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04/07/2024 | FRANCE | N°22LY02508

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 04 juillet 2024, 22LY02508


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les Hospices civils de Lyon à lui verser une somme de 19 822 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des conséquences dommageables de sa prise en charge le 25 septembre 2014 au service de maternité de l'Hôpital Femme Mère Enfant de E....



La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône a demandé la condamnation des Hosp

ices civils de Lyon à lui rembourser une somme de 2 968,92 euros au titre des débours exposés et une somme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les Hospices civils de Lyon à lui verser une somme de 19 822 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des conséquences dommageables de sa prise en charge le 25 septembre 2014 au service de maternité de l'Hôpital Femme Mère Enfant de E....

La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône a demandé la condamnation des Hospices civils de Lyon à lui rembourser une somme de 2 968,92 euros au titre des débours exposés et une somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2008535 du 14 juin 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de Mme B... et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 août 2022, et deux mémoires non communiqués, enregistrés le 6 novembre 2023 à 11h58 et 16h17, Mme D... B..., représentée par la SELAS Agis, agissant par Me Gras, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2008535 du 14 juin 2022 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner les Hospices civils de Lyon à lui verser une somme de 19 822 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des conséquences dommageables de sa prise en charge le 25 septembre 2014 au service de maternité de l'Hôpital Femme Mère Enfant de E... ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner, avant-dire droit, une nouvelle expertise ;

4°) de mettre à la charge des Hospices civils de Lyon une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance, y compris les frais d'expertise.

Elle soutient que :

- la copie du jugement qui lui a été notifiée n'est pas signée et, qu'à défaut de production de la minute du jugement signée, ce dernier devra être annulé pour irrégularité ;

- la procédure d'expertise et le rapport du professeur A... méconnaissent le principe du contradictoire ;

- sa prise en charge par les Hospices civils de Lyon est fautive en raison de la désorganisation du service et d'une absence de surveillance ;

- la manœuvre d'expression abdominale sur le fond utérin pratiquée au cours de l'accouchement, sans son consentement et sans information sur ses conséquences, est contraire aux recommandations de la haute autorité de santé et caractérise une faute ;

- les lésions présentées postérieurement à l'accouchement sont en lien direct avec la pratique fautive de cette manœuvre ;

- les préjudices en lien avec ces fautes peuvent être évalués à :

* 322 euros s'agissant du déficit fonctionnel temporaire ;

* 6 000 euros s'agissant des souffrances endurées ;

* 2 000 euros s'agissant du préjudice d'agrément ;

* 1 500 euros s'agissant du préjudice esthétique permanent ;

* 10 000 euros s'agissant du préjudice sexuel.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2023, les Hospices civils de Lyon, représentés par le cabinet Le Prado - Gilbert, concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- le caractère contradictoire des opérations d'expertise a été respecté ;

- la prise en charge antérieure à l'accouchement est exempte de tout défaut de surveillance et seule l'indisponibilité d'une salle d'accouchement s'est opposée à ce que Mme B... bénéficie d'une péridurale ; Mme B... a en outre bénéficié, postérieurement à l'accouchement, d'un suivi conforme aux bonnes pratiques et de la visite d'un psychologue à deux reprises ;

- Mme B... n'a pas fait l'objet d'un geste d'expression abdominale fautif, mais d'un appui abdominal sus pubien en vue de pratiquer une manœuvre de Mc Roberts, recommandée en cas de dystocie des épaules comme en l'espèce ;

- en outre, Mme B... n'a présenté aucune des complications somatiques décrites comme inhérentes à l'expression abdominale.

Par une ordonnance du 5 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 novembre 2023 à 16h30.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gras, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... B..., née le 18 décembre 1979, enceinte de son deuxième enfant depuis le 29 décembre 2013, a été admise au service de maternité de l'Hôpital Femme Mère Enfant de E..., dépendant des Hospices civils de Lyon (HCL), le 25 septembre 2014 à 6h du matin après une rupture spontanée de la poche des eaux. Elle a été adressée au service de grossesses pathologiques dans l'attente d'un travail spontané. Elle a été transférée en salle d'accouchement à 14h25, alors que la dilatation complète du col de l'utérus s'opposait à la mise en place d'une péridurale. L'expulsion a débuté à 14h40 et l'enfant est né à 14h45. Mme B... a bénéficié de la suture d'une lésion périnéale de premier degré et a regagné son domicile le 29 septembre 2014. Souffrant d'une laxité vaginale et de fuites urinaires, Mme B... a bénéficié, le 22 juin 2016, d'une pose de bandelette sous-urétrale puis d'une vaginoplastie le 22 novembre 2016. Estimant sa prise en charge obstétricale par les HCL non conforme aux bonnes pratiques et en lien avec les dommages corporels subis ultérieurement à son accouchement, Mme B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon d'une demande d'expertise à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 26 janvier 2018. Le professeur A..., expert désigné, a déposé son rapport le 12 août 2019. Par un jugement du 14 juin 2022, dont Mme B... interjette appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de ses préjudices sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, la minute du jugement figurant au dossier de première instance est signée. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier au motif que l'ampliation notifiée ne portait pas de signature manuscrite doit être écarté.

Sur la régularité de l'expertise :

3. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

4. La circonstance que le docteur C..., médecin conseil de Mme B..., n'ait pu assister à l'intégralité de la réunion d'expertise en raison de contraintes personnelles est sans incidence sur la régularité des opérations d'expertise dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'il a pu faire valoir ses observations, notamment par un dire du 26 janvier 2019, auquel l'expert a répondu. Si Mme B... soutient que les documents relatifs à sa prise en charge par les HCL, transmis par ces derniers à l'expert préalablement à la réunion d'expertise, ne lui ont pas été communiqués, il résulte cependant des termes du rapport d'expertise que l'ensemble des éléments du dossier de Mme B... ont pu être consultés et débattus au cours de l'expertise. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégularité des opérations d'expertise doit être écarté.

Sur le principe de responsabilité :

5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I- Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) ".

6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le 25 septembre 2013, Mme B..., enceinte de son deuxième enfant et à plus de 40 semaines d'aménorrhée, a été prise en charge à l'hôpital Femme Mère Enfant de E... peu après 6heures du matin suite à la rupture spontanée de la poche des eaux. Si elle soutient ne pas avoir fait l'objet d'un suivi régulier et conforme aux bonnes pratiques antérieurement à son accouchement, il résulte cependant du rapport d'expertise qu'à son arrivée aux services de maternité, elle présentait un col court ouvert à 1-2 cm et que le monitoring révélait deux contractions par 10 minutes, non douloureuses, qu'après son transfert au service de grossesses pathologiques au 6ème étage, un second monitoring a été effectué par la sage-femme du secteur vers 10heures du matin et que le toucher vaginal n'a pas révélé de modification du col utérin, que la parturiente s'est vu administrer des comprimés de Spafon-Lyoc en deux prises et qu'en fin de matinée, vers 12h30 un nouvel examen du col de l'utérus a été pratiqué et qu'un monitoring en continu a été mis en place, qu'enfin, Mme B... a été transférée en salle d'accouchement à 14h25 lorsque le col utérin était dilaté à 8 cm. Dans ces conditions, aucun manquement aux bonnes pratiques ne peut être retenu dans le suivi et la prise en charge de Mme B... préalablement à son accouchement. L'expert relève en outre que le choix d'une expectative dans l'attente du déclenchement d'un travail spontané était indiqué en l'espèce et que l'absence d'analgésie péridurale résulte de l'absence de disponibilité d'une salle de travail suffisamment tôt dans le processus de l'accouchement en raison d'un pic d'activité qui ne pouvait être anticipé, ce qui ne constitue pas un manquement fautif. Si Mme B... soutient que le défaut de disponibilité d'une salle de travail est lié à un défaut d'organisation du service, elle ne produit aucun élément de nature à l'établir. Dans ces conditions, aucun manquement fautif dans la prise en charge de Mme B... antérieurement à son accouchement ne saurait être retenu.

7. Si Mme B... soutient qu'une manœuvre d'expression abdominale avec appui sur le fond utérin a été effectuée en salle de travail, pour favoriser l'expulsion de l'enfant, la réalité d'un tel geste, que la Haute autorité de santé recommande de ne plus pratiquer depuis 2007 à raison de la fréquence et de la gravité des complications constatées, n'est pas démontrée en l'espèce. En effet, selon l'expert, d'une part, il a été impossible de déterminer à quel moment le geste médical en cause serait survenu, et, d'autre part, les circonstances de réalisation d'un appui abdominal sus pubien dans le cadre d'une tentative de manœuvre de Mac Roberts pour lutter contre une dystocie (difficulté de passage aux épaules), comme en l'espèce, une fois la tête de l'enfant engagée dans le col utérin est conforme aux recommandations médicales. L'expert relève en outre que Mme B... n'a présenté, dans les suites de son accouchement, aucune des complications répertoriées comme étant liées à la pratique d'une expression abdominale et il considère que les douleurs ressenties postérieurement à l'accouchement ne sont pas dissociables des suites normales d'un accouchement sans analgésie péridurale et que les dommages corporels et gynécologiques de Mme B... ultérieurement traités par chirurgie peuvent résulter des suites naturelles d'un second accouchement. Par suite, si la réalisation d'un " appui abdominal sus pubien " n'est pas contestée en l'espèce, un tel geste ne saurait, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme établissant l'existence d'une faute médicale. L'expert précise en outre que si l'extraction instrumentale de l'enfant ou une césarienne n'ont pas été envisagées, de telles pratiques ne se justifiaient pas en l'espèce pour la prise en charge d'une dystocie.

8. Si Mme B... soutient qu'elle n'a pas été informée de la nature du geste pratiqué, de son objet et de ses éventuelles conséquences, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la situation de dystocie non prévisible constatée lors de l'accouchement constituait une urgence dispensant le personnel médical de son obligation d'information.

9. Enfin si Mme B... fait valoir que son suivi post-accouchement n'a pas été diligent au regard des circonstances, il n'est pas contesté qu'elle a bénéficié, durant son séjour de quatre jours à la maternité, de deux visites d'un psychologue ainsi que, après son retour au domicile avec son enfant, de la visite d'une sage-femme.

10. Il résulte de ce qui précède qu'aucune faute de nature à engager la responsabilité des HCL n'a été commise lors de la prise en charge de Mme B... à la maternité de l'hôpital Femme Mère Enfant de E....

Sur les frais liés au litige :

11. En premier lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les frais et honoraires de l'expertise ordonnée le 13 septembre 2018 par le président du tribunal administratif de Lyon, doivent rester à la charge définitive de Mme B... partie perdante.

12. En second lieu, dans les circonstances de l'espèce, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soit mis à la charge des HCL, qui ne sont pas tenus aux dépens, la somme demandée sur ce fondement par Mme B....

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les frais et honoraires d'expertise doivent rester à la charge de Mme B....

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et aux Hospices civils de Lyon.

Copie en sera adressée au professeur A....

Délibéré après l'audience du 17 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

La rapporteure,

E. Vergnaud

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02508


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02508
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;22ly02508 ?
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