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16/05/2024 | FRANCE | N°23LY02020

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 5ème chambre, 16 mai 2024, 23LY02020


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure



Par deux demandes, M. F... C... et Mme B... D... ont demandé chacun au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du 3 mars 2023 par lesquels le préfet de l'Isère a prononcé à leur encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.



Par un jugement n° 2302324, 2302325 du 17 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a, dans un article 2, annulé ces arrêtés et, dans un art

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par deux demandes, M. F... C... et Mme B... D... ont demandé chacun au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du 3 mars 2023 par lesquels le préfet de l'Isère a prononcé à leur encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.

Par un jugement n° 2302324, 2302325 du 17 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a, dans un article 2, annulé ces arrêtés et, dans un article 3, enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de M. C... et Mme D... et de leur délivrer, dans l'attente, des autorisations provisoires de séjour dans des délais respectifs d'un mois et de huit jours à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 15 juin 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler le jugement n° 2302324, 2302325 du 17 mai 2023 susvisé.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français prises à l'encontre de M. C... et Mme D... en méconnaissance de leur droit d'être entendus, dès lors que la demande de rendez-vous sollicitée par M. C... le 23 février 2023 a été adressée après l'expiration du délai visé aux dispositions des articles L. 431-7 et D. 431-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les certificats médicaux produits sont postérieurs aux arrêtés en litige et qu'il n'est pas démontré que l'intéressé ne pourrait bénéficier d'un traitement adapté dans son pays d'origine ;

- les moyens soulevés par les intéressés devant le tribunal ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 11 avril 2024, M. C... et Mme D..., représentés par Me Mathis, concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à l'annulation des arrêtés en litige ;

3°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère de leur délivrer des titres de séjour mention " vie privée et familiale " ou une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

4°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer leur situation dans un délai de huit jours et leur délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail ;

5°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- c'est à bon droit que le premier juge a annulé les arrêtés en litige pour méconnaissance de leur droit d'être entendus ;

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français sont entachées d'un défaut de motivation, d'un défaut d'examen de leur situation et d'erreur de fait ;

- elles méconnaissent les dispositions du 9°) de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;

- les décisions fixant le pays de destination sont illégales en raison de l'illégalité des décisions précédentes ;

- elles sont insuffisamment motivées ;

- elles méconnaissent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- à titre subsidiaire, les décisions portant obligation de quitter le territoire français sont illégales en raison de l'illégalité du refus de séjour opposé à M. C....

M. C... et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 9 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;

- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne C-383/13 du 10 septembre 2013, C-166/13 du 5 novembre 2014 et C-249/13 du 11 décembre 2014 ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. C... et Mme D..., ressortissants arméniens, déclarent être entrés en France le 22 juillet 2022 avec leurs enfants mineurs. Ils ont déposé une demande d'asile le 24 août 2022 laquelle a été définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d'asile par décisions du 21 mars 2023 ainsi que celles présentées pour leurs deux filles mineures. Par arrêtés du 3 mars 2023, pris chacun à leur encontre, le préfet de l'Isère a édicté des décisions portant obligation de quitter le territoire français sur le fondement du 4°) de l'article L. 611-1 du code de l'entée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de trente jours. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a, dans un article 2, annulé ces arrêtés et, dans un article 3, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. C... et Mme D....

Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :

2. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé, notamment par son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013 visé ci-dessus, les auteurs de la directive du 16 décembre 2008, s'ils ont encadré de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants des Etats tiers concernés par les décisions d'éloignement ou de rétention, n'ont pas précisé si et dans quelles conditions devait être assuré le respect du droit de ces ressortissants d'être entendus, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Si l'obligation de respecter les droits de la défense pèse en principe sur les administrations des Etats membres lorsqu'elles prennent des mesures entrant dans le champ d'application du droit de l'Union, il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des Etats tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu. Ce droit, qui se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts, ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

3. Dans le cadre ainsi posé, et s'agissant plus particulièrement des décisions relatives au séjour des étrangers, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans ses arrêts C-166/13 Sophie Mukarubega du 5 novembre 2014 et C-249/13 Khaled Boudjlida du 11 décembre 2014 visés ci-dessus, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

4. Enfin, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 10 septembre 2013 cité au point 2, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

5. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que les requérants auraient été, à un moment de la procédure, informés de ce qu'ils étaient susceptibles de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ou mis à même de présenter des observations, la procédure de demande d'asile n'ayant pas une telle finalité. Dans ces conditions, le préfet de l'Isère a entaché ses décisions d'irrégularité.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a adressé, par l'intermédiaire d'un travailleur social, le 23 février 2023, soit antérieurement aux arrêtés en litige, un courriel aux services préfectoraux de l'Isère afin de se voir délivrer un rendez-vous en vue du dépôt d'une demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade. Il y a fait état d'un " problème de santé grave découvert en France récemment et qui s'aggrave rapidement ". Il produit des certificats médicaux datés des 13 et 18 avril 2023, qui n'ont pas pu être produits à l'appui de ce courriel, indiquant qu'il présente notamment une spondylarthrite axiale ankylosante découverte récemment. Compte tenu des éléments avancés par M. C... tirés de son état de santé et de son aggravation récente dans le courriel susvisé, il en résulte qu'en l'absence de l'irrégularité visée au point 5, la procédure suivie à l'encontre des intéressés pouvait aboutir à un résultat différent. Le préfet de l'Isère n'est pas fondé à se prévaloir à ce titre du non-respect des délais de dépôt d'une demande de titre de séjour prévus aux articles L. 431-2 et D. 431-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui réservent expressément le cas de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé. Le préfet de l'Isère a, dès lors, effectivement privé les intéressés de la possibilité de mieux faire valoir leur défense dans une mesure telle que cette procédure aurait pu aboutir à un résultat différent.

7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les arrêtés en litige, le premier juge s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu.

Sur les conclusions reconventionnelles à fin d'injonction :

8. Eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il n'y a pas lieu d'enjoindre au préfet de l'Isère de délivrer aux intimés un titre de séjour mention " vie privée et familiale ".

Sur les frais liés au litige :

9. M. C... et Mme D... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à leur conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés, sous réserve que Me Mathis renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Mathis la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Mathis renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. C... et Mme D... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. E... et à Mme B... D....

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Dèche, présidente,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2024.

La rapporteure,

V. Rémy-Néris

La présidente,

P. Dèche

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière

2

N° 23LY02020

lc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02020
Date de la décision : 16/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme DECHE
Rapporteur ?: Mme Vanessa REMY-NERIS
Rapporteur public ?: Mme LE FRAPPER
Avocat(s) : MATHIS

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-16;23ly02020 ?
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