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05/03/2024 | FRANCE | N°23LY03107

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 1ère chambre, 05 mars 2024, 23LY03107


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure



Mme D... F... épouse H... C..., M. E... C... I..., et M. A... C... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés des 21 et 24 juillet 2023 par lesquels le préfet de l'Isère les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n°s 2305165, 2305164, 2305166 du 6 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a annulé ces arrêtés.





Procédure devant la cour



Par une requête enregistrée le 2 octobre 2023, le préfet d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... F... épouse H... C..., M. E... C... I..., et M. A... C... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés des 21 et 24 juillet 2023 par lesquels le préfet de l'Isère les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n°s 2305165, 2305164, 2305166 du 6 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a annulé ces arrêtés.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 2 octobre 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 septembre 2023 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. E... C... I..., Mme D... F... épouse H... C..., M. A... C... B... en première instance.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les arrêtés en litige méconnaissaient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et étaient entachés d'erreur manifeste d'appréciation ;

- par l'effet dévolutif de l'appel, les arrêtés en litige ne sont pas entachés d'incompétence ; ils sont suffisamment motivés ; ils n'avaient pas à être précédés du droit d'être entendu ; les intéressés ne disposent pas du droit de se maintenir sur le territoire français dès lors que les qualités de réfugiés leur ont été refusées.

Par un mémoire enregistré le 2 novembre 2023, M. E... C... I..., Mme D... F... épouse H... C... et M. A... C... B..., représentés par Me Huard, concluent au rejet de la requête et ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés ;

- ils reprennent les moyens soulevés en première instance.

Par ordonnance du 27 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 décembre 2023.

M. A... C... B... et Mme D... F... épouse H... C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 novembre 2023.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

- la charte de droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Mauclair, première conseillère.

Considérant ce qui suit :

1. Les demandes d'asile de Mme D... F... épouse H... C..., ressortissante congolaise née le 8 octobre 1982, et de deux de ses fils, A... C... B... né le 1er septembre 2003 et E... C... I... né le 20 mai 2005, entrés irrégulièrement sur le territoire français le 1er décembre 2019, ont été rejetées par des décisions du 10 mars 2022 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmées par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 13 février 2023. Ces rejets ont conduit le préfet de l'Isère, par trois arrêtés des 21 et 24 juillet 2023, à prendre à leur encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 6 septembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble, après avoir joint les demandes introduites devant lui, a annulé ces arrêtés.

Sur les motifs d'annulation retenus par le premier juge :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est entrée irrégulièrement en France le 1er décembre 2019, à l'âge de trente-sept ans et sous une fausse identité, accompagnée de son époux et de leurs quatre enfants nés en 2003, 2005, 2007 et 2015. Son époux est décédé le 3 juillet 2020. Mme C... a donné naissance, en France, à une fille, le 10 octobre 2020. Si Mme C... et ses enfants résident sur le territoire français depuis trois ans à la date des décisions contestées, ils n'ont été autorisés à y séjourner qu'au titre de l'examen de leurs demandes d'asile. Ainsi, il n'existe aucun obstacle à ce que les requérants, qui font chacun l'objet d'une mesure d'éloignement, reconstituent leur cellule familiale dans leur pays d'origine, avec les membres mineurs de la famille. Par ailleurs, les circonstances suivant lesquelles A... et E..., entrés sur le territoire français respectivement aux âges de quatorze et seize ans, ont achevé avec succès leurs études secondaires, que le premier est également éducateur sportif et que le second a fait preuve d'une implication particulière dans la vie de son lycée, relevée par différents professeurs, ne traduisent pas l'existence d'attaches à la fois anciennes, intenses et pérennes en France. Dans ces conditions, le préfet de l'Isère n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme C..., qui ne justifie d'aucune insertion professionnelle ni personnelle, ni à celui de MM. C... B... et C... I..., une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris les arrêtés attaqués. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ne peut qu'être écarté. Par suite, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté litigieux, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a accueilli les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les requérants, tant en première instance qu'en appel.

Sur les autres moyens soulevés par Mme et MM. C... :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée ".

6. Les décisions portant obligation de quitter le territoire français contestées comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elles se fondent, et visent, notamment, l'article L. 611-1, 4° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, retracent les parcours de Mme et MM. C... en France, notamment les rejets de leurs demandes d'asile par des décisions du 10 mars 2022 de l'OFPRA, rappellent leurs conditions de séjour sur le territoire français et leur situation privée et familiale. Dès lors, le moyen tiré de ce que ces décisions seraient insuffisamment motivées doit être écarté.

7. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait omis de procéder à un examen particulier de la situation des requérants avant de prendre à leur encontre une décision portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier doit être écarté.

8. En troisième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ".

9. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.

10. Les requérants se bornent à soutenir qu'ils n'ont pas été entendus avant les mesures d'éloignement, alors qu'ils entendaient faire connaître à l'administration les éléments relatifs à l'intégration des enfants de Mme C... au regard de leur scolarisation et de leur investissement dans la société. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 3, il ne ressort pas des pièces du dossier que les intéressés justifieraient d'une intégration particulière qu'ils auraient pu utilement porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prises les mesures d'éloignement et que, si ces éléments avaient été communiqués à temps, ils auraient été de nature à faire obstacle aux décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les obligations de quitter le territoire en litige sont intervenues en méconnaissance de leur droit à être entendu préalablement.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

12. Il ressort des pièces du dossier que les décisions contestées n'impliquent pas par elles-mêmes une séparation entre Mme C... et ses enfants mineurs dès lors que, tous les membres du foyer étant de même nationalité, aucune circonstance ne s'oppose à la reconstitution de la vie familiale dans leur pays d'origine. Il ne ressort pas davantage des pièces des dossiers, et alors que les aînés sont entrés sur le territoire à l'âge de quatorze et seize ans et que les autres enfants sont encore très jeunes, que les décisions contestées feraient obstacle à une intégration amicale ou sociale ou à une scolarisation dans leur pays d'origine, alors même que leur père est décédé en France. Par suite, le moyen, uniquement invoqué par Mme C..., tiré de la méconnaissance, par la décision attaquée, des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les arrêtés des 21 et 24 juillet 2023.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, tout ou partie de la somme que le conseil de MM. et Mme C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble n°s 2305165, 2305164, 2305166 du 6 septembre 2023 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de première instance et d'appel de Mme et MM. C... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... F... épouse H... C..., M. E... C... I... et M. A... C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 13 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,

Mme Anne-Gaëlle Mauclair, première conseillère,

Mme Claire Burnichon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2024.

La rapporteure,

A.-G. MauclairLa présidente,

M. G...

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 23LY03107 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23LY03107
Date de la décision : 05/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme MEHL-SCHOUDER
Rapporteur ?: Mme Anne-Gaëlle MAUCLAIR
Rapporteur public ?: Mme CONESA-TERRADE
Avocat(s) : HUARD

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-05;23ly03107 ?
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