Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 22 mai 2019 par lequel le maire de la commune de Chamonix-Mont-Blanc a opposé un sursis à statuer à sa déclaration préalable portant sur la division en vue de construire sur un terrain situé au lieu-dit " Les Moentieux " sur le territoire de la commune de Chamonix-Mont-Blanc, ainsi que la décision du 16 septembre 2019 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1906524 du 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 décembre 2022 et 28 avril 2023, Mme D..., représentée par Me Jacques, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 octobre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 mai 2019 par lequel le maire de la commune de Chamonix-Mont-Blanc a opposé un sursis à statuer à sa déclaration préalable portant sur la division en vue de construire sur un terrain situé au lieu-dit " Les Moentieux " sur le territoire de la commune de Chamonix-Mont-Blanc ;
3°) d'enjoindre au maire de la commune de Chamonix-Mont-Blanc de procéder au réexamen de sa déclaration préalable, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Chamonix-Mont-Blanc le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté en litige est entaché d'incompétence ;
- les conditions du sursis à statuer ne sont pas réunies, notamment en ce que le futur PLU n'était pas dans un état suffisamment avancé ;
- la substitution de motifs sollicitée par la commune ne peut être accueillie, dès lors qu'il n'est pas établi que la parcelle G 4114 est indispensable à l'activité agricole, ni qu'il s'agirait d'un pré de fauche, au sens de l'orientation exprimée à l'axe 2 du PADD, et que le règlement AB du plan de prévention des risques " Avalanches " applicable aux projets nouveaux ne prévoit aucune interdiction pour toute nouvelle occupation et utilisation du sol.
Par des mémoires, enregistrés les 9 mars 2023 et 16 août 2023, la commune de Chamonix-Mont-Blanc, représentée par Me Poncin, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme D... le versement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté en litige est irrecevable et, en tout état de cause, non fondé ;
- les autres moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés ;
- elle est fondée à demander une substitution de motifs en ce que le projet de division en litige est contraire à l'axe 2 du PADD visant à protéger de l'urbanisation les terres agricoles indispensables à l'activité et les alpages, ainsi qu'au plan de prévention des risques " Avalanches " arrêté en 2015 dès lors que la parcelle à détacher se trouve en quasi-totalité en zone de risque moyen d'avalanche.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mauclair, première conseillère ;
- les conclusions de Mme Conesa-Terrade, rapporteure publique ;
- les observations de Me Couderc, représentant Mme D... et de Me Poncin, représentant la commune de Chamonix-Mont-Blanc.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... D... est propriétaire des parcelles cadastrées E... et B..., situées au lieu-dit " Les Moentieux ", sur le territoire de la commune de Chamonix-Mont-Blanc, d'une superficie respective de 1 597 m² et de 8 007 m². Par un arrêté du 22 mai 2019, le maire de la commune de Chamonix-Mont-Blanc a opposé un sursis à statuer à la demande de Mme D... portant sur le détachement en vue de construire de la parcelle cadastrée section G n° 4114. Mme D... relève appel du jugement du 10 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 22 mai 2019 :
2. Aux termes de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme, dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté en litige : " L'autorité compétente se prononce par arrêté sur la demande de permis ou, en cas d'opposition ou de prescriptions, sur la déclaration préalable. / Il peut être sursis à statuer sur toute demande d'autorisation concernant des travaux, constructions ou installations dans les cas prévus au 6° de l'article L. 102-13 et aux articles L. 153-11 et L. 311-2 du présent code et par l'article L. 331-6 du code de l'environnement (...) ". Aux termes de l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " L'autorité compétente mentionnée à l'article L. 153-8 prescrit l'élaboration du plan local d'urbanisme et précise les objectifs poursuivis et les modalités de concertation, conformément à l'article L. 103-3. / La délibération prise en application de l'alinéa précédent est notifiée aux personnes publiques associées mentionnées aux articles L. 132-7 et L. 132-9. / L'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l'article L. 424-1, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable ".
3. Un sursis à statuer ne peut être opposé à une demande de permis de construire que lorsque l'état d'avancement des travaux d'élaboration du nouveau plan local d'urbanisme permet de préciser la portée exacte des modifications projetées, sans qu'il soit cependant nécessaire que le projet ait déjà été rendu public. Il ne peut en outre être opposé qu'en vertu d'orientations ou de règles que le futur plan local d'urbanisme pourrait légalement prévoir, et à la condition que la construction, l'installation ou l'opération envisagée soit de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse son exécution. Par ailleurs, si le projet d'aménagement et de développement durables n'est pas directement opposable aux demandes d'autorisation de construire, il appartient à l'autorité compétente de le prendre en compte dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable, pour apprécier si une construction serait de nature à compromettre ou rendre plus onéreuse l'exécution de ce plan.
4. En l'espèce, l'arrêté de sursis à statuer en litige opposé à la déclaration préalable de division est motivé par le fait que le projet contribue à une extension de l'urbanisation d'un secteur caractérisé par sa qualité paysagère remarquable, alors que doivent être pris en compte la nécessité de préserver les lisières de forêts par le maintien des coupures vertes et les objectifs de modération de la consommation de l'espace et de lutte contre l'étalement urbain.
5. Le conseil municipal de Chamonix-Mont-Blanc a prescrit l'élaboration du plan local d'urbanisme de la commune par une délibération du 14 octobre 2014, et le conseil communautaire de la communauté de communes de la vallée de Chamonix-Mont-Blanc a délibéré sur les orientations du projet d'aménagement et de développement durables (PADD) dans sa séance du 28 août 2018. Le conseil communautaire a, le 9 mars 2021, de nouveau délibéré sur les orientations d'un PADD n° 2, qui se substitue au précédent PADD. Toutefois, à la date du sursis à statuer opposé le 22 mai 2019 à la déclaration préalable déposée par Mme D..., et alors même que s'étaient également tenues trois réunions publiques les 22, 23 et 25 janvier 2019, trois ateliers thématiques les 5, 11 et 13 février 2019 ainsi qu'une réunion de restitution et de bilan le 26 février 2019, un plan de pré-zonage avait seul été établi ainsi qu'une première définition de grandes orientations générales du futur plan, qui ne seront en réalité réellement précisées qu'avec le PADD n° 2 adopté postérieurement à l'arrêté en litige. Par ailleurs, si ces grandes orientations incluaient une lutte contre l'étalement urbain, une modération de la consommation de l'espace ou encore une préservation du cadre de vie paysager, environnemental et agricole, elles entendaient également concentrer l'urbanisation future autour des polarités identifiées et secteurs de développement à déterminer en fonction de divers paramètres tels que les réseaux, l'accès, le paysage, la typologie bâtie, la densité et les équipements. Or, en l'espèce, il est constant que le maintien en zone urbaine IAUEb du tènement litigieux n'avait alors pas été remis en cause et il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la zone en bordure de laquelle il se situe, qui supporte de nombreuses constructions et est elle-même en continuité d'une zone agglomérée, aurait été exclue des polarités et secteurs de développement. Il n'est pas plus établi que ce même tènement, ou son environnement immédiat, bien que naturel, auraient fait l'objet d'une identification particulière au titre d'une qualité paysagère remarquable, étant relevé à cet égard que les lisières forestières dont l'arrêté en litige fait état sont relativement éloignées de la parcelle cadastrée section G n° 4114 à détacher. Dans ces conditions, la procédure d'élaboration du PLU n'était pas suffisamment avancée pour permettre au maire de Chamonix-Mont-Blanc de considérer que le projet de division en vue de construire était de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur PLU.
6. Enfin, si la commune de Chamonix-Mont-Blanc sollicite une substitution de motifs tirée de ce que le projet de division en litige est contraire au plan de prévention des risques " Avalanches " arrêté en 2015 dès lors que la parcelle à détacher se trouve en quasi-totalité en zone de risque moyen d'avalanche, un tel motif ne peut en tout état de cause pas fonder un sursis à statuer. Par ailleurs, si la commune soutient que le projet en litige méconnaît également les orientations de l'axe 2 du PADD visant à protéger de l'urbanisation les terres agricoles indispensables à l'activité et les alpages, il résulte de ce qui précède que ces orientations, alors même que la parcelle en litige aurait été identifiée au registre parcellaire graphique comme prairie permanente, ne peuvent, en l'absence d'une identification suffisamment précise des zones à protéger et compte tenu de la superficie limitée de la parcelle en litige et de sa situation, contigüe à plusieurs constructions et bordée par la route, légalement justifier l'arrêté en litige.
7. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'apparaît susceptible de fonder l'annulation de la décision en litige.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande et à demander l'annulation de l'arrêté du maire de Chamonix-Mont-Blanc du 22 mai 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. Il y a lieu d'enjoindre à la commune de Chamonix-Mont-Blanc de procéder au réexamen de la demande de Mme D... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais du litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune de Chamonix-Mont-Blanc, qui est la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Chamonix-Mont-Blanc le versement d'une somme de 2 000 euros à Mme D... au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1906524 du tribunal administratif de Grenoble du 10 octobre 2022 et l'arrêté du maire de Chamonix-Mont-Blanc du 22 mai 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Chamonix-Mont-Blanc de procéder au réexamen de la demande de Mme D... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : La commune de Chamonix-Mont-Blanc versera à Mme D... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... et les conclusions présentées par la commune de Chamonix-Mont-Blanc en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et à la commune de Chamonix-Mont-Blanc.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
Mme Anne-Gaëlle Mauclair, première conseillère,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024.
La rapporteure,
A.-G. Mauclair La présidente,
M. C...
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 22LY03620 2