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15/07/2024 | FRANCE | N°23LY02993

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 15 juillet 2024, 23LY02993


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... épouse B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), ou subsidiairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne, à leur verser, en réparation de préjudices consécutifs à une prise en charge hospitalière de Mme B..., les sommes respectives de 775 632,46 euros pour Mme B... et de 10

000 euros pour M. B..., toutes ces sommes portant intérêt au taux légal.



Par un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... épouse B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), ou subsidiairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne, à leur verser, en réparation de préjudices consécutifs à une prise en charge hospitalière de Mme B..., les sommes respectives de 775 632,46 euros pour Mme B... et de 10 000 euros pour M. B..., toutes ces sommes portant intérêt au taux légal.

Par un jugement avant-dire droit n° 1708212 du 21 mai 2019, le tribunal administratif de Lyon a diligenté une expertise.

Par un jugement n° 1708212 du 18 juillet 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande et mis les dépens à la charge de M. et Mme B....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 septembre 2023, Mme A... B..., représentée par Me Paquet-Cauet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1708212 du 18 juillet 2023 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner l'ONIAM ou subsidiairement le CHU de Saint-Etienne à lui verser la somme de 725 667,31 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2015 pour ce qui concerne l'ONIAM ou à compter du 4 août 2017 en ce qui concerne le CHU de Saint-Etienne, ainsi qu'une rente trimestrielle de 9 384 euros, en réparation de préjudices consécutifs à sa prise en charge hospitalière ;

3°) de condamner l'ONIAM ou subsidiairement le CHU de Saint-Etienne à verser à M. B... une somme de 10 000 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2015 pour ce qui concerne l'ONIAM, ou à compter du 4 août 2017 en ce qui concerne le CHU de Saint-Etienne ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 5 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme B... soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité pour dénaturation des pièces du dossier et erreur d'appréciation ;

- il ressort des différentes expertises qu'il existe un lien de causalité direct et certain entre la paralysie fonctionnelle de son membre supérieur gauche (algodystrophie) et la pose d'un cathéter veineux au niveau de son poignet gauche au service de cardiologie du CHU de Saint-Etienne, le 11 octobre 2013 ;

- une neuropathie post-traumatique suite à une atteinte du nerf radial entrainant une impotence fonctionnelle totale d'un membre supérieur fait partie des risques exceptionnels liés à la pose d'un cathéter veineux périphérique ; il s'agit d'un aléa thérapeutique au sens du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

- elle ne présente, en tout état de cause, aucun antécédent psychiatrique de nature à expliquer la survenue de l'algodystrophie dont elle souffre ;

- le critère de l'anormalité des dommages prévu par les dispositions de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique est par ailleurs rempli puisque le taux de son déficit fonctionnel permanent a été évalué à 30 % par l'expert, qu'elle a été placée en arrêt de travail consécutivement à l'accident médical, a été déclarée inapte à poursuivre son activité professionnelle antérieure et n'a jamais repris d'activité professionnelle ;

- la circonstance qu'en dépit des douleurs et des plaintes exprimées dès la pose du cathéter le 12 octobre 2013, ce dernier soit resté en place jusqu'au 15 octobre suivant, a été de nature à aggraver les conséquences du traumatisme initial ; en conséquence, elle a été victime d'un retard fautif dans sa prise en charge médicale par le CHU de Saint-Etienne qui justifie une indemnisation sur le fondement du I de l'article L. 1142 du code de la santé publique ;

- elle est fondée à demander l'indemnisation :

* de ses frais divers à hauteur de 2 237,74 euros ;

* de ses besoins d'assistance par une tierce personne à hauteur de 10 876,56 euros avant consolidation ;

* de ses pertes de gains professionnels à hauteur de 9 954 euros jusqu'à la date de consolidation ;

* de son déficit fonctionnel temporaire à hauteur de 12 050 euros ;

* des souffrances endurées à hauteur de 50 000 euros et de son préjudice esthétique temporaire à hauteur de 10 000 euros ;

* de ses besoins d'assistance par une tierce personne à compter de la date de consolidation à hauteur de 278 937,30 euros jusqu'au 31 décembre 2023 et par le versement d'une rente trimestrielle de 9 384 euros à compter du 1er janvier 2024 ;

* de la perte de ses gains professionnels futurs à hauteur de 6 417,50 euros entre le 12 février 2013 et le 1er janvier 2016 et par le versement d'un capital de 166 611,71 euros pour la période ultérieure ;

* de son déficit fonctionnel permanent à hauteur de 150 000 euros ;

* de son préjudice esthétique permanent à hauteur de 20 000 euros ;

* de son préjudice d'agrément à hauteur de 5 000 euros ;

* de son préjudice sexuel à hauteur de 10 000 euros ;

- M. B..., son époux, justifie de troubles dans ses conditions d'existence et d'un préjudice moral lui ouvrant droit à réparation, qui doivent être évalués à 10 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 janvier 2024, l'ONIAM, représenté par la SELARLU RRM agissant par Me Roquelle-Meyer, conclut au rejet de la requête.

L'ONIAM soutient que :

- contrairement à ce que soutient Mme B..., aucun diagnostic certain n'a été posé s'agissant de sa pathologie ; en effet, aucune séquelle neurologique de la lésion initiale de la branche superficielle du nerf radial n'a pu être objectivée et aucun élément somatique n'explique l'impotence fonctionnelle du membre supérieur gauche dont elle souffre ;

- en conséquence, il ne peut être retenu de lien de causalité direct et certain entre l'impotence fonctionnelle dont souffre Mme B... et un acte de soins ; il s'agit d'un mécanisme psychologique dont la cause n'a pu être établie ;

- en outre, la seule symptomatologie de la douleur causée par la pose du cathéter à raison d'une irritation de la branche superficielle du nerf radial ne remplit pas les critères d'anormalité susceptibles d'ouvrir droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ;

- l'existence d'une maladresse engageant la responsabilité du CHU de Saint-Etienne, excluant toute indemnisation au titre de la solidarité nationale, est en outre susceptible d'être retenue.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er mars 2024, le CHU de Saint-Etienne, représenté par le Cabinet Le Prado - Gilbert, conclut au rejet de la requête.

Le CHU de Saint-Etienne soutient que :

- l'expertise n'a retenu aucun manquement qui lui serait imputable dans la réalisation ou le suivi de l'acte de pose d'un cathéter ;

- la requérante ne saurait se prévaloir d'aucune présomption de faute ;

- en tout état de cause la responsabilité du CHU sera écartée à raison de l'absence de lien de causalité direct et certain entre les conditions de la prise en charge de la patiente et les complications qu'elle a subies, les examens médicaux n'ayant pas permis d'identifier de cause organique dans l'origine de ces complications ni d'établir avec certitude un diagnostic ;

- en tout état de cause, les frais exposés pour une minerve et un manchon ne sauraient ouvrir droit à indemnisation dès lors qu'ils n'ont pas été retenus par l'expert et les frais de déplacements ne présentent pas de lien direct et certain avec le manquement imputé au centre hospitalier ;

- l'intervention d'une infirmière, à raison de 10 heures par semaine, ne peut être prise en compte pour l'évaluation de l'indemnisation au titre de l'assistance par une tierce personne dès lors qu'elle est prise en charge par l'assurance maladie et le versement d'une prestation de compensation du handicap doit être pris en compte pour l'évaluation de ce chef de préjudice ;

- aucune indemnisation ne saurait être allouée au titre des pertes de gains professionnels dès lors que Mme B... n'exerçait aucune activité à la date de l'intervention ; en tout état de cause les indemnités journalières qui lui ont été versées pour la période du 14 octobre 2013 au 8 août 2014 doivent être déduites ;

- les demandes présentées au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire sont excessives ;

- au regard de l'expertise, aucune indemnisation au titre de l'assistance par une tierce personne ne saurait être allouée pour la période postérieure à la consolidation ; au surplus les sommes demandées à ce titre sont excessives ;

- les demandes présentées au titre du déficit fonctionnel permanent, du préjudice esthétique et du préjudices sexuel sont surévaluées ;

- aucune indemnisation ne saurait être allouée au titre du préjudice d'agrément.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, régulièrement mise en cause, n'a pas produit.

Par ordonnance du 8 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 8 mars 2024 à 16h30.

Par un courrier du 31 mai 2024, la cour a demandé à Mme B..., sur le fondement des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, de justifier, s'agissant de la prestation de compensation du handicap, du montant des aides perçues pour la période du 28 février 2018 à ce jour ou, le cas échéant, qu'elle n'a plus perçu d'aide à ce titre postérieurement au 28 février 2018, s'agissant de l'allocation adulte handicapé, de la date d'attribution de cette allocation et des montants perçus à ce titre depuis cette date ainsi que du montant actuel de cette allocation, enfin, s'agissant de la pension d'invalidité des montants perçus à ce titre depuis le 1er janvier 2016 et du montant actuel de cette pension.

Par des courriers du 12 juin 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires présentées par Mme B... pour le compte de son époux dès lors qu'elle n'a pas qualité pour présenter de telles conclusions.

Par un courrier du 13 juin 2024, Mme B... a produit les pièces qui lui ont été demandées le 31 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gidon, substituant Me Paquet-Cauet, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Le 12 octobre 2013, Mme B..., née le 18 octobre 1968, a subi, dans le cadre d'une hospitalisation au CHU de Saint-Etienne justifiée par un bilan d'hypertension artérielle sévère, la pose d'un cathéter sur une veine du bord radial du poignet gauche, cette voie veineuse visant à mettre en place un traitement antihypertenseur. Dans les suites de cette hospitalisation, la persistance de douleurs à la main gauche a justifié une consultation aux urgences du centre hospitalier de Montbrison le 21 octobre 2013 à la suite de laquelle un traitement anti-douleur neuropathique lui a été prescrit. Par la suite, Mme B... a présenté une évolution défavorable de son état de santé avec une rétractation des doigts de la main gauche sur la paume et de l'ensemble du membre supérieur gauche en triple flexion et des douleurs d'ensemble du membre irradiant au cou. Imputant ces complications à sa prise en charge au CHU de Saint-Etienne, Mme B... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) le 24 avril 2015. Au vu de l'expertise réalisée le 2 novembre 2015, la CCI a, par un avis du 9 décembre 2015, considéré, d'une part, qu'aucune faute n'était imputable au CHU de Saint-Etienne et, d'autre part, qu'aucun lien de causalité direct et certain ne pouvait être retenu entre l'acte de soin effectué au cours de la prise en charge hospitalière de Mme B... et la survenue de la complication affectant son membre supérieur gauche. Les demandes indemnitaires préalables adressées par Mme B... au CHU de Saint-Etienne et à l'ONIAM le 4 août 2017 ont fait l'objet de décisions implicites de rejet. Par un jugement avant dire droit du 21 mai 2019, le tribunal administratif de Lyon a ordonné une expertise médicale et le rapport d'expertise a été déposé le 21 mars 2023. Par un jugement du 18 juillet 2023, dont Mme B... interjette appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande indemnitaire présentée par Mme B... et son époux.

Sur la régularité du jugement :

2. Mme B... soutient que les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur d'appréciation en considérant, compte tenu notamment du caractère normal de l'ensemble des examens somatiques et de l'absence de toute séquelle au niveau du site de pose du cathéter, qu'aucun lien de causalité direct et certain entre la paralysie fonctionnelle de son membre supérieur gauche et l'acte médical de pose d'un cathéter n'était établi et que les seuls symptômes liés à l'irritation temporaire du nerf radial ne remplissaient pas le critère d'anormalité de nature à lui ouvrir droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale. Cependant, ces moyens, qui se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal, ne sont pas de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué. Il en est de même du moyen tiré de l'erreur d'appréciation qu'aurait commise le tribunal administratif de Lyon en jugeant qu'aucun manquement fautif n'était imputable au CHU de Saint Etienne.

Sur le principe de responsabilité :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) "

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise judiciaire, confirmant sur ce point l'analyse de l'expert désigné par la CCI, que le choix de la localisation de la pose du cathéter veineux au bord radial du poignet gauche, qui est réservée en cas d'échec des ponctions veineuses au pli du coude ou au dos de la main, résulte des difficultés de ponction veineuse existant de manière chronique chez la patiente et qu'aucune faute dans le choix de cette procédure ou dans sa réalisation n'est imputable au CHU. Mme B... soutient que le CHU a maintenu le cathéter en fonctionnement malgré la douleur exprimée et a tardé à prendre en charge les symptômes douloureux. Cependant l'expert indique qu'il ressort du dossier médical communiqué par le centre hospitalier que si la pose du cathéter a été effectué le 12 octobre 2013, Mme B... ne s'est plainte de douleurs qu'à compter du lundi 14 octobre 2013 vers 21h, que le lendemain matin, 15 octobre à 6h, la voie veineuse a été repiquée et un pansement alcoolisé a été effectué puis renouvelé dans la journée, qu'il a été précisé que les doigts étaient œdématiés et le médecin informé, que le 16 octobre 2013 la main a été de nouveau décrite comme douloureuse et les doigts gonflés, un traitement par paracétamol étant noté comme efficace, que ce même jour, la voie veineuse périphérique a été abandonnée suite à une sortie de veine et une impossibilité de repiquer, le médecin interne étant informé de cette situation, que le 17 octobre 2013 des pansements ont été réalisés puis que jusqu'au 19 octobre 2013, date de la sortie de Mme B..., aucun problème de douleur à la main ou au poignet n'ont plus été retranscrits. Il résulte de ces informations que Mme B... a fait l'objet d'une prise en charge attentive et conforme aux bonnes pratiques. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir qu'un manquement fautif dans la prise en charge de ces symptômes douloureux, de nature à aggraver la complication dont elle a été victime, serait imputable au CHU.

5. Dans ces conditions, aucune faute médicale n'est susceptible d'engager la responsabilité du CHU de Saint-Etienne.

Sur le droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale :

6. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. ". Aux termes de l'article D. 1142-1 de ce code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence."

7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 21 mars 2023, que Mme B... a présenté, dans le mois qui a suivi sa prise en charge au CHU de Saint-Etienne, un blocage complet des articulations du membre supérieur gauche, de l'épaule jusqu'aux doigts, avec une attitude en triple flexion du bras gauche, plaqué contre le tronc et la main fermée avec un pouce incarcéré. L'expert indique qu'il existe une impotence fonctionnelle et une hypoesthésie totale de ce membre qui n'est pas d'origine neurologique et ne correspond à aucune atteinte organique. Il précise que si Mme B... a, selon toute probabilité, été victime d'une atteinte de la branche superficielle du nerf radial au moment de la pose du cathéter au CHU de Saint-Etienne le 12 octobre 2013 et que cette lésion initiale a été à l'origine des douleurs constatées dans les jours qui ont suivis, aucune séquelle neurologique n'a pu par la suite être objectivée par les examens pratiqués, notamment les IRM, depuis la fin de son hospitalisation. Il ajoute que si le geste médical a pu être à l'origine d'une irritation temporaire de la branche sensitive du nerf radial gauche, il n'est cependant à l'origine d'aucune lésion séquellaire définitive. Il en conclut que la complication présentée par Mme B... constitue un phénomène exceptionnel de survenance d'un trouble fonctionnel à symptomatologie somatique, sans explication organique, faisant suite à un acte de soin et en lien direct et certain avec cet acte de soin. Ces conclusions sont, sur ce point, concordantes avec celles de l'expert désigné par la CCI qui relevait l'existence d'" une hémianesthésie gauche clairement inorganique " et concluait à l'existence d'un syndrome douloureux régional complexe associant une composante psychogène, survenu à la suite du traumatisme imputable à la ponction veineuse et aboutissant à un tableau clinique de membre supérieur gauche figé, constitutif d'un aléa thérapeutique. Si les experts mentionnent que la complication dont a été victime Mme B... recèle une composante psychogène en l'absence d'explication somatique, une telle circonstance n'est pas à elle seule de nature à exclure que cette complication demeure en lien direct avec l'acte de soin en cause; et si la possibilité d'une cause extérieure d'origine psychiatrique a été évoquée, outre que le sapiteur psychiatre n'a relevé aucun antécédent ou cause de cette nature chez Mme B..., cette hypothèse n'est pas davantage, par elle-même, de nature à exclure le maintien d'un lien direct avec l'acte de soin, le droit à réparation de la victime ne pouvant être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection dont elle est atteinte n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable.

8. Il résulte de l'expertise judiciaire du 21 mars 2023 que le déficit fonctionnel de Mme B... résultant de l'impotence totale de son membre supérieur gauche a été évalué à 30 % à la date de l'expertise, que l'exercice de l'activité professionnelle d'aide-soignante en Ehpad n'a plus été possible du fait de cette pathologie et que Mme B... a été placée en invalidité à compter du 1er janvier 2016. Dans ces conditions, les critères de gravité mentionnés à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique étant remplis, les dommages subis par Mme B... du fait de la complication survenue doivent être indemnisés au titre de la solidarité nationale.

Sur les préjudices de Mme B... :

En ce qui concerne la consolidation :

9. Si l'expertise du 21 mars 2023 mentionne que la situation clinique de Mme B... s'est " chronicisée " rapidement, puisque l'impotence fonctionnelle était déjà présente un mois après l'acte de soin en cause, et qu'elle n'a pas évoluée depuis, l'expert relève cependant que, sur le plan organique, " il n'y a pas d'impossibilité à reprendre une motricité active du membre supérieur gauche en l'absence de troubles neurologiques avérés " et que, sur le plan psychiatrique, il s'agit d'une symptomatologie fonctionnelle susceptible de régresser, sans qu'il soit possible de déterminer un profil évolutif précis. Dans ces conditions, les préjudices directement liés au fait générateur ne présentent pas un caractère certain pour l'avenir, l'état de santé de Mme B... étant susceptible d'amélioration. Dès lors, aucune date de consolidation de son état de santé ne peut être retenue et, par suite, Mme B... ne peut prétendre qu'à l'indemnisation de ses préjudices temporaires, arrêtés à la date du présent arrêt, l'indemnisation de ses éventuels préjudices temporaires et permanents pour la période postérieure au présent arrêt devant dès lors être subordonnée à une nouvelle réclamation auprès de l'ONIAM.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des frais divers :

10. Mme B... a droit au remboursement des honoraires de son médecin conseil pour un montant de 1 001,06 euros qui est justifié par la production d'une facture d'honoraires établie le 28 avril 2022. Elle justifie par ailleurs de frais de déplacement à Fréjus, pour la réalisation, à la clinique Esterel Orthopédie, d'une orthèse thoraco- brachiale sur mesure en vue de soulager ses douleurs. Ces frais de déplacement, en lien direct avec l'accident médical dont elle a été victime, peuvent être indemnisés à hauteur d'un montant total de 716,78 euros correspondant aux frais de péage et aux frais kilométriques depuis son domicile situé à Montverdun dans le département de la Loire.

S'agissant des dépenses de santé :

11. Mme B... justifie de dépenses pour l'acquisition d'une minerve et d'un manchon respectivement pour un montant de 393 euros et 126,90 euros. Il résulte des pièces produites à l'appui de sa requête que ces dépenses, en lien avec les séquelles résultant de la survenue de l'accident médical dont elle a été victime, n'ont fait l'objet d'aucun remboursement au titre de l'assurance maladie ou de sa complémentaire santé. Dans ces conditions, Mme B... a droit au remboursement de la somme totale de 519,90 euros au titre des dépenses de santé restées à sa charge.

S'agissant de l'assistance par une tierce personne :

12. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, en prenant en compte, sous la forme d'une année portée à 412 jours, les majorations de rémunération dues les dimanches et jours fériés ainsi que des congés payés, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime. En vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il appartient au juge, après avoir évalué le besoin d'aide par une tierce personne et chiffré son coût, de déduire du montant de l'indemnité allouée à la victime au titre de l'assistance par tierce personne les prestations ayant pour objet la prise en charge de tels frais, dès lors qu'aucune disposition particulière ne permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement.

13. En l'espèce, il ressort de l'expertise du 21 mars 2023 que les besoins d'assistance par une tierce personne de Mme B... peuvent être évalués à 12h par semaine pour la toilette, l'habillage, le transport et le ménage depuis le 20 octobre 2013. Il sera fait application d'un taux horaire moyen de 14,50 euros pour toute la période, correspondant à la moyenne du salaire minimum de croissance pour la même période, augmenté des cotisations sociales patronales, en calculant l'indemnisation sur la base d'une année de 412 jours pour tenir compte des dimanches, jours fériés et congés payés. Ainsi du 20 octobre 2013 à la date du présent arrêt, le besoin total d'assistance par une tierce personne doit en conséquence être évalué à 109 912,32 euros.

14. Il y a lieu de déduire les sommes perçues par l'intéressée au titre de la prestation de compensation du handicap, dont il résulte de l'instruction qu'elles s'établissent à 609,20 euros par mois pour la période du 1er mars 2014 au 30 septembre 2014, à 378,11 euros par mois pour la période du 1er octobre 2014 au 28 février 2016, à 75,41 euros par mois pour la période du 1er mars 2016 au 28 février 2018, puis à 153,71euros par mois pour la période du 1er mars 2018 au 28 février 2023, enfin à 100 euros par mois à compter du 1er mars 2023 soit un montant total de 23 374,71 euros perçu à raison de l'aide humaine rendue nécessaire par son état de santé pour la période comprise entre le 20 octobre 2013 et la date du présent arrêt.

15. Il résulte de ce qui précède que doit être mise à la charge de l'ONIAM une somme de 86 537,61 euros, au titre des frais d'assistance tierce personne pour la période du 20 octobre 2013 à la date du présent arrêt.

S'agissant des pertes de gains professionnels :

16. Il résulte de l'instruction qu'avant l'intervention de l'accident médical, Mme B... occupait régulièrement un emploi d'aide-soignante et percevait en moyenne une rémunération annuelle de 17 364 euros, ainsi qu'en attestent les relevés d'imposition produits à l'instance, notamment s'agissant des revenus déclarés au titre des années 2011 et 2012. Il en résulte que, pour la période courant du 20 octobre 2013 à la date du présent arrêt, la perte de revenu estimée de Mme B..., qui n'a pas repris d'activité professionnelle et a été déclaré inapte à compter du 1er janvier 2016, s'élève à la somme de 186 663 euros.

17. Pour l'évaluation de la perte de gains professionnels subie par la requérante, il convient de déduire, d'une part, les sommes allouées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire au titre des indemnités journalières de sécurité sociale soit, du 1er octobre 2013 au 1er janvier 2016, date de sa mise en invalidité, une somme de 23 469,09 euros, d'autre part, une allocation adulte handicapée assortie d'une majoration pour " vie autonome " versées par la caisse d'allocations familiales de la Loire perçue pour la période du 1er février 2018 à la date du présent arrêt, soit la somme totale de 31 913,66 euros, et enfin la pension d'invalidité versée par la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire à compter du 1er octobre 2016, soit une somme totale de 57 498,87 euros jusqu'à la date du présent arrêt.

18. Il résulte de ce qui précède que la perte de revenus temporaires de Mme B... pour la période allant du 20 octobre 2013 à la date du présent arrêt doit être évaluée à la somme totale de 73 781,38 euros.

En ce qui concerne les préjudices extra patrimoniaux :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

19. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 21 mars 2023 que le déficit fonctionnel de Mme B... en lien avec l'accident médical est évalué à 50 % pour la période du 20 octobre 2013 au 9 septembre 2014, puis à 30 % à compter de cette date. Dans ces circonstances, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 20 500 euros jusqu'à la date du présent arrêt, hors préjudice d'agrément et préjudice sexuel.

S'agissant des souffrances endurées :

20. Les souffrances endurées par Mme B... en lien avec l'accident médical subi ont été évaluées à 3 sur une échelle comportant 7 niveaux par l'expert judiciaire. Il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 4 000 euros.

S'agissant du préjudice esthétique :

21. Il résulte du rapport d'expertise que le préjudice esthétique temporaire de Mme B... a été évalué par l'expert judiciaire à 2 sur une échelle comportant 7 niveaux. Il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 2 500 euros.

S'agissant du préjudice d'agrément :

22. Il résulte du rapport d'expertise du 21 mars 2023 que les conséquences de l'accident médical s'opposent depuis plus de 10 ans à ce que Mme B... poursuive ses activités sportives, notamment le sport en salle et la gymnastique, mais qu'elle peut continuer à pratiquer la marche. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'agrément subi jusqu'à la date du présent arrêt en l'évaluant à 1 500 euros.

S'agissant du préjudice sexuel :

23. Il résulte du rapport d'expertise que Mme B..., âgée de 45 ans à la date de la survenue de l'accident médical, a subi un préjudice sexuel important du fait de l'impotence fonctionnelle totale et de l'hypoesthésie de son bras gauche ainsi qu'une perte de libido liée à la dégradation de son image corporelle. Dans ces conditions, il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice jusqu'à la date du présent arrêt en l'évaluant à 5 000 euros.

24. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité allouée à Mme B... pour l'ensemble de ses préjudices s'élève à un montant total de 196 056,73 euros. Cette somme, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 août 2017, date de réception de la demande indemnitaire préalable de Mme B..., doit être mise à la charge de l'ONIAM.

Sur les préjudices de M. B... :

25. Mme B..., faisant seule appel du jugement du 18 juillet 2023, n'a pas qualité pour demander une indemnisation visant à réparer les préjudices personnels de son époux. Par suite, la demande indemnitaire présentée au titre des troubles de toute nature subis par ce dernier dans ses conditions d'existence du fait des conséquences de l'accident médical dont a été victime son épouse sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur les frais d'expertise :

26. En application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme totale de 1 822,80 euros par une ordonnance du 26 avril 2023 de la présidente du tribunal administratif de Lyon, doivent être mis à la charge définitive de l'ONIAM.

Sur les frais d'instance :

27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... dans le cadre de la présente instance et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est condamné à verser à Mme B... une somme de 196 056,73 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 août 2017.

Article 2 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de1 822,80 euros sont mis à la charge définitive de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Article 3 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à Mme B... une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le jugement n° 1708212 du 18 juillet 2023 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne.

Délibéré après l'audience du 1er juillet 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gros, premier conseiller,

M. Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juillet 2024.

La rapporteure,

E. Vergnaud

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY02993


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02993
Date de la décision : 15/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-15;23ly02993 ?
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