre par Mme D... A... et la CPAM du Puy-de-Dôme.
Le CHU de Dijon soutient que :
- le jugement n'est pas motivé ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu la qualité de Mme A... à agir comme héritière de Mme B... ;
- subsidiairement, les sommes auraient dû être versées à la succession de Mme B... ;
- il n'a commis aucune faute dans la prise en charge de la patiente.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 mars 2024, la CPAM du Puy-de-Dôme, représentée par la SELARL BdL Avocats, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge du CHU de Dijon sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La CPAM du Puy-de-Dôme soutient que :
- c'est à juste titre que le tribunal a retenu la responsabilité partielle du CHU de Dijon ;
- elle est fondée à faire valoir ses débours, dont elle justifie.
Par un mémoire enregistré le 11 avril 2024, l'ONIAM, représenté par la SELARL de La Grange et Fitoussi, conclut :
1°) à l'annulation du jugement ;
2°) subsidiairement, à la réduction des montants qu'il a été condamné à verser à Mme A... ;
3°) à ce que le CHU de Dijon soit condamné à le garantir des condamnations prononcées à son encontre ;
4°) à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge du CHU de Dijon sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'ONIAM soutient que :
- Mme A... ne justifie pas de sa qualité d'héritière et ne peut donc obtenir réparation au titre des préjudices de sa sœur ;
- il ne conteste pas le droit à indemnisation par la solidarité nationale, dans la limite de 20 % ;
- subsidiairement, si une indemnisation devait être accordé au-delà de cette proportion de 20 %, le CHU de Dijon devrait être condamné à le garantir sur le fondement de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique ;
- les préjudices ont été évalués de façon excessive.
Par ordonnance du 14 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 15 avril 2024 à 16h30. Par ordonnance du 11 avril 2024, la clôture d'instruction a été reportée au 16 mai 2024 à 16h30.
Par courrier du 28 août 2024, les parties ont été informées, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour est susceptible de se fonder sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce que les conclusions présentées par l'ONIAM sont tardives et dès lors irrecevables.
Par un mémoire enregistré le 3 septembre 2024, l'ONIAM, représenté par la SELARL de La Grange et Fitoussi, répond au moyen d'ordre public en soutenant que son appel, enregistré avant la clôture de l'instruction, est incident et ne peut donc être tardif.
Mme A... a été régulièrement mise en cause et la SELAS Bexxis legal s'est constituée pour son compte le 22 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale, ensemble l'arrêté du 15 décembre 2023 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2024 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur ,
- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née le 30 mars 1943, a été opérée au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon le 13 juin2016. Elle a été victime d'une infection nosocomiale par staphylocoque doré, dont elle est décédée le 2 juillet 2017. Par le jugement attaqué du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Dijon a jugé que le CHU avait commis une faute dans la prise en charge de la patiente qui lui avait fait perdre 80 % de chance d'éviter le décès. Il a par ailleurs jugé que, pour le surplus, l'ONIAM était tenu à indemnisation sur le fondement de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique. Le tribunal a en conséquence, d'une part, condamné le CHU de Dijon à indemniser, dans une proportion de 80 %, Mme A..., sœur de la victime, qui agissait à titre personnel et comme ayant-droit de la victime, ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme et, d'autre part, condamné l'ONIAM à indemniser Mme A... dans une proportion de 20 %.
Sur la régularité du jugement :
2. Contrairement à ce que soutient le CHU de Dijon, le tribunal a régulièrement motivé le jugement.
Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires de Mme A... :
3. D'une part, le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause. Si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers. Lorsque la victime a subi avant son décès des préjudices pour lesquels elle n'a pas bénéficié d'une indemnisation, les droits à indemnisation dont elle disposait à la date du décès sont transmis à ses héritiers en application des règles du droit successoral résultant du code civil.
4. D'autre part, aux termes de l'article 731 du code civil : " La succession est dévolue par la loi aux parents et au conjoint successibles du défunt dans les conditions définies ci-après ". Aux termes de l'article 732 du même code : " Est conjoint successible le conjoint survivant non divorcé ". Enfin, aux termes de l'article 734 du même code : " En l'absence de conjoint successible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu'il suit : / 1° Les enfants et leurs descendants ; / 2° Les père et mère ; les frères et sœurs et les descendants de ces derniers (...) ".
5. Mme A... a formé des conclusions indemnitaires dirigées contre le CHU de Dijon en invoquant, non seulement ses préjudices propres, mais également les préjudices de la victime directe et en faisant valoir à cet égard sa qualité d'ayant droit. Toutefois, le CHU de Dijon fait valoir que Mme B... était mariée et que son époux survivant avait ainsi la qualité d'héritier, ce qui exclut que Mme A... puisse être regardée comme ayant la qualité d'héritière en application des règles du droit successoral résultant du code civil au seul motif qu'elle était la sœur de la victime. Mme A... n'a d'ailleurs produit aucun élément précis de nature à corroborer sa qualité alléguée d'héritière. Le CHU de Dijon est en conséquence fondé à soutenir que Mme A... ne justifie pas de sa qualité à faire valoir les préjudices de Mme B... décédée, tels qu'ils sont entrés dans sa succession, mais pouvait uniquement faire valoir les préjudices propres qu'elle a subis en tant que victime par ricochet.
Sur le surplus des conclusions du CHU de Dijon :
6. Il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise diligentée par le juge des référés du tribunal que Mme B... a dû être opérée pour un triple pontage coronarien. Une infection a été identifiée très précocement au vu d'un écoulement dans les jours ayant suivi l'intervention, le germe staphylocoque doré ayant été identifié dès le 9 août. L'expert souligne, sans être sérieusement contredit, que la fragilité de la patiente en raison notamment d'une immunosuppression chronique et la virulence du germe auraient dû conduire à une reprise chirurgicale rapide associée à une antibiothérapie parentérale prolongée, cette indication ayant été donnée par des infectiologues sans être mise en œuvre. L'expert souligne que le seul traitement local par antiseptiques associés à des antibiotiques oraux était manifestement insuffisant pour traiter une infection sévère et profonde. Cette prise en charge insuffisante de l'infection, inadaptée au vu des informations disponibles, constitue une faute de nature à engager la responsabilité du CHU de Dijon. Il n'est pas contesté qu'elle a fait perdre à Mme B... une chance d'échapper à l'aggravation de son état que l'expert évalue, sans être sérieusement contredit, à 80 %.
7. Il résulte de ce qui précède que le CHU de Dijon est uniquement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon l'a condamné à indemniser entre les mains de Mme A... les préjudices de Mme B... et non les seuls préjudices propres de Mme A....
Sur les conclusions de l'ONIAM :
8. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 (...) ".
9. Il résulte de l'instruction que le jugement du tribunal administratif de Dijon a été notifié à l'ONIAM, par l'application Télérecours, le 29 juin 2023 à 16h43. Ses conclusions d'appel n'ont été présentées que par un mémoire enregistré le 11 avril 2024 à 10h47, soit postérieurement à l'expiration du délai d'appel. Le litige soulevé par l'ONIAM, qui porte sur la condamnation prononcée à son encontre, est distinct du litige soulevé par le CHU de Dijon, qui ne porte que sur la condamnation prononcée à l'encontre de ce dernier. Par ailleurs, le présent arrêt, en tant qu'il statue sur les conclusions du CHU de Dijon, n'est pas susceptible d'aggraver la situation de l'ONIAM. Les conclusions de l'ONIAM doivent, en conséquence, être rejetées comme tardives et par suite irrecevables.
Sur les dépens :
10. Il y a lieu en l'espèce de maintenir les dépens à la charge partagée du CHU de Dijon pour 80 % et de l'ONIAM pour 20 %.
Sur les frais de l'instance :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2100209 du 29 juin 2023 du tribunal administratif de Dijon est annulé en tant qu'il condamne le CHU de Dijon à verser à Mme A... la somme de 15 687,76 euros en qualité d'ayant droit de Mme B....
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Dijon, à Mme D... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
M. Gros, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.
Le rapporteur,
H. Stillmunkes
Le président,
F. Pourny
La greffière,
B. Berger
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY02772