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26/03/2024 | FRANCE | N°23LY02962

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 26 mars 2024, 23LY02962


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices résultant d'une contamination par le virus de l'hépatite C.



Par un jugement n° 2001325 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.<

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Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 12 septembre 2023, ens...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices résultant d'une contamination par le virus de l'hépatite C.

Par un jugement n° 2001325 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 septembre 2023, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 10 janvier 2024, Mme A... B..., représentée par la SCP Demure Guinault Darras Bucci Avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2001325 du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;

2°) de diligenter avant-dire droit une expertise médicale pour évaluer ses préjudices ;

3°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices que lui a causés une contamination par le virus de l'hépatite C ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme B... soutient que :

- sa requête d'appel n'est pas tardive ;

- sa contamination par le virus de l'hépatite C est imputable à des transfusions et les préjudices en résultant doivent être indemnisés par l'ONIAM, ainsi que ce dernier l'admet d'ailleurs ;

- elle a subi des préjudices sous la formes de troubles dans ses conditions d'existence et d'un déficit fonctionnel permanent reconnus par l'ONIAM, résultant plus précisément d'un diabète ayant notamment entrainé une perte d'acuité visuelle et d'une cirrhose, des souffrances liées aux pathologies et aux traitements afférents, des contraintes matérielles liées à ces pathologies et ces traitements, ainsi que de la nécessité de l'assistance par une tierce personne ;

- les montants proposés par l'ONIAM sont insuffisants au regard de la nature et de l'étendue de ses préjudices ;

- en tant que de besoin une expertise médicale permettra d'évaluer ses préjudices.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 décembre 2023, l'ONIAM, représenté par la SCP UGGC Avocats, conclut au rejet de la requête en tant que la somme demandée excède le montant de 53 183 euros.

L'ONIAM soutient que :

- il admet le droit à indemnisation de Mme B... en raison d'une contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C ;

- il admet que Mme B... a subi des troubles dans ses conditions d'existence et demeure atteinte d'un déficit fonctionnel permanent ;

- il évalue, en application de son référentiel, les troubles dans les conditions d'existence à 48 000 euros et le déficit fonctionnel permanent à 12 623 euros, l'indemnisation allouée devant dès lors se limiter à ces montants, sous déduction de la provision de 7 440 qu'il a déjà allouée en exécution d'un protocole transactionnel partiel provisionnel ;

- son référentiel d'indemnisation, qui permet une évaluation forfaitaire des préjudices de Mme B..., rend inutile une expertise médicale.

Par ordonnance du 11 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 11 janvier 2024 à 16h30. Par ordonnance du 10 janvier 2024, la clôture d'instruction a été reportée au 12 février 2024 à 16h30.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a recherché une indemnisation par l'ONIAM en raison d'une contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C. Par le jugement attaqué du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4, à l'exception de la seconde phrase du premier alinéa. / (...) / L'offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis du fait de la contamination est faite à la victime dans les conditions fixées aux deuxième, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 1142-17 (...) ". Aux termes des 2e et 5e alinéas de l'article L. 1142-17 auquel il est ainsi renvoyé : " Cette offre indique l'évaluation retenue, le cas échéant à titre provisionnel, pour chaque chef de préjudice ainsi que le montant des indemnités qui reviennent à la victime, ou à ses ayants droit, déduction faite des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 précitée, et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice. / (...) / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil ". Enfin, aux termes de l'article 102 de la loi susvisée du 4 mars 2002 : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur (...) ". En vertu de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, l'ONIAM assure, au titre de la solidarité nationale, l'indemnisation des victimes de préjudices résultant d'une contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou par une injection de médicaments dérivés du sang.

3. Il est constant que Mme B... a été hospitalisée du 20 au 27 octobre 1984 et que plusieurs transfusions ont dû lui être faites. Cinquante-huit produits sanguins distincts, provenant de trente-six donneurs différents, ont été utilisés. La contamination de la patiente par le virus de l'hépatite C a été détectée dès 1993. Les enquêtes transfusionnelles réalisées par l'ONIAM n'ont pas permis d'écarter la possibilité d'une origine transfusionnelle de la contamination et aucune autre cause plus probable n'a été identifiée. Ainsi que les parties l'admettent de façon concordante, Mme B... est donc fondée à faire valoir son droit à indemnisation sur le fondement des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique.

4. Le juge qui reconnaît la responsabilité de l'administration et ne met pas en doute l'existence d'un préjudice ne peut, sans méconnaître son office ni commettre une erreur de droit, rejeter les conclusions indemnitaires dont il est saisi en se bornant à relever que les modalités d'évaluation du préjudice proposées par la victime ne permettent pas d'en établir l'importance et de fixer le montant de l'indemnisation. Il lui appartient d'apprécier lui-même le montant de ce préjudice, en faisant usage, le cas échéant, de ses pouvoirs d'instruction.

5. Il ressort des pièces produites par l'ONIAM en première instance et notamment d'un courrier du 8 avril 2014, qu'après examen du dossier médical de Mme B..., l'Office a, à cette date, identifié une atteinte hépatique ayant évolué au stade d'une fibrose de niveau F4, dans le contexte compliqué d'une double contamination par le virus de l'hépatite C et par le virus d'immunodéficience humaine, Il a en particulier relevé, avant consolidation, des souffrances tant physiques que morales évaluées à 4/7, ainsi qu'un déficit fonctionnel temporaire de 50 % du 3 octobre 2008 au 31 mars 2009, en raison de la mauvaise tolérance d'un premier traitement antiviral. Un protocole transactionnel conclu le 2 juin 2014 a alloué à Mme B..., à titre purement provisionnel, une somme de 7 440 euros à valoir au titre de ces deux postes de préjudice. Dans un courrier du 2 août 2016, l'ONIAM prend acte de ce qu'un nouveau traitement antiviral, achevé en avril 2015, a permis l'éradication du virus. L'ONIAM retient la notion d'une stabilisation de l'état de santé au 25 mars 2016, avec une fibrose induite persistante de niveau F4. A ce titre, l'Office a émis une proposition d'offre transactionnelle, portant sur une somme totale de 48 000 euros sous déduction de la provision, au titre des troubles dans les conditions d'existence, recouvrant des souffrances, un déficit fonctionnel temporaire, un préjudice d'agrément et un préjudice de pathologie évolutive lié à la cirrhose, dont l'ONIAM relève qu'elle implique un traitement médical régulier et qu'elle est susceptible d'évolution, le risque d'aggravation étant en outre majoré du fait de la double contamination VHC-VIH. Dans son formulaire de demande adressé à l'ONIAM et daté du 10 juillet 2010, également produit en première instance, Mme B... expliquait que sa pathologie a généré une grande fatigue, a entrainé des douleurs importantes et lui a imposé des traitements très contraignants, à l'origine d'effets secondaires, ce que l'examen de sa situation médicale par l'ONIAM a confirmé, les parties s'accordant sur ce point. L'ONIAM admettait ainsi avoir constaté l'existence et l'étendue de l'essentiel des préjudices et, dans le cadre de la première instance, le litige soumis au tribunal n'opposait les parties que sur la question de savoir si les préjudices subis excédaient ou non une somme de 59 479 euros proposée par l'ONIAM, soit 48 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence et 11 479 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, ce dernier montant ayant été porté à 12 623 euros en appel, sous la seule déduction de la provision déjà allouée de 7 440 euros. Alors que l'ONIAM admettait ainsi de façon précise et circonstanciée la matérialité des préjudices subis, Mme B... faisait elle-même valoir devant le tribunal une très grande fatigue, des traitements contraignants ayant entrainé des effets secondaires, la nécessité d'une assistance par une tierce personne et des douleurs, l'ONIAM ne contestant pas l'essentiel de ces éléments, qui sont cohérents avec la pathologie dont Mme B... a été atteinte et l'évolution non contestée de son état. Dès lors, c'est à tort que le tribunal, sans rechercher le cas échéant à compléter son information par toute mesure utile d'instruction, a rejeté les conclusions indemnitaires de Mme B... au motif de ce qu'aucun préjudice ne serait suffisamment exposé ni établi.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les moyens soulevés par Mme B..., tant en première instance qu'en appel.

7. Si les parties s'accordent sur les grandes lignes de l'état de santé de Mme B... et sur la nature de l'essentiel de ses préjudices, l'état de l'instruction ne permet pas à la cour d'apprécier de façon suffisamment complète et précise l'ensemble des préjudices subis par Mme B..., depuis sa contamination jusqu'à la date de l'arrêt de la cour. Compte tenu de la double contamination subie par Mme B..., il est en outre nécessaire de déterminer de façon exacte la part de ses préjudices imputable à la seule contamination par le virus de l'hépatite C. Ainsi que Mme B... le demande elle-même à juste titre devant la cour, il y a en conséquence lieu, avant dire droit, de diligenter une expertise médicale afin d'éclairer les préjudices subis par Mme B..., en distinguant spécialement ceux liés à la seule contamination par le virus de l'hépatite C.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2001325 du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.

Article 2 : Avant de statuer sur les conclusions des parties, il sera procédé à une expertise avec mission :

1°) de prendre connaissance du dossier médical et de tous documents utiles concernant Mme A... B... et d'examiner cette dernière ;

2°) de décrire l'évolution de son état de santé depuis les transfusions réalisées en octobre 1984 jusqu'à la date du rapport, en précisant la part liée à la contamination par le virus de l'hépatite C ; de préciser les traitements spécifiques en lien avec cette contamination dont la patiente a fait l'objet ainsi que leur résultat ; de décrire son état de santé actuel ; de dire si l'état de santé de Mme A... B... en lien avec sa contamination par le virus de l'hépatite C est stabilisé, ou consolidé, ou si elle est guérie et de décrire, le cas échéant, l'évolution prévisible de la pathologie ;

3°) de donner tous éléments utiles d'appréciation des préjudices subis par Mme C..., en relation directe avec sa contamination par le virus de l'hépatite C ; à ce titre, l'expert fournira en particulier tous éléments médicaux utiles permettant d'évaluer le déficit fonctionnel, en précisant s'il est temporaire ou permanent et en en indiquant le taux pour chaque période distinguée ; il évaluera les souffrances, physiques et psychiques qui ont pu être endurées, en recherchant spécialement si un préjudice lié au caractère évolutif de la pathologie lui parait avoir été subi ; il indiquera si un préjudice esthétique a été subi, en le chiffrant si tel est le cas ; il indiquera s'il a constaté un préjudice d'agrément ; il indiquera également tous éléments utiles issus de ses constatations médicales concernant les dépenses de santé, les frais divers et les préjudices professionnels ; il précisera, enfin, si l'état de santé de Mme A... B... a rendu nécessaire l'assistance d'une tierce personne, en indiquant le cas échéant, pour les périodes éventuellement concernées, la nature de l'aide et le volume horaire requis ; il pourra donner toutes autres indications qu'il estimera pertinentes pour rendre compte des préjudices constatés et éclairer la juridiction.

Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles et notamment, tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur Mme A... B....

Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.

Article 5 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 6 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier.

Délibéré après l'audience du 4 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président-assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY02962


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02962
Date de la décision : 26/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-03 Responsabilité de la puissance publique. - Réparation. - Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SCP DEMURE-GUINAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-26;23ly02962 ?
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