Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner solidairement le centre hospitalier de Mâcon et la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation de la perte de chance de prouver qu'une faute serait à l'origine des dommages qu'elle a subis du fait du décès de ses jumelles le 17 mai 2010 en raison de la perte du dossier médical relative à sa prise en charge les 16 et 17 mai 2010.
Par un jugement n° 2102867 du 17 novembre 2022, le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de Mme B....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2022, Mme A... B..., représentée par Me Belleville, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2102867 du 17 novembre 2022 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de condamner solidairement le centre hospitalier de Mâcon et la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser la somme forfaitaire de 20 000 euros en réparation de la perte de chance de prouver qu'une faute serait à l'origine des dommages qu'elle a subis du fait du décès de ses jumelles le 17 mai 2010 en raison de la perte du dossier médical relative à sa prise en charge les 16 et 17 mai 2010 ;
3°) de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier de Mâcon et de la SHAM une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- sa demande de première instance n'était pas tardive dès lors que ses demandes indemnitaires préalables des 17 juin 2021 et 16 septembre 2021 ne portaient pas sur le même fait générateur ;
- son action indemnitaire n'est pas prescrite puisqu'elle n'a eu connaissance de l'incomplétude de son dossier médical que le 25 mai 2019, date de la remise du rapport d'expertise ;
- la perte de son dossier médical relatif à sa prise en charge les 16 et 17 mai 2010 est constitutif d'une faute dans l'organisation du service qui est à l'origine d'une perte de chance d'obtenir réparation de ses préjudices ;
- le préjudice résultant de la perte de son dossier médical pourra être évalué à une somme de 20 000 euros ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2023, le centre hospitalier de Mâcon et la société Relyens Mutual Insurance, venue aux droits de la Société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par le cabinet Le Prado - Gilbert, conclut au rejet de la requête.
Ils soutiennent que :
- à titre principal, la requête est tardive et donc irrecevable ;
- à titre subsidiaire, cette requête est prescrite en application des dispositions de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique ;
- à titre infiniment subsidiaire, la requête est infondée dès lors que la seule circonstance que le dossier médical serait incomplet n'est pas de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier, l'expertise médicale diligentée par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux concluant à l'absence de tout manquement dans la prise en charge médicale de Mme B....
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Dijon qui n'a pas présenté d'observations.
Par une ordonnance du 29 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 octobre 2023 à 16h30.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,
- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née le 30 novembre 1987, enceinte depuis le 10 décembre 2009 et présentant une grossesse gémellaire monochoriale biamniotique, a été admise au service des urgences de la maternité du centre hospitalier de Mâcon le 16 mai 2010 vers 18 heures à raison de contractions. La parturiente étant alors à 24 semaines et 4 jours d'aménorrhée, une perfusion de Tractotile visant à stopper les contractions et à bloquer le travail lui a été administrée. Le 17 mai 2010 elle a été transférée en salle de travail vers 3h du matin et le même jour elle a donné naissance à une première enfant, morte née, à 16h44 puis à une seconde enfant à 17h01 qui est décédée à 18h15. Mme B... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accident médicaux de Bourgogne (CCI) d'une demande d'indemnisation le 24 janvier 2019. Par un avis du 9 juillet 2019, s'appuyant sur un rapport d'expertise du 28 mai 2019, la CCI a écarté la responsabilité du centre hospitalier de Mâcon en estimant qu'aucun lien de causalité n'était établi entre le décès des jumelles et la prise en charge de Mme B... les 16 et 17 mai 2010. Par un courrier du 17 juin 2021 Mme B... a saisi le centre hospitalier de Mâcon d'une demande d'indemnisation du préjudice résultant pour elle d'une perte de chance de se voir indemniser de ses " véritables préjudices " du fait de l'incomplétude du dossier médical transmis à l'expert. Par une décision du 28 juin 2021, le centre hospitalier a rejeté sa demande. Par un courrier du 16 septembre 2021, Mme B... a saisi le centre hospitalier d'une demande d'indemnisation du préjudice résultant pour elle de l'absence de communication de son entier dossier médical. Par un jugement du 17 novembre 2022, dont Mme B... interjette appel, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de son préjudice résultant de la perte d'une chance en raison du caractère incomplet de son dossier médical.
2. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par la CCI et déposé le 28 mai 2019, que Mme B..., présentant une grossesse gémellaire monochoriale biamniotique, a été admise au service des urgences de la maternité de Mâcon le 16 mai 2010, alors qu'elle était à 24 semaines et 4 jours d'aménorrhée, au motif qu'elle présentait plus de dix contractions par jour. L'expertise mentionne que le suivi de la grossesse et la surveillance échographique étaient exempt de toute anomalie et que Mme B... a présenté une complication brutale avec constitution d'un hydramnios aigu chez l'un des deux fœtus qui a entrainé la mise en travail. L'expert indique qu'étant donné le terme très précoce de la grossesse, la prise en charge de Mme B... par le centre hospitalier de Mâcon le 16 mai 2010 a été conforme aux bonnes pratiques puisqu'elle a bénéficié d'une échographie puis d'une perfusion de Tractocile, qui est le produit de référence dans le type de situation présentée par la parturiente, pour stopper les contractions et bloquer le travail. Il précise que la prise en charge active des fœtus inférieurs à 25 semaines d'aménorrhée étant, à l'époque des faits, exceptionnelle et peu répandue, l'absence de transfert immédiat de la parturiente au centre hospitalier de Dijon n'est pas fautive en l'espèce, le service de néonatologie de ce centre hospitalier n'assurant pas la prise en charge active des fœtus très précoces. Il résulte de l'expertise que le travail n'a pu être stoppé malgré l'administration du Tractotile et que l'accouchement est survenu à un terme inférieur à 25 semaines d'aménorrhée, alors que les fœtus présentent à ce stade un taux de survie qui n'est que de l'ordre de 1 %, avec, en outre, un risque de complications néonatales majeur. Bien que l'expert ait relevé l'absence de mentions médicales durant le travail le 17 mai 2010 entre le moment où Mme B... est entrée en salle d'accouchement à 3h du matin et la naissance, le même jour à 16h44 pour le premier bébé et 17h10 pour le deuxième bébé, les informations médicales existantes au dossier lui ont permis d'expliquer la cause de l'accouchement " très prématuré " et le décès des jumelles et d'écarter tout lien de causalité avec un quelconque manquement imputable au centre hospitalier de Mâcon.
Sur la régularité du jugement :
3. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) "
4. La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.
5. En revanche, si une fois expiré ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable. Il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur.
6. Il n'est fait exception à ce qui est dit au point précédent que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation.
7. En l'espèce, il résulte de l'instruction que par un premier courrier du 17 juin 2021, le conseil de Mme B... a adressé une demande indemnitaire au centre hospitalier de Mâcon tendant à la " réparation ", en raison de " l'absence de communication de dossier médical complet ", de sa " perte de chance de se voir indemnisée des véritables préjudices qu'elle a subis depuis le décès de ses jumelles le 17 mai 2010 ". Par une décision du 28 juin 2021, régulièrement notifiée au conseil de la requérante le 6 juillet 2021, ainsi qu'en atteste l'accusé de réception du pli recommandé produit en défense mentionnant les voies et délais de recours, le centre hospitalier de Mâcon a rejeté cette demande. Ainsi le délai de recours dont disposait l'intéressée expirait le 7 septembre 2021 à minuit.
8. Il résulte des termes du courrier du 16 septembre 2021, adressé par le conseil de Mme B... au centre hospitalier de Mâcon que cette dernière entendait, par cette nouvelle demande indemnitaire, solliciter de nouveau l'indemnisation de " la perte de chance " subie en raison du caractère incomplet de son dossier médical. Dans ces conditions, dés lors que ce courrier n'invoquait pas d'autre fait générateur susceptible de fonder la responsabilité du centre hospitalier que celui précédemment invoqué dans sa première demande du 17 juin 2021 et que ce courrier ne saurait être regardé en l'espèce comme demandant la réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, seraient nés, se seraient aggravés ou auraient été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté la première réclamation, la décision du 13 octobre 2021 par laquelle le centre hospitalier de Mâcon a confirmé le rejet de la demande indemnitaire n'a pu avoir pour conséquence de ré ouvrir les délais de recours contentieux dont disposait Mme B....
9. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées par Mme B..., enregistrées au greffe du tribunal de Dijon le 4 novembre 2021, était tardives et par suite irrecevables.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 17 novembre 2022, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. En premier lieu, la présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, les conclusions présentés par Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
12. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soit mis à la charge solidaire du centre hospitalier de Mâcon et de la société Relyens Mutual Insurance, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, la somme demandée sur ce fondement par Mme B....
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Dijon, au centre hospitalier de Mâcon et à la société Relyens Mutual Insurance.
Délibéré après l'audience du 17 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Stillmunkes, président de la formation de jugement,
M. Gros, premier conseiller,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
La rapporteure,
E. Vergnaud
Le président,
H. Stillmunkes
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY03754