Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2022 par lequel le préfet de Saône-et-Loire l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2300105 du 21 septembre 2023, le tribunal administratif a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 5 octobre 2023, le préfet de Saône-et-Loire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 septembre 2023 ;
2°) de rejeter la requête présentée par M. D... en première instance.
Il soutient que c'est à tort que les juges de première instance ont estimé que M. D... justifiait être entré en France avant l'âge de treize ans et y résider habituellement depuis lors.
Par un mémoire enregistré le 11 décembre 2023, M. D..., représenté par Me Si Hassen, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au profit de son conseil au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou, en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, qu'elle lui soit directement versée.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le préfet de Saône-et-Loire ne sont pas fondés ;
- il a commis une erreur de droit en ne procédant pas à un examen réel et sérieux de sa situation ;
- en l'obligeant à quitter le territoire, le préfet de Saône-et-Loire a méconnu les 2° et 3° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Mauclair, première conseillère.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né le 5 juillet 1997 à Shrewsbury (Royaume-Uni) et de nationalité britannique, déclare être entré sur le territoire français à l'âge de cinq ans, accompagné de ses parents et de son frère. Par un arrêté du 5 novembre 2021, le préfet de Saône-et-Loire a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans le cadre de l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Le tribunal administratif de Dijon, par un jugement du 21 juin 2022 confirmé par la cour administrative d'appel de Lyon par un arrêt n° 22LY03344 du 2 août 2023, ont rejeté le recours de M. D... tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un arrêté du 14 décembre 2022, le préfet de Saône-et-Loire a pris, à son égard, une décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination. Le préfet de Saône-et-Loire relève appel du jugement du 21 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé cet arrêté.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ".
3. Il ressort du jugement attaqué que, pour annuler l'arrêté du 14 décembre 2022 contesté, le tribunal a retenu que le préfet de Saône-et-Loire ne pouvait obliger M. D... à quitter le territoire français dès lors qu'il résidait en France depuis l'âge de cinq ans. Cependant, ainsi que le fait valoir le préfet en appel au regard d'une attestation établie par la mère de l'intéressé, M. D..., qui a effectivement vécu en France à compter de l'année 2003, est reparti, de juillet 2009 à septembre 2010, dans son pays d'origine, où il a été scolarisé. Si le requérant établit avoir été scolarisé, en France, depuis septembre 2010, il ne ressort d'aucune des pièces produites que celui-ci serait à nouveau entré sur le territoire national avant son treizième anniversaire, intervenu le 5 juillet 2010. Enfin, le requérant n'a produit aucune pièce au titre de la période de février 2016 à mars 2018, durant laquelle il ne justifie ainsi pas de la continuité de son séjour en France. Dans ces circonstances, M. D... ne peut se prévaloir ni d'être entré en France avant l'âge de treize ans, ni de la continuité de son séjour. Par suite, c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur la méconnaissance du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler l'arrêté contesté.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif et la cour.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par Mme A... C..., directrice de la citoyenneté et de la légalité, qui disposait d'une délégation de signature à cette fin, consentie par un arrêté n° 71-2022-10-24-00008 du 24 octobre 2022 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Saône-et-Loire le même jour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte attaqué manque en fait.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. / Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. Toutefois, les motifs des décisions relatives au délai de départ volontaire et à l'interdiction de retour édictées le cas échéant sont indiqués ". En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 5 novembre 2021 par lequel le préfet de Saône-et-Loire a refusé à M. D... la délivrance d'un titre de séjour reprend le décret n° 2020-1417 du 19 novembre 2020 concernant l'entrée, le séjour, l'activité professionnelle et les droits sociaux des ressortissants étrangers bénéficiaires de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique. Le refus de titre de séjour opposé au requérant fait également mention des motifs pour lesquels sa demande ne peut être accueillie, notamment au titre des articles 21 et 28 du décret du 19 novembre 2020. Cet arrêté comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Ainsi, l'arrêté portant refus de titre de séjour étant motivé, le moyen tiré d'une motivation insuffisante de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
7. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait omis de procéder à un examen particulier de la situation du requérant avant de prendre à son encontre une décision portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier doit être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ".
9. M. D... ne produit aucune pièce de nature à établir qu'il aurait résidé régulièrement sur le territoire français sous couvert d'un titre de séjour depuis plus de dix ans. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 3° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Il ressort des pièces du dossier, que, pour édicter à l'encontre de M. D... une obligation de quitter le territoire français, le préfet de Saône-et-Loire s'est fondé sur la circonstance que son comportement était constitutif d'une menace à l'ordre public, l'intéressé ayant commis des infractions pénales, répétées et de gravité croissante. Il a été condamné le 5 décembre 2017 par le tribunal correctionnel de Roanne à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de détention, acquisition, usage et transport illicite de stupéfiants, et le 21 avril 2021 par le même tribunal à une peine d'un an et six mois d'emprisonnement, dont huit mois avec sursis probatoire de deux ans, pour des faits de violence aggravée par trois circonstances suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, avec usage ou menace d'une arme, en état d'ivresse, conduite d'un véhicule en état d'ivresse manifeste, conduite d'un véhicule à vitesse excessive, délit de fuite après un accident et refus d'obtempérer à une sommation d'arrêter, pour des faits commis en 2020 et 2021. Ces faits récents attestent que M. D... constituait encore à la date de l'arrêté en litige une menace à l'ordre public nonobstant la circonstance suivant laquelle il s'acquitte, ainsi que l'a relevé le service d'insertion et de probation, des obligations générales et particulières de sa mesure pénale.
12. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 3, M. D... est entré en France, pour la dernière fois, en septembre 2010, après une année passée dans son pays d'origine et il ne justifie pas, depuis lors, de la continuité de sa présence habituelle sur le territoire français. Si l'intéressé est employé, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, en qualité de mécanicien depuis novembre 2021, il ne justifie pas d'une insertion professionnelle et sociale significative et stable à la date de l'arrêté en litige. Par ailleurs, M. D... se prévaut de sa relation avec une ressortissante française. Toutefois, selon ses propres déclarations, la compagne de M. D... indique être en couple avec ce dernier depuis le 8 août 2022. Ainsi, en tout état de cause, leur relation revêtait un caractère récent à la date de la décision en litige. Il suit de là que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et alors même que ses parents et son frère bénéficient d'un titre de séjour mention " Séjour permanent - Article 50 TUE ", l'obligation de quitter le territoire français édictée à l'encontre de M. D... ne peut être regardée comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis par cette mesure. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, il n'a pas entaché l'arrêté en litige d'erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne le délai de départ volontaire de trente jours :
13. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation ".
14. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. D... ait demandé au préfet de Saône-et-Loire à bénéficier d'une prolongation du délai accordé pour exécuter volontairement l'obligation de quitter le territoire français. En tout état de cause, si M. D..., pour contester la durée du délai de départ volontaire qui lui est laissé, se prévaut de son insertion en France et de la durée de sa présence sur le territoire français, fait valoir qu'il travaille et ne peut démissionner sans respecter un préavis, et qu'il doit régler ses dettes auprès du Trésor Public, il ne justifie pas, notamment au regard de ce qui a été dit aux points 3, 11 et 12, de circonstances suffisamment précises de nature à faire regarder ce délai comme inadapté à sa situation personnelle ni ne démontre que sa situation privée et familiale aurait justifié que le préfet lui accorde un délai supérieur à trente jours pour quitter le territoire français. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne lui accordant pas, à titre exceptionnel, un délai de départ supérieur à trente jours.
15. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Saône-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui doit être annulé, le tribunal administratif de Dijon a fait droit à la demande de M. D....
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse quelque somme que ce soit à M. D... au titre des frais de l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 21 septembre 2023 est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. D... tant en première instance qu'en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 13 février 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
Mme Anne-Gaëlle Mauclair, première conseillère,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2024.
La rapporteure,
A.-G. MauclairLa présidente,
M. E...
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 23LY03132 2